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Interview

Suite à l’échec du lancement de Taranis, le CNES prépare un Taranis 2

Posté le par Chaymaa Deb dans Innovations sectorielles

Seulement quelques minutes après son lancement, le satellite Taranis s'est abîmé dans l'océan Arctique. En dépit de cet échec, Christophe Bastien-Thiry, chef du projet Taranis, déclare que le CNES se prépare à concevoir un Taranis 2. Ainsi, l'observation inédite des phénomènes lumineux qui se produisent au-dessus des nuages sera reportée, mais pas annulée.

Les scientifiques qui ont travaillé à la conception du satellite Taranis ont vécu des moments craints par les acteurs de l’aérospatial. Dans la nuit du 16 au 17 novembre, le lanceur Vega qui transportait Taranis a été victime d’une défaillance. Quelques minutes plus tard, le lanceur s’est écrasé dans l’océan Arctique, avec à son bord deux satellites. Christophe Bastien-Thiry, chef du projet Taranis au CNES, revient sur cet accident exceptionnel, et explique comment lui et ses équipes se préparent à concevoir un Taranis 2.

Techniques de l’Ingénieur : Que s’est-il précisément passé avec la fusée Vega qui transportait Taranis ?

Christophe Bastien-Thiry : Le dernier étage du lanceur AVIM et les deux satellites qu’il transportait se sont mis à tournoyer très fortement. Il n’était plus possible de contrôler les tuyères qui servaient à orienter le lanceur. Il n’était plus possible de le guider, ni de modifier sa trajectoire. Les directions droites et gauches ont été inversées. De ce fait, il a subi une grande déviation de sa trajectoire. À cause de l’effet toupie dans lequel le lanceur et les satellites se sont retrouvés, la poussée perdait de son intensité. Le lanceur se trouvait à 247 kilomètres d’altitude au moment où le moteur a été mis en route. Et très peu de temps après, son altitude a commencé à fortement décroître. Puis le lanceur est passé dans une phase pseudo balistique, le moteur n’ayant plus aucune efficacité. Enfin, quelques minutes après le tir, l’ensemble s’est écrasé sur la calotte glaciaire de l’océan Arctique.

Quelle a été la cause de l’accident ?

Lors de la phase de montage du moteur du lanceur qui a eu lieu en Ukraine, il y a eu une inversion dans l’assemblage des câbles, dans les commandes. Et celle-ci n’a été décelée à aucun moment. C’est peut-être ce qu’il y a de plus grave, c’est qu’il y a eu une défaillance d’une chaîne de procédures, de contrôles et de vérifications. Il n’y avait pas de détrompeurs qui auraient permis d’éviter l’inversion de ces câbles. Il n’y a pas non plus eu de contrôle qualité, ni de test de bout en bout. Une commission d’enquête indépendante, désignée par Arianespace et l’Agence spatiale européenne, est chargée de définir le moment où la défaillance a eu lieu. L’éventualité d’une erreur humaine n’est pas exclue.

Ce type d’accident est-il courant ou reste-t-il exceptionnel ?

De nos jours, dans le spatial moderne, c’est complètement hallucinant d’observer cela. Ce genre d’accident pouvait se produire aux prémices de l’histoire des lanceurs. C’est une erreur hallucinante parce qu’elle est passée à travers plusieurs mailles. À l’époque d’Arianespace, il y avait également eu de bêtes erreurs. Je me souviens qu’il y avait eu une Ariane IV qui avait explosé suite à une réparation sur un tuyau. L’opérateur avait oublié de retirer un bout de chiffon qu’il avait placé là afin d’éviter que de la limaille ne vienne se poser. Et encore dans ce cas, l’erreur a eu lieu lors d’une réparation. Alors que dans le cas du lanceur Vega, l’erreur s’est produite au montage. Par ailleurs, sur l’exemplaire suivant de ce moteur, destiné à la fusée Vega qui devait être lancée début 2021, la même inversion était présente.

Comment avez-vous vécu la perte du satellite ?

C’est une énorme frustration, une déception incommensurable. C’est, pour certains d’entre nous, une quinzaine d’années de travail qui se retrouvent gâchées, qui tombent à l’eau en quelques instants. C’est un cauchemar auquel nous avons du mal à croire. En observant ce triste spectacle en pleine nuit, nous avons eu l’impression d’assister à un véritable cauchemar. Depuis Toulouse, j’étais personnellement en contact avec les collègues qui étaient en salle Jupiter, à Kourou, au centre spatial guyanais. Eux avaient sous les yeux la trajectoire qui s’inclinait et les commentaires qui commençaient à arriver des spécialistes. Très rapidement, nous avons su qu’il y avait un problème.  Nous sommes très rapidement passés de « il y a un problème » à « c’est grave », puis « c’est mort ». Pour nous, la douche a été froide, glaciale même.

L’observation des phénomènes lumineux qui se produisent au-dessus des orages reste-t-elle d’actualité ?

Dans la nuit même du tir, Jean-Yves Le Gall, le président du CNES, m’a appelé personnellement pour me faire part de sa tristesse partagée. Il m’a très rapidement dit qu’il demanderait sans délai au CNES de réfléchir à un nouveau Taranis. Il a affirmé sa volonté de mettre au plus vite une mission Taranis à l’étude, pour pouvoir couvrir cette thématique scientifique qui est très peu explorée. Le comité exécutif du CNES a validé cette décision. Cela est d’autant plus essentiel que Taranis n’a pas de concurrence, il n’y a pas d’autre mission en prévision destinée à couvrir cette science. La pertinence de Taranis reste vraie, et le sera encore durant plusieurs années.

Comment va s’organiser votre travail dans les prochaines semaines ?

Notre président nous a donné mandat pour constituer un groupe de travail commando, une Task Force, que je dirige. Le mandat nous demande de réfléchir à une solution qui permette un développement rapide. Notre mission est de proposer à notre direction d’ici fin janvier un projet de développement d’un Taranis 2. Il devra reprendre le domaine scientifique que devait couvrir Taranis 1. Nous travaillons avec l’équipe initiale du projet, mais également avec d’autres experts CNES pour définir les grandes lignes de ce que sera ce Taranis 2. Nous savons d’ores et déjà que nous ne pourrons pas le refaire à l’identique du fait de certains équipements obsolescents, à l’instar de la plateforme Myriade, qui avait été créée dans les années 2000. Certains de ses éléments ne sont plus construits, donc on va en profiter pour rechercher une plateforme qui nous permette d’aménager plus facilement tous les instruments de mesure.

Êtes-vous en capacité de dire quand et dans quelles conditions Taranis 2 sera conçu et lancé ?

À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas avancer de date pour le lancement de Taranis 2. Nous y verrons plus clair d’ici fin janvier. Dans le dossier que nous présenterons à notre direction, il y aura un calendrier, des hypothèses de budget, et surtout des scénarios d’intervention. Nous aurons un budget à respecter, qui sera certainement moindre que celui de Taranis 1, qui était de 110 millions d’euros. Nous aurons également moins de temps pour développer Taranis 2. Pour tenir compte de ces contraintes, nous travaillerons de nouveau avec les partenaires industriels qui nous avaient accompagnés, notamment les PME et les PMI. De manière générale, nous allons réadapter l’existant, et non réfléchir à la conception de nouveaux outils.

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