Alors que des millions de panneaux photovoltaïques arrivent progressivement en fin de vie, la question de leur recyclage devient un enjeu industriel, environnemental et stratégique majeur.
Aujourd’hui, les procédés les plus répandus se contentent souvent de broyer les panneaux, sans permettre une valorisation fine des matériaux. Pourtant, les cellules photovoltaïques renferment des matières critiques et précieuses – argent, silicium, cuivre, aluminium, verre – dont la récupération de haute qualité pourrait alimenter d’autres industries ou, à terme, fabriquer de nouveaux panneaux.

C’est précisément le pari de ROSI, une entreprise française fondée en 2017 et installée près de Grenoble. Spécialiste du recyclage à haute valeur ajoutée, ROSI a développé un procédé unique, mêlant pyrolyse, mécanique de précision et chimie douce, qui permet d’extraire et de purifier les matériaux contenus dans les panneaux solaires avec une finesse inédite. Objectif : ne plus considérer ces panneaux comme des déchets, mais comme de véritables gisements de matières premières industrielles, prêtes à être réinjectées dans des chaînes de production locales.
Damien Letort, responsable commercial chez ROSI, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur les technologies mises en œuvre par la start-up grenobloise pour être en mesure de revaloriser les panneaux solaires en fin de vie de manière optimale.
Techniques de l’Ingénieur : Le solaire connaît une croissance rapide à l’échelle mondiale. Comment situez-vous cette dynamique et quel est le positionnement de la France aujourd’hui ?
Damien Letort : À l’échelle mondiale, l’électricité d’origine solaire représente actuellement environ 4 à 5 % de la production, et devrait atteindre 20 % d’ici 2030. C’est une progression fulgurante. Dans certains pays, comme le Pakistan, on importe chaque année jusqu’à 15 GW de capacité solaire, alors qu’en France, on peine à ajouter 4 à 5 GW par an, difficultés d’autant plus marquées par le contexte et décisions politiques actuels.
La France, pourtant pionnière dans le photovoltaïque, connaît depuis quelques années un ralentissement de la dynamique. Aujourd’hui, malgré un potentiel évident, nous avons du mal à retrouver une dynamique cohérente. Les objectifs énergétiques sont parfois contredits par des décisions ponctuelles, comme l’évolution des obligations sur les ombrières de parking. Ce manque de stabilité freine les investissements.
En quoi votre procédé de recyclage se distingue-t-il des méthodes plus classiques utilisées dans le secteur ?
La plupart des méthodes actuelles de recyclage sont très macroscopiques : elles consistent souvent à broyer les panneaux pour en extraire quelques composants, au détriment de la pureté des matériaux. Chez ROSI, nous adoptons une approche industrielle de précision, pensée pour maximiser la qualité des matériaux recyclés.
Notre procédé, développé depuis 2017 et breveté, repose sur trois étapes principales : une pyrolyse entre 400 et 600 °C pour éliminer les polymères (EVA, PET, PVDF), un tri mécanique pour séparer le verre, le cuivre et les cellules de silicium, puis un traitement chimique doux pour isoler le silicium du dépôt d’argent. Ce procédé nous permet de produire des matériaux directement réutilisables dans l’industrie, sans polluants résiduels.
Cette précision est rare : nous sommes parmi les seuls au monde à séparer proprement le silicium et l’argent à l’échelle industrielle. De plus, nous opérons en continu, les filières du recyclage nécessitant des usines de grande capacité, ce qui est unique pour un acteur aussi jeune que nous.
Que deviennent concrètement les matériaux extraits des panneaux solaires en fin de vie ?
L’aluminium et le cuivre rejoignent des filières classiques, déjà bien structurées. Le cuivre, par exemple, a un taux de recyclage d’entre 40 et 50 % en France. Nous les revendons à des logisticiens spécialisés, qui alimentent ensuite les fondeurs. Pour ces deux métaux, nous n’avons pas vocation à recréer une filière mais à nous intégrer à l’existant.
Le verre photovoltaïque, lui, est très prisé par les verriers industriels. Il est transparent, pur, sans oxydes métalliques, donc sans coloration, et permet jusqu’à 3 % d’économies d’énergie par tonne dans le processus de refonte. Cela représente un levier non négligeable dans un contexte de variabilité des prix du gaz.
