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Tribune

L’Institut Montaigne fait des montagnes de la sortie du nucléaire

Posté le par Pierre Thouverez dans Énergie

L’institut Montaigne a récemment chiffré le coût de la sortie du nucléaire du candidat Hamon à 217 milliards (Md) d’euros de 2018 à 2035. Le travail effectué est aussi riche d’enseignement qu’il donne matière à réflexion pour les choix énergétiques en matière de transition. Que représente une telle dépense pour un pays comme la France ? Quelles hypothèses l’Institut a-t-il prises pour parvenir à ce résultat et comment celui-ci peut-il varier en les modifiant ?

Sans comparaison à d’autres dépenses nationales, la somme représente une charge impressionnante de 12 milliards d’euros (=Mds €) par an. Sachant que le déficit de l’état était de 73 Mds € en 2016, soit 3.3% du PIB (qui était de 2 200 Mds €), cette dépense le ferait passer à 3,9%. En 2015, son niveau était de 3,8% contre 7,5% en 2009. L’effet est donc significatif mais représente toutefois un déficit supporté par le passé.

Plus catastrophique, le bilan de Fukushima serait de 188 Mds € et 2 000 victimes, principalement des suicides et maladies dues au stress parmi les 160 000 personnes déplacées. D’après la cour des comptes, un tel accident couterait en France entre 120 et 450 milliards d’euros (Cf « Le coût de production de l’électricité nucléaire » – Actualisation 2014 – Cours des comptes – p156). Un montant similaire à l’estimation de 217 Mds € de l’Institut Montaigne, dont il convient d’examiner le calcul.

L’estimation de l’institut Montaigne se divise en trois postes :

  • 179 Mds € de remboursements en CSPE (*) (Contribution pour le Service Public de l’Electricité);
  • 25 Mds € d’indemnisations aux actionnaires d’EDF, pour la sortie du nucléaire ;
  • 13 Mds € pour l’adaptation du réseau électrique aux ENR (Energies Renouvelables) venant en remplacement du nucléaire.
  • S’ajoute également une indemnisation de 30 Mds € en cas d’abandon de l’EPR de Flamanville.

(*) Qu’est-ce que les remboursements en CSPE ? EDF s’est engagée à acheter l’électricité renouvelable à des Tarifs fixes alors qu’elle pourrait l’obtenir pour moins cher sur le marché de l’électricité, la CSPE est une taxe que l’état utilise pour rembourser la différence à EDF.

L’Institut Montaigne a alors simulé un remplacement du nucléaire par de l’électricité renouvelable, pour calculer le montant des remboursements en CSPE que l’opération entrainerait : 179 milliards.

Cette estimation de CSPE comporte cela dit quelques biais significatifs

  • La sortie du nucléaire proposée par Hamon n’est pas en 18 ans

L’Institut a basé son calcul sur une sortie pour 2035 soit en 18 ans, alors que l’objectif de Benoit Hamon est en réalité de 25 ans. Le cap de 2035 était défendu par l’écologiste Yannick Jadot. Avec des fermetures moins rapides que dans le modèle de l’Institut, l’opération pourrait mieux profiter de la baisse des coûts des ENR. Une baisse que l’institut a établie à 30% en 10 ans, ce qui est peut-être une sous-estimation : le solaire au sol est passé de 82 € en décembre 2015 à 62,5 € en mars 2017, soit 24% de baisse en un peu plus d’un an. Ce biais surévalue aussi les 25 milliards d’indemnités dues à EDF, puisque l’institut explique que « Plus la sortie du nucléaire sera précipitée, plus le manque à gagner d’EDF sera important et plus les indemnisations seront importantes ».

  • Une proportion importante des remboursements en CSPE ne devrait pas être comptée

L’institut a comptabilisé la CSPE des contrats engageant EDF sur les parcs ENR déjà existants. Or ces contrats s’appliqueront et donneront lieu à des remboursements en CSPE que l’on choisisse de sortir du nucléaire ou non. Il faut donc distinguer la CSPE déjà existante de celle liée à ce choix.

L’exercice est difficile sans disposer du modèle de l’Institut. Néanmoins, ce dernier a précisé qu’il avait tenu compte de la fin des premiers contrats ENR à partir de 2026. Comme le niveau de CSPE de 5 Mds € en 2017 est forcément lié aux contrats déjà existants, on peut donc évaluer la CSPE déjà existante à au moins 5 Mds €/an de 2018 à 2025 dans le modèle de l’institut, soit 40 Mds €.

