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Décryptage

« Migrer vers la voix sur IP : oui mais avec vigilance »

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

[Interview] Jérôme Pons (France Télécom)

La migration vers la VoIP peut vite devenir un casse-tête pour les entreprises. Comment bien la mettre en œuvre ? Le point avec Jérôme Pons, responsable du programme IOT (Inter-Operability Testing) chez France Télécom et auteur de trois nouveaux articles sur la VoIP pour les Editions Techniques de l'Ingénieur.

Techniques de l’Ingénieur : Quels avantages confère la VoIP ?

Jérôme Pons : La voix sur IP possède plusieurs atouts par rapport à la voix sur circuit traditionnel. Elle repose d’une part sur l’interopérabilité des architectures, protocoles et codecs normalisés, afin d’en faciliter l’adoption par le monde de l’Internet, de l’informatique et des opérateurs télécoms. Par exemple, dans les réseaux fixes et mobiles (UMTS), les normes TISPAN et recommandations 3GPP mettent en œuvre le contrôle d’appel NGN et IMS basés sur les protocoles H.248 et SIP. D’autre part, la flexibilité apportée par les normes garantit l’évolutivité des équipements utilisateurs en particulier vers les téléphones IP et téléphones logiciels (« softphones » permettant de passer un appel téléphonique à partir d’un simple ordinateur) mais aussi des infrastructures réseau. Au cœur du réseau RTC, la suppression des commutateurs circuits de grande capacité devient possible en connectant les commutateurs de classe 5 (les plus proches des abonnés) à des passerelles média et commutateurs logiciels (« softswitches » ou « call servers ») qui assurent entre autres le pont entre le réseau d’accès circuit et le réseau IP pour le transport des flux audio. En outre, dans l’architecture IMS, les commutateurs logiciels (fonctions MGCF) sont reliés aux serveurs SIP (fonctions CSCF) puis aux serveurs applicatifs VoIP et permettent d’acheminer les appels vers d’autres abonnés des réseaux fixes et mobiles (voir l’article  » VoIP: état de l’art, enjeux et perspectives » des éditions Techniques de l’Ingénieur).

Quels sont les principaux freins à l’adoption de cette technologie ? Comment lever ces freins ?

Il existe trois principales barrières à l’adoption de la voix sur IP. Premièrement, les réseaux supportant la voix sur IP doivent offrir un niveau de fiabilité au moins équivalent à celui de la téléphonie sur circuit. Dans cette optique, des dispositifs ont été mis en place, par exemple des équipements IP redondants, des alimentations de secours (en cas de coupure secteur) voire le maintien de quelques lignes téléphoniques connectées au réseau RTC. Deuxièmement, la qualité de service a été améliorée car les réseaux IP souffraient initialement d’une latence élevée pour le transport de la voix. Pour cela, des mécanismes (DiffServ), protocoles (pile RTP/UDP/IP pour le transport des trames vocales et H.323, MGCP, Megaco/H.248, SIP pour le contrôle d’appel) et codecs (à bande étroite de type G.729) ont été définis afin d’adapter la qualité de service au transport de la voix sur IP. Troisièmement, la sécurité a été renforcée car un routeur IP ou une plate-forme VoIP sont plus sensibles aux attaques externes qu’un commutateur du réseau RTC plus étanche. Ainsi, le chiffrement et l’intégrité permettent de sécuriser les communications et la signalisation d’appel et de nouveaux protocoles adressent dorénavant les problèmes de traversée des pare-feux et NAT. (voir l’article « VoIP : principales normes » des éditions Techniques de l’Ingénieur)

Compte tenu de ces forces et de ces faiblesses, où en est l’adoption de la voix sur IP dans les entreprises ?

