Lorsqu’un nouveau robot doit être implanté dans un site de production, il doit faire l’objet d’un choix initial d’architecture cinématique (sérielle ou parallèle, nombre et types d’axes…) et, dans un second temps, il doit être programmé et piloté afin que l’outil qu’il manipule puisse suivre convenablement les trajectoires de consignes qui auront été définies pour réaliser les tâches demandées. La plupart des robots sériels ont la possibilité d’atteindre une cible de leur espace de travail selon plusieurs postures (par exemple avec les postures « coude haut » et « coude bas »). Un changement de posture peut être opéré pour éviter une limite articulaire sur un axe ou une collision avec un obstacle. Il a longtemps été admis que le robot devait alors nécessairement franchir une configuration singulière au cours d’un changement de posture, à l’image de ce qui se passe pour la plupart des robots industriels : la configuration singulière « bras tendu » doit toujours être franchie pour passer entre les postures « coude haut » et « coude bas ». Si cette propriété est effectivement observée sur la plupart des robots qui ont des particularités géométriques (axes parallèles ou concourants), elle ne s’avère pas pour de nombreux autres robots. Dès lors, plusieurs questions cruciales se posent, tant pour l’utilisateur que pour le concepteur. Comment savoir si le robot a bien cette propriété ? Si ce n’est pas le cas, comment savoir si le robot a changé de posture ? Quels sont les robots qui ont cette propriété ?
Cet article se propose de répondre à ces questions. Un robot cuspidal est défini comme un robot qui peut changer de posture sans franchir une configuration singulière. La plus grande part de cet article traite des robots de type sériel. Il propose une méthodologie permettant d’identifier les robots cuspidaux et décrit de façon approfondie leur mécanisme de changement de posture. Une attention particulière est accordée à une famille de robots à trois articulations pivot d’axes orthogonaux deux à deux. Ces robots peuvent constituer des alternatives intéressantes aux robot usuels. Il est donc important de pouvoir les classifier en robots cuspidaux et non cuspidaux. Les robots à six articulations sont plus difficiles à analyser et font encore l’objet de travaux de recherche au moment de la rédaction de cet article. Ils sont principalement abordés au travers de quelques exemples de robots 6R cuspidaux, dont certains sont utilisés dans l’industrie comme robots de peinture. Le cas des robots d’architecture parallèle, plus délicat, est également abordé. On analyse des exemples de robots parallèles plans, sphériques et à 6 degrés de liberté, capables de changer de mode d’assemblage sans franchir une singularité. L’article propose enfin une discussion sur l’intérêt des robots cuspidaux.
Bref historique des robots cuspidaux
La toute première mention d’un changement de posture non singulier remonte à 1988 par deux chercheurs de l’université de Bologne qui mettent en évidence ce phénomène de façon numérique sur deux robots sériels différents à six articulations pivot. Cette révélation passa inaperçue et fut même parfois considérée comme fantaisiste. Il faut dire qu’à l’époque, la communauté était convaincue que tout robot devait nécessairement franchir une singularité pour changer de posture, comme c’était le cas pour tous les robots industriels. Deux ans auparavant, une preuve mathématique – qui se révéla fausse par la suite – avait même été produite pour confirmer cette hypothèse . Peu après la révélation des chercheurs de Bologne, J.W. Burdick (université de Stanford, Californie) confirma les révélations des italiens dans sa thèse de doctorat, cette fois sur plusieurs robots sériels à trois articulations pivot. Ce n’est qu’en 1992 qu’un nouveau formalisme est proposé pour les robots sériels capables de changer de posture sans passer par une singularité , en pointant une erreur dans la démonstration qui avait été produite dans . Il a fallu de nombreuses années avant que la communauté scientifique ne commence à accepter l’existence de robots cuspidaux. Le terme « robot cuspidal » a été introduit en 1995 avec la démonstration de l’existence d’un point « cusp » (figure 7) sur le lieu des singularités des robots sériels cuspidaux à trois articulations pivot . Finalement, une classification exhaustive des robots sériels à trois articulations pivot d’axes orthogonaux a été réalisée en 2004 . Un article de synthèse sur les robots sériel cuspidaux a été publié dans . Les études sur les robot parallèles cuspidaux ont été initiées en 1998 et sont majoritairement limitées aux robots plans.