  • Le coût du choix de rester dans le nucléaire

Le journaliste du journal Le Monde, Pierre le Hir, a rappelé dans un article que le choix de rester dans le nucléaire a aussi un coût. La prolongation d’exploitation des centrales est évaluée à 100 Mds € d’ici 2030 par la cour des comptes. Au bout de 60 ans, remplacer ces réacteurs par des E.P.R serait aussi onéreux, une facture que le journaliste évalue à 150 Mds €.

L’institut Montaigne n’a pas manqué de répondre à juste titre que leur calcul ne porte pas sur la même période : horizon 2035 tandis que le remplacement par des E.P.R s’effectuerait plus tard. Il a aussi avancé que son évaluation concerne un surcout par MWh d’électricité, payé par le contribuable, tandis que la prolongation d’exploitation des centrales est un investissement, payé par EDF.

Mais cet investissement sera aussi financé par le contribuable puisque l’Etat devra probablement apporter à EDF le capital. Considérant qu’il porte de plus sur la même période que la proposition d’Hamon, il n’est pas si absurde de considérer qu’une sortie du nucléaire permettrait d’économiser cette dépense de 100 Mds €.

On peut estimer que les biais ont induit une surévaluation d’au moins 140 Mds € du coût de la sortie du nucléaire. Il convient à présent d’examiner les hypothèses prises par l’Institut pour déterminer comment la facture pourrait être diminuée.

  • Les hypothèses concernant le calcul des remboursements en CSPE à EDF

La CSPE sert à rembourser la différence entre le Tarif d’Achat des ENR et le prix qu’EDF aurait pu obtenir en achetant cette électricité sur les marchés. Cependant, si le prix de marché est supérieur aux Tarifs d’Achat des ENR, EDF réalise une économie.  L’Etat n’a alors rien à rembourser. Cette situation s’est produite en 2008, donnant une CSPE négative pour la part des ENR.

Le montant de 179 Mds € a été calculé à partir de trois hypothèses :

    • Un prix de marché qui augmente faiblement ;
    • Un remplacement en totalité de l’électricité nucléaire par du renouvelable ;
    • Une consommation nationale d’électricité qui stagne par rapport au niveau actuel ;

Ces hypothèses peuvent être remises en cause :

    • Il n’est pas indispensable de remplacer tous les réacteurs nucléaires ; d’octobre 2016 à janvier 2017, 20 réacteurs étaient à l’arrêt sans qu’aucune coupure n’ait été observée. Le phénomène fut très problématique, mais il permet de penser que quelques réacteurs en moins et non remplacés est supportable ;
    • La consommation d’électricité est censée augmenter ; la transition énergétique consiste à remplacer les énergies fossiles par de l’électricité (par exemple, voitures électriques et pompes à chaleur électriques pour le chauffage).

Entre une offre d’électricité qui baisse et une demande qui augmente, le prix de l’électricité peut augmenter rapidement, voire dépasser les tarifs d’achat de l’électricité renouvelables. Les remboursements en CSPE à EDF en seraient alors significativement diminués. Si la sortie du nucléaire se fait en le remplaçant en grande partie mais pas en totalité par des ENR, le prix de marché peut augmenter suffisamment pour faire fondre les charges de CSPE comme neige au Solaire.

  • L’indemnisation de 25 milliards aux actionnaires d’EDF

Ces indemnités diminuent si la sortie du nucléaire est moins précipitée.  S’engager à ne pas prolonger l’exploitation de toutes les centrales et acter qu’aucune nouvelle ne sera construite après l’EPR diminuerait donc significativement ces indemnités. L’état pourrait alors négocier la facture en acceptant des prolongations de 2 à 5 ans pour quelques centrales.

  • L’impact d’un prix de marché plus élevé

Laisser le prix de l’électricité monter sur les marchés a de potentiels impacts négatif ; exportations d’électricité moins volumineuses, perte de compétitivité pour les entreprises et de pouvoir d’achat pour les ménages.