L’entreprise a tenu compte des critères d’adoption de la voix sur IP (interopérabilité, flexibilité et évolutivité) mais aussi des principaux freins (fiabilité, qualité de service et sécurité) de sorte qu’elle puisse, dans certains cas, s’affranchir des réseaux traditionnels (RTC et/ou RNIS). Ainsi, les postes téléphoniques traditionnels (analogiques ou numériques) ont été remplacés par des équipements compatibles VoIP afin de ne conserver qu’un seul réseau de données tant sur le site de l’entreprise (LAN Ethernet) qu’entre les sites (WAN IP). Les équipements utilisateur sont alors pilotés par des PABX IP ou Centrex IP et la diversité des solutions permet à l’entreprise d’adopter l’offre couvrant au mieux ses besoins. On rencontre trois scénarios de migration en fonction du type d’entreprise et de l’architecture réseau déjà en place. Le scénario conservateur consiste, pour les moyennes et grandes entreprises, à compléter le PABX traditionnel par une passerelle VoIP le muant ainsi en PABX IP hybride afin de supporter la téléphonie sur IP notamment entre deux sites d’entreprise via un réseau WAN IP. En revanche, le PABX IP hybride maintient la connexion aux réseaux RTC et/ou RNIS et supporte les postes téléphoniques et fax traditionnels. Le scénario convergent utilise le même réseau local de l’entreprise (LAN Ethernet ou Intranet) afin d’écouler les communications téléphoniques et la transmission de données. Il autorise alors le déploiement de nouvelles applications (messagerie unifiée, ponts téléphoniques, transfert d’appel, routage d’appel automatique) qui augmentent par ailleurs la productivité dans les grandes entreprises. Cette convergence impose toutefois l’introduction de nouveaux postes téléphoniques (téléphones IP) et équipements tels que la passerelle VoIP (pour l’interconnexion entre un téléphone traditionnel et un téléphone IP) et le serveur VoIP (pour le contrôle d’appel) composant le PABX IP convergent. Enfin, le scénario « tout IP » consiste à remplacer tous les téléphones traditionnels par des téléphones IP ou téléphones logiciels. Les appels VoIP sont contrôlés par le serveur VoIP qui peut être présent dans les locaux de l’entreprise (PABX IP « administré ») ou hébergé par un tiers tel qu’un opérateur télécoms (PABX IP « hébergé »). Le PABX IP hébergé est dédié à l’entreprise contrairement aux offres Centrex IP partagées entre plusieurs entreprises, en particulier les très petites et petites entreprises, afin de centraliser tous leurs besoins en communications. (voir l’article  » Mise en oeuvre de la voie sur IP » des éditions Techniques de l’Ingénieur)

Comment mettre en œuvre cette technologie ? Quels sont les pièges à éviter ?

La mise en œuvre de la voix sur IP en entreprise suit plusieurs étapes. L’étude de faisabilité commence par analyser l’existant tels que les équipements informatiques et réseau (câblage, postes téléphoniques, PABX traditionnel, LAN, accès au WAN, RTC et/ou RNIS, VPN pour l’Extranet), les politiques de qualité de service et de sécurité. Ensuite, elle évalue les services téléphoniques utilisés (téléphonie en interne intra-site et intersites, en externe à l’entreprise, sélection directe à l’arrivée (SDA) pour les appels entrants, annuaire, messagerie vocale et services supplémentaires comme le renvoi d’appel et la conférence à trois). Elle se poursuit par une analyse d’impact de l’intégration de nouveaux équipements au réseau de l’entreprise afin d’adresser les problématiques de dimensionnement (charge pour les appels internes et externes), de configuration des serveurs (DHCP, DNS et annuaire LDAP) et de compatibilité des équipements (PABX IP et téléphones IP) avec les protocoles (contrôle d’appel SIP, H.323, chiffrement IPsec, auto-alimentation IEEE 802.3af des téléphones IP via le LAN etc) et codecs (par exemple G.711, G.729 et licences d’utilisation associées le cas échéant). La définition de la solution technique, conduite par l’équipe projet, dépend de la taille de l’entreprise (TPE, PME ou grande entreprise) en nombre d’utilisateurs de la téléphonie sur IP et en nombre de sites à interconnecter (cas d’une entreprise multi-sites), de l’analyse de l’existant ainsi que des nouveaux services souhaités outre la téléphonie sur IP : par exemple la messagerie vocale unifiée (MVU), la réservation de ponts téléphoniques, le fax sur IP, la réponse vocale interactive (IVR) ou la nécessité d’un centre d’appel. Toutefois, la migration vers la voix sur IP ne peut se faire sans risque pour l’entreprise et certaines problématiques devront être abordées avec vigilance à chaque étape : l’interopérabilité des équipements avec les serveurs déjà en place, la qualité de service (signal audio adapté, performances du WAN IP), la disponibilité du service (alimentation électrique), le plan de numérotation (gestion des tranches SDA locales souscrites), la sécurité (activation du chiffrement dans les téléphones IP et étanchéité des flux de téléphonie sur IP sur le LAN), la mise en place dans l’entreprise d’une équipe dédiée (car la téléphonie sur IP requière des compétences particulières) et la prise en compte, lors de la définition de la solution, des évolutions envisagées dans l’entreprise à moyen et long terme. La liste est bien entendu non exhaustive.

