L’élaboration de la théorie de la lubrification élastohydrodynamique, avec la compréhension des phénomènes complexes qu’elle met en jeu, est une des avancées majeures dans le domaine de la tribologie au cours du xx e siècle. La révélation de l’existence d’un film lubrifiant insoupçonné jusque-là a bouleversé cette science, en expliquant la remarquable efficacité de la lubrification dans les contacts hertziens. La lubrification élastohydrodynamique (EHD) se produit dans les contacts soumis à un effet de poinçonnement (surfaces non conformes), avec des pressions locales très élevées, essentiellement dans les roulements, les engrenages et les dispositifs à came.
Dans ces contacts soumis à une forte charge, la déformation élastique locale des surfaces en regard modifie la géométrie des pièces au voisinage du contact. L’équilibre hydrodynamique est alors régi non seulement par l’équation de Reynolds, mais également par la piézoviscosité de l’huile et par la théorie de Hertz, ce qui permet d’engendrer des films d’épaisseur suffisante pour séparer les pièces et limiter leur frottement et leur usure. Il s‘agit donc d’un domaine très important pour ses applications pratiques : la théorie EHD permet maintenant de concevoir rationnellement les roulements, les engrenages et les dispositifs à came, en optimisant la géométrie du contact et les conditions de fonctionnement pour maximiser l’épaisseur du film d’huile.
Il se produit cependant deux phénomènes qui contribuent à réduire l’épaisseur du film lubrifiant et qui sont localisés à l’entrée du contact : les effets thermiques et les conditions d’alimentation. Les modèles actuels proposent des facteurs correctifs qui traduisent la diminution de l’épaisseur du film lubrifiant causés par ces deux phénomènes.
Cet article présente le développement de cette théorie et ses avancées récentes au début des années 2000.
Historique
L’avancée la plus remarquable dans le domaine de la lubrification élastohydrodynamique fut sans conteste la théorie élaborée dans l’ombre en 1939 par le Russe Ertel et publiée 10 ans plus tard par Grubin. En effet, cette théorie donne une épaisseur de film confortée par les résultats d’essais, et qui est 10 à 100 fois plus importante que celle obtenue avec la théorie hydrodynamique publiée par Martin en 1916 en considérant des corps rigides et un lubrifiant isovisqueux. Dans les années qui suivirent, de nombreux modèles semi-empiriques ont été élaborés et améliorés pour calculer l’épaisseur du film lubrifiant. Les paramètres du contact sont groupés pour former des paramètres adimensionnés, utilisés par la suite pour trouver une expression analytique des épaisseurs de film minimale et centrale. La distinction claire des différents régimes de lubrification est due aux travaux de Johnson et de Hamrock et Dowson : rigide isovisqueux, rigide piézovisqueux, élastique isovisqueux et élastique piézovisqueux.
L’école hollandaise avec Moes et Venner a défini d’autres paramètres adimensionnés qui ont permis de développer les résolutions analytiques pour aboutir à une synthèse des différentes théories élaborées au cours du xx e siècle, ce qui permet aujourd’hui en 2014 de traiter des cas plus complexes. Ainsi, de nombreuses recherches actuelles en élastohydrodynamique portent sur la caractérisation et la modélisation des fluides lubrifiants non newtoniens.