L’argent extrait des panneaux est envoyé à des affineurs pour produire des lingots. Selon le World Silver Survey de 2024, la consommation d’argent dans les panneaux photovoltaïques représente plus de 15 % de la consommation mondiale d’argent, cet argent récupéré chez nous représente près de 40 % du chiffre d’affaires. Enfin, le silicium recyclé est déjà valorisé dans des applications chimiques, et suscite de l’intérêt dans d’autres secteurs industriels comme le secteur des batteries.
Pourquoi ne pas réutiliser directement ces matériaux pour fabriquer de nouveaux panneaux ?
C’est un objectif à moyen terme, mais plusieurs freins existent. D’abord, sur le plan technique : pour produire du silicium adapté au photovoltaïque, il faut atteindre une pureté entre 9 N et 10 N, et surtout séparer les couches dopées différemment. Ces opérations sont complexes et coûteuses.
Ensuite, sur le plan logistique, 95 % des panneaux sont aujourd’hui fabriqués en Chine. Fermer la boucle impliquerait de renvoyer nos matériaux là-bas, ce qui fait moins de sens aux niveaux écologique et stratégique. D’où notre choix d’une boucle ouverte : nous vendons les matériaux à des industries locales, ce qui permet de réduire les émissions de CO₂ tout en assurant leur valorisation industrielle.
Cela dit, nous suivons de près les projets de réindustrialisation du photovoltaïque en Europe. Nous avons de nombreux échanges avec Voltec Solar par exemple, un acteur français qui mérite d’être soutenu, et aussi avec les porteurs de projets de gigafactories comme Holosolis ou Carbon.
Où en êtes-vous du déploiement industriel de ROSI en Europe ?
Notre première usine est opérationnelle depuis juin 2023 à La Mure, près de Grenoble. Elle est le fruit de plusieurs années de R&D, de tests à différentes échelles et de soutiens publics, notamment européens.
Nous prévoyons d’ouvrir une deuxième usine en Espagne d’ici fin 2026, avec une montée en puissance progressive jusqu’à 10 000 tonnes de panneaux recyclés par an. En parallèle, nous discutons d’un projet en Allemagne, notamment avec des clients industriels intéressés par notre silicium bas carbone. L’idée est d’adapter la stratégie aux dynamiques nationales.
Comment sécurisez-vous votre approvisionnement en panneaux à recycler ?
Il s’agit là d’un enjeu absolument fondamental. Tous les panneaux n’ont pas la même composition : certains contiennent plus d’argent, d’autres moins, certains se recyclent mieux que d’autres. Il faut donc non seulement sécuriser les volumes, ce qui est en bonne voie grâce à notre partenariat avec l’éco-organisme SOREN, mais aussi veiller à la qualité des apports.
Cela implique une sensibilisation des acteurs de la collecte et du transport. Nous insistons par exemple pour que les panneaux soient correctement palettisés afin d’éviter les dommages physiques ou les risques pour nos opérateurs. Ce n’est pas un déchet qu’on jette, c’est une ressource qu’on valorise. Mieux elle est traitée, plus elle aura de valeur.
Pourquoi avoir choisi la région grenobloise pour implanter votre site pilote ?
C’est d’abord une histoire de racines. Les trois cofondateurs sont issus du bassin scientifique grenoblois, notamment du SIMaP. Ensuite, l’installation à La Mûre a été facilitée par le soutien de la région et de la communauté de communes, dans un territoire historiquement industriel – notamment pour la production de charbon – en reconversion.
Il existe aussi un écosystème local très dynamique autour des énergies renouvelables et de la recherche. Nous ne sommes pas seuls : d’autres entreprises du solaire y sont implantées. Cela crée des synergies utiles et un tissu industriel stimulant.
Un mot de conclusion ?
Oui, un mot sur l’humain. ROSI, c’est avant tout une équipe. Une trentaine de personnes aujourd’hui, réparties entre l’usine et le siège, qui travaillent avec passion et exigence pour faire avancer la transition énergétique. Ce que nous faisons est technologiquement complexe, mais c’est aussi une aventure collective. C’est rare et précieux de sentir une telle cohérence entre la mission, la technique et les valeurs humaines, et c’est aussi cela qui participe à la réussite actuelle de l’entreprise.
Propos recueillis par Pierre Thouverez









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