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L’IA, nouvelle arme dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens

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L’IA, nouvelle arme dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Informatique et Numérique

Véritable menace pour la santé humaine à l’échelle mondiale, la résistance de pathogènes aux antimicrobiens ne cesse de gagner du terrain. Pour contrer cette funeste progression, les chercheurs peuvent toutefois désormais compter sur une alliée de taille : l’intelligence artificielle. Grâce à des algorithmes d’IA, une équipe de chercheurs américains est ainsi parvenue il y a peu à identifier deux composés efficaces contre un pathogène particulièrement problématique : le staphylocoque doré résistant à la méticilline. Une percée réalisée, en outre, en ouvrant la « boîte noire » des modèles d’IA.

« Le besoin de développer de nouveaux traitements anti-infectieux[1] est urgent. » C’est le constat que mettait une nouvelle fois en avant, dans un article de fond paru en juillet dernier dans un hors-série de la revue Science, un trio de chercheurs américains. Et pour cause : le développement croissant de pathogènes résistants aux molécules antimicrobiennes est aujourd’hui devenu une véritable menace pour la santé humaine à l’échelle mondiale, et même l’une des dix plus grandes, comme s’en alarmait déjà l’OMS il y a plusieurs années, comme ici en 2021. S’il n’est pas rapidement jugulé, cet essor de la résistance aux antimicrobiens pourrait se révéler à l’origine, à l’horizon 2050, de la mort de 10 millions de personnes dans le monde chaque année… Soit une toutes les trois secondes. « Relever les défis posés par les épidémies, les pandémies et la résistance aux antimicrobiens nécessitera une action interdisciplinaire concertée », analysaient ainsi les trois chercheurs sus-cités, s’attelant, dans leur article, à passer en revue les différentes approches permettant de détecter, de comprendre et de traiter les maladies infectieuses, en soulignant les progrès réalisés dans chacun de ces cas grâce à un champ de techniques aujourd’hui au centre de toutes les attentions : l’intelligence artificielle (IA).

« Associée à la biologie des systèmes et de synthèse, l’IA permet désormais des progrès rapides, accroissant la découverte de médicaments anti-infectieux, améliorant notre compréhension de la biologie des infections, et accélérant le développement de l’art du diagnostic », expliquaient en effet alors les scientifiques. Des vertus de l’IA en matière de lutte contre la résistance aux antimicrobiens que deux membres de cette même équipe – Felix Wong et James J. Collins – n’ont justement pas tardé à illustrer dans un autre article publié en décembre dernier, dans Nature cette fois. Ils y décrivent en effet, avec l’aide d’une vingtaine d’autres collègues, rien de moins que la mise au jour d’une toute nouvelle famille d’antibiotiques. Une découverte réalisée grâce à des algorithmes d’apprentissage profond (deep learning), à l’issue de travaux menés dans le cadre du projet Antibiotics-AI du MIT. Des travaux qui apportent, en sus, une plus-value notable : celle de l’explicabilité des résultats apportés par la machine.

Des dizaines de milliers de substances passées au crible

Le pathogène ciblé par les chercheurs est une bactérie Gram positive bien connue : le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus). Une souche de staphylocoque qui se révèle, selon l’Institut Pasteur, la plus fréquemment rencontrée en pathologie humaine et vétérinaire, et qui partage en outre avec la bactérie Escherichia coli « le triste privilège d’occuper le premier rang des germes responsables d’infections nosocomiales ». Comme le rappelle la fondation, « les traitements visant à éradiquer les infections [à staphylocoques] sont difficiles, car de nombreuses souches sont multirésistantes aux antibiotiques ». Des souches résistantes impliquées en effet, selon les services hospitaliers, dans 20 à 50 % des cas d’infection, et parmi lesquelles se trouve un groupe plus particulièrement représenté : les staphylocoques résistants à la méticilline. « Les souches de staphylocoques résistantes à la méticilline, ou SARM[2], font partie des bactéries résistantes aux antibiotiques les plus fréquentes en milieu hospitalier, représentant environ 27 % des infections à Staphylococcus aureus », note en effet l’Institut Pasteur. Aux États-Unis, ce sont chaque année plus de 80 000 personnes qui sont infectées par un SARM. Parmi elles, pas moins de 11 000 en meurent.

Si des approches vaccinales sont à l’étude, c’est bien la voie des antibiotiques – pourtant a priori en impasse – qu’ont décidé d’explorer à nouveau Felix Wong et ses collègues, avec l’appui, cette fois, de cette nouvelle alliée que s’est révélée constituer l’IA.

« À partir de données expérimentales et informatiques, nous avons évalué expérimentalement la capacité de 39 312 substances [antibiotiques déjà connus, composés naturels et autres molécules aux structures diverses] à stopper la croissance de Staphylococcus aureus cultivé en laboratoire, ainsi que leur propension à tuer trois types de cellules humaines », expliquent tout d’abord les chercheurs dans un résumé accompagnant leur publication. Les membres de l’équipe américaine se sont ensuite attelés à l’entraînement de réseaux de neurones en graphes (Graph Neural Networks, ou GNN) à partir des jeux de données issus de cette première phase de travail. Cette étape leur a alors permis d’aboutir à des prédictions quant à l’action antibiotique potentielle de pas moins des 12 millions de composés, mais aussi à leur éventuelle toxicité pour les cellules humaines.

