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Biomimétisme : une méthode de séparation des terres rares qui exploite des protéines bactériennes

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Biomimétisme : une méthode de séparation des terres rares qui exploite des protéines bactériennes

Posté le par Arnaud Moign dans Matériaux

Une équipe de chercheurs a découvert une méthode de séparation des terres rares aussi étonnante que novatrice. Ils ont mis au jour un mécanisme impliquant des protéines bactériennes capables de se lier entre elles en présence de certains éléments, une aptitude qui pourrait conduire à des stratégies de tri et de recyclage plus efficaces et plus écologiques. Cette découverte a fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue Nature.

La famille des terres rares comprend 17 éléments du tableau périodique. Elle inclut les lanthanides ainsi que deux autres éléments aux propriétés similaires qui sont souvent regroupés avec eux : le Scandium (Sc) et l’Yttrium (Y). Les terres rares ont une importance technologique et stratégique capitale, car elles sont utilisées dans de nombreuses applications, aussi bien en électronique que dans les domaines des énergies renouvelables, de la défense ou de l’aérospatiale.

La difficile séparation des éléments de terres rares

À l’état naturel, on les trouve généralement ensemble, car les métaux de cette famille ont la particularité d’avoir un comportement chimique et une taille similaires, ce qui rend leur séparation difficile.

Pour ne rien arranger, les techniques de séparation et de purification conventionnelles comportent des dizaines, voire des centaines d’étapes et utilisent de grandes quantités de produits chimiques aussi toxiques que polluants.

Un processus de sélection innovant et bioinspiré

Cela fait des millénaires que les terres rares sont utilisées dans les processus biologiques. Joseph Cotruvo Jr, professeur associé de chimie de l’Université de Penn State, et son équipe de chercheurs se sont ainsi tournés vers la nature pour explorer de nouvelles solutions.

Il existe une classe de bactéries appelées « méthylotrophes ». Souvent présentes sur les feuilles des plantes ainsi que dans l’eau et dans les sols, ces bactéries jouent notamment un rôle important dans la circulation du carbone dans l’environnement.

En 2017, les chercheurs ont réussi à isoler une protéine produite par ces bactéries. Or, cette protéine appelée « Ianmoduline » possède une particularité : elle présente une aptitude inégalée à se lier aux lanthanides[1] ! Des travaux ultérieurs ont ensuite démontré qu’il était possible, grâce à cette protéine, de séparer les terres rares en tant que famille des autres métaux, même lorsqu’il s’agit de mélanges trop complexes pour les méthodes d’extraction traditionnelle.

L’étude publiée le 31 mai 2023 dans Nature donne une dimension encore plus intéressante à ces travaux. Parmi des centaines d’autres protéines naturelles semblables à la « Ianmoduline » initialement étudiée, l’équipe en a sélectionné une qui présentait suffisamment de différences, pour qu’il soit raisonnable d’envisager des propriétés singulières.

La molécule candidate, issue d’une bactérie isolée sur des bourgeons de chêne anglais, possède la capacité de se lier aux lanthanides, par un processus de dimérisation dont les effets varient suivant que l’on soit en présence d’éléments légers ou lourds. En présence de lanthanides légers comme le néodyme, les liaisons sont fortes, alors qu’elles sont bien plus faibles dans le cas de lanthanides plus lourds, comme le dysprosium. Ce comportement sensiblement différent ouvre ainsi la voie vers de nouvelles méthodes de séparation !

Dans un communiqué de presse daté du 31 mai, le professeur Cotruvo Jr, premier auteur de l’étude, déclarait : « Bien que nous ne soyons pas les premiers scientifiques à reconnaître que la dimérisation sensible aux métaux pourrait être un moyen de séparer des métaux très similaires, principalement avec des molécules synthétiques, c’est la première fois que ce phénomène a été observé dans la nature avec les lanthanides. »

Le chercheur pense même qu’en optimisant encore le phénomène, ils seront un jour capables de résoudre le plus difficile problème de séparation qui soit, c’est-à-dire séparer les lanthanides adjacents sur le tableau périodique.

Sur la base de ces travaux, une demande de brevet a ainsi été déposée par l’État de Pennsylvanie. L’équipe travaille actuellement sur cette optimisation et envisage un passage à l’échelle dans le but de commercialiser le processus.


[1] Plus de 100 millions de fois supérieure, par rapport au calcium !

Pour aller plus loin

Posté le par Arnaud Moign


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