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Interview

A Madagascar, des générateurs solaires facilitent l’accès à l’électricité

Posté le par Pierre Thouverez dans Innovations sectorielles

Face aux difficultés à accéder à l'électricité en continu à Madagascar, la start-up malgache Jirogasy développe des générateurs et ordinateurs solaires. Rencontre avec Yann Kasay, son cofondateur.

L’accès à l’électricité est réparti de manière très inégale sur le continent africain. A Madagascar, la majorité de la population n’a pas un accès à l’électricité de manière continue.

Fort de ce constat, Yann Kasay a décidé de créer l’entreprise Jirogasy, afin de faciliter l’accès à l’électricité à un plus grand nombre, à travers le développement d’objets connectés et de générateurs solaires. L’entreprise, implantée à Madagascar, veut aussi à travers son activité jouer un rôle dans le développement du pays.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel, qui a mené à la création de Jirogasy ?

Yann Kasay : Je suis un entrepreneur franco-malgache, fondateur et CEO de la start-up Jirogasy. Je me suis spécialisé depuis plusieurs années sur les questions d’innovation, d’accès à l’énergie, au digital et à l’éducation.

Yann Kasay, le cofondateur et CEO de Jirogasy.

En 2017, j’ai décidé de me concentrer à plein temps sur la création de systèmes embarqués et d’objets connectés au profit du développement de l’Afrique, ce qui a donné lieu au démarrage de l’activité de Jirogasy dans le secteur de l’énergie solaire un an plus tard.

Le fait de me diriger vers le secteur de l’énergie solaire part d’une histoire personnelle. En 2017, lors d’un voyage à Madagascar, je me retrouve avec un accès à l’électricité de 2 heures par jour pendant plusieurs semaines dans un des hôtels pourtant bien équipé du nord-est du pays. Je m’intéresse alors au sujet et je me rends compte que plus de 85% de la population du pays est dans le même cas et que 600 millions de personnes en Afrique n’ont pas accès à l’électricité.

Je fais alors le constat que parmi les initiatives déjà présentes, l’ensemble des projets importent leurs matériels de l’étranger. Je me donne alors comme objectif de produire des systèmes solaires « made in Afrique » en mettant à profit mes compétences de « maker » autodidacte et les compétences d’ingénieur en électronique de mon frère, cofondateur de Jirogasy.

Présentez-nous l’entreprise Jirogasy.

Jirogasy est une entreprise « tech » basée à Madagascar et créée en 2017 pour concevoir, localement, des objets connectés et des générateurs solaires à destination des acteurs publics et privés en Afrique. Notre objectif principal est d’innover en créant des produits « made in Madagascar » qui aident nos partenaires à répondre aux objectifs de développement durable (ODD). Ce, dans le but de contribuer à l’implémentation d’un modèle de croissance responsable sur le continent africain en capitalisant sur la réponse à des problèmes locaux par des solutions locales, afin de générer le maximum de valeur ajoutée à Madagascar.

Nous produisons des générateurs solaires et des ordinateurs solaires – dont l’ordinateur solaire tout-en-un Jirodesk 2 – notre dernier produit. Une des innovations autour de ce produit est d’avoir intégré un régulateur solaire, un ordinateur ainsi que nos différents systèmes d’alimentation et de remontée de données en un seul produit. Cet appareil est particulièrement utile dans les zones dépourvues d’électricité car il est facile d’utilisation et totalement autonome (ses batteries sont reliées à des panneaux solaires pour une autonomie de cinq heures). Avec un disque dur de 64 Go, un processeur Intel Celeron de 4 Go et un écran de 21 pouces, il permet d’effectuer tous les travaux bureautiques nécessaires (via Windows 10), et d’apporter de l’électricité et de l’éclairage pour un foyer de 2 à 3 pièces grâce au surplus d’électricité produit par les panneaux solaires.

Quelles sont les technologies développées dans les produits (générateur, ordinateur) que vous fabriquez ?