Deux composés finalement retenus

Deux composés efficaces contre les SARM retenus par les chercheurs
À l’issue d’un criblage au travers d’algorithmes d’intelligence artificielle, deux composés efficaces contre les SARM ont finalement été retenus par les chercheurs. ©Christine Daniloff, MIT ; Janice Haney Carr, CDC ; iStock

Les chercheurs ont alors passé au crible les résultats fournis par leurs modèles, en se basant à la fois sur les prédictions de l’IA en matière d’action antibiotique des composés – ne gardant que les composés pour lesquels elle se révélait particulièrement élevée – mais aussi, notamment, sur leur cytotoxicité potentielle. « Après ce passage au crible, nous avons conservé 3 646 composés », notent les chercheurs, qui ont en outre élargi ce travail de criblage in silico en prenant en compte d’autres critères – absence de sous-structures potentiellement à risque pour la santé au sein des molécules, et côté « inédit » de leur structure – pour aboutir, finalement, à un jeu de 283 composés. Des « finalistes » que les chercheurs ont alors testés en laboratoire, afin de juger de leur efficacité, in vitro, contre les SARM. Résultats : deux d’entre eux, appartenant à une même famille, ont été désignés vainqueurs de leur combat contre l’invincible staphylocoque.

« L’étude approfondie de ces composés a montré leur efficacité contre les bactéries multirésistantes, y compris le S. aureus résistant à la méticilline (SARM) », notent les chercheurs. « Nous avons constaté que le composé 1 réduisait efficacement les niveaux de SARM dans deux modèles de souris in vivo », ajoutent-ils, avant de révéler le mécanisme d’action de ces substances : « Nous avons la preuve assez solide que cette nouvelle classe structurelle agit contre les pathogènes Gram-positifs en atténuant sélectivement la force proton-motrice au sein des bactéries », explique Felix Wong. « Les molécules attaquent les membranes des cellules bactériennes de manière sélective, de façon à ce que cela n’entraîne pas de dégâts majeurs sur les membranes des cellules humaines », ajoute le chercheur, qui souligne finalement l’autre défi majeur relevé par son équipe dans le cadre de ces travaux : « Ce que nous avons cherché à faire dans cette étude est d’ouvrir la boîte noire ». Et pour cause : « Ces modèles [d’IA] consistent en un très grand nombre de calculs qui imitent les connexions neuronales, et personne ne sait vraiment ce qui se passe sous le capot », décrit Felix Wong.

Les rouages des modèles étudiés à la loupe

« Les modèles d’IA, y compris les GNN, sont souvent considérés comme des “boîtes noires”, car leurs prédictions ne peuvent pas être expliquées ou interprétées facilement », confirment les chercheurs, qui expliquent ainsi dans le détail comment ils sont parvenus à plonger la tête sous le capot de leurs modèles d’IA : « Afin de saisir les sous-structures chimiques associées à des scores de prédiction élevés de l’action antibiotique, nous avons “ouvert” la boîte noire en utilisant une méthode de recherche permettant d’identifier par ordinateur les sous-structures. Notre méthode de recherche supprime de manière itérative des atomes et leurs liaisons, et note les sous-structures résultantes pour déterminer si elles sont responsables de la majeure partie du score prédictif ». Une approche baptisée « recherche arborescente Monte-Carlo » (Monte Carlo Tree Search, ou MCTS) utilisée notamment dans le cadre de modèles d’apprentissage profond dédiés aux jeux, tels que le célèbre AlphaGo.

« L’idée, ici, était que nous puissions voir ce que les modèles apprenaient afin de prédire que certaines molécules feraient de bons antibiotiques », explique le chercheur et professeur d’ingénierie médicale au MIT James Collins, qui, pour finir, ne cache pas son enthousiasme face aux résultats obtenus aux côtés de ses collègues dans le cadre de ces travaux de recherche : « Notre travail fournit un système qui permet d’économiser du temps et des ressources et qui est mécanistiquement pertinent, du point de vue de la structure chimique. Le tout, avec une approche inédite ».

Une percée remarquable que Collins a décidé de mettre à disposition de l’association à but non lucratif qu’il a créée aux côtés de collègues dans le cadre du projet Antibiotics-AI : Phare Bio. Une structure au sein de laquelle va ainsi se poursuivre l’étude des composés identifiés par les chercheurs, afin d’en analyser plus précisément encore les propriétés chimiques et les potentielles applications thérapeutiques. Au sein de son laboratoire du MIT, James Collins travaille également à l’identification d’autres composés potentiellement actifs contre d’autres pathogènes résistants.

Si elle est sans doute encore loin d’être gagnée, la guerre contre la résistance aux antimicrobiens semble en tout cas se diriger vers une issue de moins en moins funeste grâce cette nouvelle alliée de taille constituée par l’IA.


[1] Le terme « anti-infectieux » est un terme général désignant l’ensemble des médicaments qui combattent une infection, quelle qu’en soit la cause. Source : Vidal.

[2] Methicillin-resistant Staphylococcus aureus.

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


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