Depuis les années 1970, le déploiement des technologies numériques et de Conception et Fabrication Assistées par Ordinateur (CFAO) a largement pris part au processus de conception et fabrication de produits industriels. La transposition de ces technologies aux domaines biomédicaux a alors donné lieu au développement de chaînes numériques de CFAO dédiées à différents secteurs de la santé. La CFAO en ingénierie biomédicale est maintenant une approche méthodologique s'appuyant sur l'utilisation et le développement d'outils, de moyens informatiques et d'équipements formant des « maillons » intégrés dans une « chaîne numérique » permettant le diagnostic médical, la planification de soins médicaux ou chirurgicaux ou la réalisation de dispositifs médicaux individualisés.
Dès 1973, le Dr François Duret proposa dans sa thèse d’exercice pour le diplôme d’état de docteur en chirurgie dentaire, d’utiliser « l’empreinte numérique » et l’informatique pour concevoir et produire des prothèses conjointes unitaires dentaires, posant ainsi les concepts fondateurs de la dentisterie prothétique numérique. Après une phase de développement dans les années 1980, les premiers systèmes de CFAO dentaire sont commercialisés dans les années 1990, avant de connaître dans les années 2000 et 2010 un fort développement commercial.
Il existe sur le marché trois types de méthodologies CFAO pour les prothèses dentaires. La méthodologie directe permet au chirurgien-dentiste de concevoir et réaliser en une seule séance une restauration prothétique en se basant sur la numérisation de la denture du patient. La méthodologie indirecte permet au prothésiste dentaire de concevoir et réaliser une restauration prothétique en se basant sur la numérisation de l’empreinte ou du modèle dentaire en plâtre issu du cabinet. La méthodologie semi-directe permet de réaliser la conception et la fabrication de prothèse en laboratoire à partir de la numérisation de la denture du patient réalisée en cabinet.
En dépit d’un bon taux de croissance actuel et futur du marché de la CFAO dentaire en Europe et en Amérique du Nord, seulement 3 à 5 % des cabinets dentaires sont équipés en CFAO directe en comparaison avec les 45 à 50 % des laboratoires de prothèses équipés en CFAO indirecte ou semi-directe. Ce peu d’équipement des cabinets peut s’expliquer par le coût des chaînes de CFAO directe, le manque de formation des chirurgiens-dentistes, la nouvelle organisation du cabinet et les nouvelles méthodes de travail qu’engendrent ces technologies. Ainsi, la CFAO semi-directe semble l’alternative la plus prometteuse laissant le praticien s’attacher à ses compétences cliniques et le prothésiste à ses compétences de concepteur et fabricant de prothèses. Cette tendance à la CFAO semi-directe sera sûrement celle répondant le mieux aux nouvelles réglementations européennes sur les dispositifs médicaux individualisés.
Avec l’introduction de ces nouvelles technologies, la dentisterie prothétique numérique se positionne comme étant un secteur en pleine croissance. De nouveaux acteurs sur le marché, fabriquant des équipements et logiciels interopérables et personnalisables, s’adressent aux entreprises émergentes intégratrices de méthodologies CFAO et aux entreprises biomédicales offrant des services aux professionnels de santé. Ainsi le métier de prothésiste dentaire est en pleine mutation et à l’avenir seront formés des « info-prothésistes » pour travailler en laboratoire de prothèse dentaire ou dans des sociétés prestataires de services.
Ainsi, un des enjeux majeurs est de former des praticiens, des prothésistes, des techniciens et des ingénieurs à l’ingénierie biomédicale et tout particulièrement aux technologies numériques comme la CFAO et les procédés additifs. Ces formations devront intégrer tout particulièrement l’aspect pluridisciplinaire (ingénierie-santé) et translationnel (fondamental-clinique) du secteur de l’ingénierie biomédicale.
L’objectif de cet article est d’illustrer le concept de CFAO en ingénierie biomédicale à travers le domaine applicatif de la dentisterie prothétique. Cet article est écrit du point de vue de l’ingénierie mécanique. Il constitue une réflexion et une synthèse de la place des technologies numériques dans le secteur biomédical, basées sur des retours d’expériences d’activités de recherche, de développement et de formation entre professionnels de santé, acteurs industriels et acteurs académiques.