La première particularité de nos produits est qu’ils sont fabriqués entièrement dans notre atelier à Madagascar. Au fil des années, nous avons pu nous constituer une ferme d’imprimantes 3D et une ligne de production comptant un ensemble de CNC ainsi qu’un laboratoire électronique avec l’outillage nécessaire. Cela nous permet de maîtriser plusieurs compétences nécessaires à la conception de nos produits localement, comme le traçage de nos circuits imprimés, et la pose de nos composants CMS de façon semi-automatisée. Depuis 2020, certaines CNC et les imprimantes 3D nous permettent également de produire l’ensemble des pièces plastique et acier nécessaires au design de nos produits à Madagascar.

Jirodesk 2, le dernier produit lancé par Jirogasy.

Au-delà de la conception locale, nos produits sont équipés d’un protocole de remontée de données développé par les équipes de Jirogasy qui nous permet de faire de la maintenance à distance et prédictive, mais aussi de proposer des offres innovantes aux clients.

Nous utilisons un réseau maillé [lorsque la connexion repose sur plusieurs sources de Wi-Fi et non sur un seul routeur, NDLR] via un protocole Lora [protocole de télécommunication permettant la communication à bas débit d’objets connectés, NDLR] pour la communication entre notre serveur et nos produits entre eux. La constitution de ce réseau propre à Jirogasy intégré à nos produits nous permet de communiquer avec nos produits même dans les zones les plus enclavées et dépourvues d’infrastructures télécom.

Quelles sont les autres activités développées par Jirogasy ?

Au-delà de la conception et la production d’objets connectés et solaires, nous avons développé des compétences dans l’installation de petits systèmes photovoltaïques (<5kw). Avec notre équipe de 17 collaborateurs, nous pouvons donc également épauler d’autres startups ou des ONG pour réaliser les projets d’électrification rurale permettant aux populations des zones dépourvues d’électricité en les assistant sur les tâches de dimensionnement, d’installation, ou de maintenance de systèmes solaires.

L’idée derrière Jirogasy est de répondre à une problématique locale. Est-ce un modèle de développement qui gagne l’ensemble du continent africain ?

Nous avons démarré Jirogasy en pensant que les personnes les plus à mêmes de répondre aux problématiques de l’Afrique sont les premières personnes concernées, à savoir les Africains. Nous pensons que rapatrier une partie ou l’ensemble de certaines chaînes de valeur en Afrique, et développer une industrie de l’innovation forte et compétitive sont nécessaires pour le développement des pays du continent africain. Je constate que lorsque nous avons commencé il y a trois ans et demi, il existait peu d’initiatives tech «made in Africa », mais ce thème est de plus en plus discuté et nous espérons que cela se développera de façon significative dans les prochaines années.

Quelle est votre vision de l’innovation ?

Innover c’est d’abord effectuer un état des lieux de l’existant. Je pense que c’est par la déconstruction de plusieurs technologies et la combinaison d’idées préexistantes que naissent les innovations les plus abouties. Je pense ensuite que l’audace joue un rôle clé dans l’innovation et que derrière chaque innovation se cache un inventeur ou une équipe audacieuse qui tente ce que d’autres n’ont pas osé pour différentes raisons.

Avez-vous l’impression que l’innovation évolue sur le reste du continent ?

L’Afrique traverse une période intéressante où l’essor de technologies comme le « mobile banking » lors de ces 10 dernières années ont permis un déclic. Je pense que l’émergence de cette technologie a permis de faire tomber un complexe et nous a montré que l’Afrique pouvait adopter une technologie avant le reste du monde. Depuis le « leap frog » (bond technologique), une génération d’entrepreneurs africains s’attèlent à inventer l’Afrique de demain, ce qui je l’espère conduira à un développement inclusif et responsable du continent.

Maintenant que plusieurs initiatives se lancent sur certains aspects de la chaîne de valeur industrielle, il est nécessaire que les acteurs dialoguent entre eux et établissent des relations panafricaines qui conduiront à la naissance d’un écosystème industriel fort qui pourra, à terme, apporter de la valeur ajoutée non seulement à ses marchés domestiques, mais également aux marchés des autres continents.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

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