Néanmoins, les Tarifs Règlementés de Vente dont bénéficient encore les ménages sont fixés par les ministres, qui peuvent choisir de ne pas les augmenter. Le contexte désormais concurrentiel de la vente d’électricité peut aussi pousser les fournisseurs d’électricité à renoncer à une partie de leur marge plutôt que de répercuter en totalité la hausse de l’électricité sur leurs prix de vente.

Les entreprises comme les ménages peuvent aussi limiter le problème en installant eux-mêmes les ENR en remplacement du nucléaire. Un contexte de prix hauts de l’électricité et de promotion accélérée des ENR est une incitation claire à produire et consommer son électricité soit même. Le soutien du solaire en toiture et la poursuite des appels d’offre en Autoconsommation peuvent donc permettre de limiter l’effet néfaste d’une hausse des prix.

Les travaux de l’Institut Montaigne montrent qu’en jouant prudemment sur une hausse des prix de l’électricité et sur ces autres aspects, un équilibre est à déterminer pour limiter le surcoût d’une sortie progressive du nucléaire.

En conclusion, l’institut Montaigne a pris en compte les remboursements en CSPE qui devront de tout manière être assurés, sortie du nucléaire ou non. Il a aussi effectué ses calculs sur une période de 18 ans alors que le candidat en propose 25. Ces aspects conduisent à une surestimation qui pourrait représenter au moins 40 milliards d’euros, sans oublier que le programme de prolongation des centrales est estimé à 100 milliards d’euros d’ici 2030.

Le travail de l’Institut Montaigne illustre néanmoins l’intérêt pour l’Etat de renoncer à fermer des centrales de manière anticipée pour négocier le montant des indemnités versées à EDF, en acceptant des prolongations réduites sur certaines centrales. Cela permettrait aussi de diminuer les charges de CSPE en profitant mieux de la réduction des coûts des ENR. Une baisse qui pourrait être plus rapide que ce qu’anticipe l’Institut.

Il serait aussi intéressant de ne pas remplacer en totalité la production d’électricité nucléaire ; les remboursements en CSPE seraient nettement moins élevés avec moins de parcs ENR et un prix de marché de l’électricité plus haut. Un prix plus élevé aurait certes des impacts négatifs, mais un équilibre entre ces différents effets rétroactifs est surement à trouver pour réduire la dépense. Enfin, un montant hypothétique de 217 Mds € n’est en réalité pas impossible à assurer pour un pays comme la France, et doit être comparé au coût d’un possible accident nucléaire, qui serait probablement supérieur.

Par Gabriel Brézet

Gabriel Brézet est ingénieur de formation. Il a suivi un double cursus avec un mastère spécialisé en économie de l’énergie. Il travaille aujoud’hui dans le secteur des énergies renouvelables.

Pour aller plus loin

Posté le par Pierre Thouverez

Les derniers commentaires

  • Avoir des repères par rapport à d’autres politiques (en réalité pas si éloignées de la question de la transition énergétique) : « le niveau de CSPE de 5 Mds € en 2017 est … lié aux contrats déjà existants, on peut donc évaluer la CSPE déjà existante à au moins 5 Mds €/an de 2018 à 2025 dans le modèle de l’institut, soit 40 Mds € ». Ce montant est déjà vraiment énorme. 5 Mds €/an c’est environ deux fois l’effort annuel pour le renouvellement de l’ensemble du réseau ferroviaire national. Et 40 Mds €, c’est l’équivalent ou assez proche de l’ensemble de la dette actuelle de SNCF Réseau.

  • Extrait : « Enfin, un montant hypothétique de 217 Mds € n’est en réalité pas impossible à assurer pour un pays comme la France, et doit être comparé au coût d’un possible accident nucléaire, qui serait probablement supérieur. »

    Excellente réaction de M Brézet car, en 2007, l’IRSN avait estimé à un montant de 5 800 milliards d’euros le coût de la catastrophe nucléaire en France soit 27 fois le montant cité par l’institut Montaigne !…

    En 2013, l’IRSN critiquait son propre travail en le qualifiant de « rudimentaire » pour le faire baisser de 8 fois : Fukushima était passé par là, prouvant que la catastrophe atomique était possible en France, et il fallait donc minimiser le coût de la catastrophe pour que l’aventure atomique puisse malgré tout continuer en France.

    (*) http://www.irsn.fr/FR/Actualites_presse/Actualites/Pages/20130326_Etude-IRSN-2007-cout-accidents-nucleaires.aspx#.WPEr2aKkLTc


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