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Vers un « verrouillage fossile » des infrastructures numériques : l’alerte du Shift Project

Posté le par La rédaction dans Énergie

Face à la montée exponentielle des besoins en calcul, le think tank The Shift Project tire la sonnette d’alarme : les datacenters pourraient alimenter une reprise de l’usage des énergies fossiles en Europe. En effet, ce risque est bien réel, dès lors que les infrastructures énergétiques et réglementaires ne sont pas calibrées pour encadrer cette croissance. Le défi consiste à faire dialoguer efficacement la révolution numérique et la transition bas carbone, sans sacrifier l’une à l’autre.

Dans un éditorial récent de L’Usine Nouvelle, le questionnement central est posé : « Les datacenters vont-ils relancer les énergies fossiles en Europe ? »

Le point de départ de cette interrogation est un rapport du Shift Project, fruit de 15 mois de travail, qui met en lumière la trajectoire non maîtrisée de la consommation électrique liée aux infrastructures numériques (câblage, serveurs, refroidissement, alimentation).

Le Shift Project s’inquiète du fait que cette croissance pourrait se traduire par un recours accru aux centrales fossiles, notamment au gaz, pour assurer la flexibilité du réseau électrique face à des pointes de demande.

Mécanismes du « verrouillage fossile » numérique

Un point clef du raisonnement du Shift Project est celui de la flexibilité. En période de forte demande ou d’intermittence des renouvelables, les opérateurs de datacenters pourraient se tourner vers des sources fossiles à haut rendement ou à déploiement rapide, notamment le gaz naturel, pour garantir la continuité de service.

Un exemple frappant est donné, à travers le centre Colossus de xAI, celui-ci étant équipé d’une capacité de 400 MW de générateurs mobiles au gaz naturel. Ce choix illustre comment, dans un paradoxe apparent, des infrastructures de pointe pourraient dépendre d’équipements fossiles pour garantir leur fiabilité énergétique. Le rapport signale que, dans l’intervalle, les réseaux électriques pourraient être conduits à accroître leurs capacités gazières, comme c’est le cas aux États-Unis, avec des projections de 20 GW supplémentaires entraînant potentiellement jusqu’à 80 MtCO₂/an sans capture de carbone (CCS).

D’un point de vue géographique, l’Irlande offre quant à elle un précédent. L’installation massive de datacenters a en effet conduit à une situation dans laquelle plus de 20 % de l’électricité produit était destinée à la filière des centres de données, entraînant des tensions sur le réseau local.

Des scénarios contrastés selon le mix énergétique et les régulations

L’enjeu principal tient à la part d’énergie fossile dans le mix électrique qui alimentera les datacenters. Dans un article de CarbonBrief sur l’usage énergétique des centres de données, il est souligné que « l’usage fossile va vraisemblablement s’étendre pour alimenter les datacenters, mais les approvisionnements en énergie propre devraient croître plus vite ». En d’autres termes, la dépendance aux sources fossiles dans ce secteur ne serait pas une fatalité, à condition que la production renouvelable suive le rythme et que des mécanismes de gouvernance soient mis en place.

Le rapport de l’IEA (Agence internationale de l’énergie) sur l’usage énergétique des datacenters apporte une perspective plus technique sur les projections. Il recommande de nuancer les estimations d’énergie consommée par l’IA (qui pourraient atteindre entre 200 et 400 TWh en 2030 dans certaines hypothèses) et souligne le rôle déterminant du mix électrique utilisé pour alimenter ces installations.

Par ailleurs, plusieurs analystes alertent sur le risque que la demande croissante des datacenters accapare une grande part des nouveaux investissements en énergies renouvelables, ce qui pourrait « cannibaliser » l’effort de décarbonation dans d’autres secteurs critiques.

En Europe : risques, tensions et défis réglementaires

En Europe, la planification énergétique de la filière numérique apparaît comme insuffisante selon le rapport du Shift Project. Le think tank estime que les raccordements validés aujourd’hui satureront leur capacité d’ici dix ans, ce qui pourrait générer des conflits d’usage sur le réseau électrique national.

À l’échelle du continent, le rapport du Shift Project anticipe que la part de la consommation électrique dédiée aux datacenters pourrait atteindre 8 % d’ici 2035, entraînant le recours à davantage d’émissions de gaz.

Dans ce contexte, les choix de régulation – quotas d’émissions, subventions ciblées, mécanismes d’injection d’énergie renouvelable – seront décisifs pour éviter que le développement numérique ne devienne un cheval de Troie pour la reprise des fossiles.

Quelles perspectives possibles ?

Le scénario pessimiste est celui d’un « verrouillage fossile » : face à des pointes de demande et à l’absence de capacité de stockage ou de régulation suffisante, les opérateurs pourraient continuer à utiliser des générateurs fossiles pour assurer la résilience, verrouillant ainsi un modèle à haute émission.

Mais une trajectoire plus vertueuse est concevable. Si l’augmentation des capacités renouvelables (éolien, solaire, stockage) est pilotée de manière stratégique, et si des normes fortes de sobriété numérique et d’efficacité énergétique sont imposées, on pourrait éviter que la croissance du secteur numérique ne fasse reculer les objectifs climatiques.

Le rôle des États et des régulateurs sera central si l’on souhaite éviter l’accroissement exponentiel des émissions parallèlement au nombre croissant de datacenters. Cela passe par imposer des plafonds, contraindre l’usage de sources fossiles d’appoint, favoriser les interconnexions, anticiper les goulots d’étranglement, et intégrer les datacenters dans les schémas nationaux de transition énergétique.

Pour aller plus loin

Posté le par La rédaction


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