Quel est l’investissement de départ ? En combien de temps peut-on espérer rentabiliser l’installation ?

L’investissement initial dépend de la solution technique et de l’offre commerciale retenues par l’entreprise. Comparé à une solution analogique (PABX traditionnel couplé à la location de lignes téléphoniques), l’introduction de la voix sur IP impactera les charges de l’entreprise. En revanche, une augmentation non chiffrable de la productivité s’en ressentira de par la mise en place de services avancés tels que les ponts téléphoniques et la connectivité en situation de mobilité dans l’entreprise (via le WLAN) ou en télétravail (via l’Extranet). L’augmentation du CAPEX [ndlr : Capital Expenditure : dépenses d’équipement] est due à l’acquisition de la solution technique (équipements réseau et utilisateur tels que le PABX IP administré, téléphones IP et câblage), la modification de l’infrastructure réseau (LAN, serveurs) et le surcoût lié à l’apport de la fiabilité, la qualité de service et la sécurité. La réduction de l’OPEX [ndlr : Operating Expense : dépenses de fonctionnement] est principalement liée à la diminution des coûts de communication (en particulier pour une entreprise multi-sites étant donné le volume de d’appels régionaux, nationaux et internationaux) et de la maîtrise technique (exploitation, administration et supervision d’une infrastructure réseau convergente). En revanche, l’OPEX lié aux opérations de maintenance des équipements, de formation, du support aux utilisateurs et de gestion des comptes utilisateurs reste globalement inchangé. La période de rentabilité est largement dépendante du scénario de migration adopté par l’entreprise d’autant plus que ce dernier peut être intégré à une stratégie de migration IT plus globale. Pour conclure, dégageons quelques tendances. Les très petites entreprises cherchent à limiter l’investissement initial (CAPEX) et à simplifier la gestion des outils télécoms et plébiscitent les offres Centrex IP parfois groupées avec d’autres offres telles que l’accès xDSL. De même, les PME visent la simplicité mais favorisent toutefois les PABX IP administrés connectés au WAN IP via des faisceaux de connexions (ou « SIP trunks ») afin de réduire les coûts d’interconnexion au WAN IP comparé à la location de ligne RNIS. Enfin, les grandes entreprises adoptent des offres évolutives et personnalisées de PABX IP hébergé qui peuvent être groupées à d’autres offres comme les liaisons louées pour l’interconnexion de sites. Propos recueillis par Maud Buisine Pour aller plus loin Jérôme Pons est un ancien délégué à la normalisation 3GPP pour Orange, France Télécom. Aujourd’hui, il est responsable du programme IOT (Inter-Operability Testing) » pour l’opérateur historique. A ce titre, il coordonne les demandes de sessions d’interconnexion entre équipements avant leur validation pour introduction dans les réseaux de France Télécom. Ces équipements peuvent être aussi bien des téléphones mobiles, PABX IP, LiveBoxes, éléments de l’infrastructure fixe ou mobile, ou plate-formes de services telles que Centrex IP et IMS. Jérôme Pons est également l’auteur de trois articles consacrés à la voix sur IP publié aux éditions Techniques de l’Ingénieur. Voix sur IP : Etat de l’art, enjeux et perspective Voix sur IP : Les principales normes Voix sur IP : La mise en oeuvre

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