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Décryptage

Comment évaluer les émissions polluantes des véhicules liées aux aménagements routiers ?

Posté le par Nicolas LOUIS dans Environnement

L'IFPEN a développé un modèle numérique pour cartographier les émissions polluantes des véhicules liées à la voirie : présence d'un ralentisseur, un rond-point, une limitation de vitesse... Il s'appuie sur les données collectées par l'application Geco Air.

Les quantités d’émissions polluantes rejetées par des véhicules varient en fonction de leurs caractéristiques techniques, notamment de leurs moteurs, mais aussi des conditions de conduite. Celles-ci vont dépendre du style de conduite du conducteur, de la fluidité du trafic, mais aussi d’un dernier élément dont on n’a pas forcément conscience et qui pourtant saute aux yeux : l’aménagement de la voirie. La présence d’un ralentisseur, d’un rond-point ou plutôt d’une limitation de vitesse vont en effet dicter la manière de conduire aux chauffeurs. Face à ce constat, l’IFPEN (IFP Énergies nouvelles, successeur de l’Institut français du pétrole) a développé un outil de modélisation pour cartographier avec précision les émissions polluantes des véhicules selon les caractéristiques des différents segments routiers.

À l’origine de ce travail de recherche, l’exploitation des données des véhicules connectés via de simples smartphones que l’on appelle la « Floating Car Data ». Normalement, pour évaluer de manière précise la pollution émise par des comportements de conduite, un capteur nommé PEMS (Portable emissions measurement system) doit être posé à la sortie du pot d’échappement d’un véhicule. Il va alors mesurer les polluants émis en condition réelle sur la route. Par contre, ce dispositif se révèle coûteux et complexe à mettre en œuvre. L’IFPEN a donc développé un modèle de calcul dynamique afin d’évaluer les émissions de polluant en analysant la vitesse des véhicules, obtenue grâce aux données GPS.

Les quantités d’émissions polluantes varient en fonction du style de conduite

De ce premier travail de modélisation, naît en 2014 une application à télécharger gratuitement sur son smartphone appelée Geco. L’utilisateur rentre sa plaque d’immatriculation, et grâce à un service de l’argus, les spécificités techniques de son véhicule sont automatiquement intégrées : groupe motopropulseur, taille, poids… À l’époque, l’objectif était de sensibiliser les conducteurs à leurs styles de conduite et de tenter de réduire la consommation de carburant des véhicules, qui engendre un rejet de CO2 dans l’atmosphère.

Une nouvelle application est lancée en 2017 appelée Geco Air. Cette fois-ci, elle calcule également les émissions de polluants locaux impactant la qualité de l’air comme les particules fines et les oxydes d’azote. Une nouvelle version apparaît en début d’année 2021 et prend en compte les mobilités douces comme les transports en commun ou les trottinettes.

A gauche, le nouveau modèle numérique développé par l’IFPEN permet de cartographier plus précisément les émissions polluantes des véhicules sur chaque segment routier comparé aux modèles actuels (à droite). Crédit photo : IFPEN – Institut Carnot

« Actuellement, 30 000 utilisateurs ont téléchargé cette application, soit autant de capteurs virtuels, et nous avons enregistré 75 millions de kilomètres, explique Guillaume Sabiron, chef de projet qualité de l’air à l’IFPEN. La vocation de l’application reste la sensibilisation du grand public à sa propre empreinte environnementale mais parallèlement, nous avons décidé d’exploiter ces données d’une autre façon et à des fins de recherche. Plutôt que de faire un retour individuel à chaque conducteur sur ses trajets, nous avons décidé d’agréger tous les trajets qui sont passés sur un segment routier. Nous sommes ainsi capables d’estimer non plus l’impact du style de conduite sur les émissions, mais l’impact des infrastructures routières sur ces émissions. Car notre style de conduite nous est imposé par les aménagements sur la voirie et une bonne partie des émissions est donc liée à leur typologie. »

Le réseau routier cartographié grâce à de l’intelligence artificielle

Sauf que l’IFPEN ne dispose pas de suffisamment de données enregistrées en temps réel par l’application Geco Air sur chaque segment routier. Un second modèle numérique est alors développé afin de contourner cette difficulté. Celui-ci va cartographier l’ensemble du réseau routier en France puis, grâce à de l’intelligence artificielle, notamment des réseaux de neurones et des forêts aléatoires, faire un travail de segmentation pour créer des typologies de brins routiers. Par exemple, l’un d’eux va regrouper toutes les avenues ayant deux voies avec une vitesse limitée 50 km/h et qui se terminent par un feu de circulation.

Le modèle numérique va ensuite aller chercher tous les enregistrements réels collectés par l’application Geco Air sur un même type de brin routier, puis compiler toutes les données afin de créer un conducteur virtuel. Et au final, le logiciel est capable de prédire le comportement des conducteurs, c’est-à-dire la vitesse de leur véhicule, seconde par seconde, sur chaque type de brin routier. « Par exemple, sur un segment limité à 20 km/h avec un ralentisseur, on aura toujours le même profil de vitesse sur chaque portion de ce segment en fonction de la congestion. À partir de là, notre modèle numérique va être en mesure de calculer les émissions polluantes comme si les données avaient été enregistrées en temps réel depuis notre application pour smartphone. »

Le modèle numérique testé sur la carte routière de Marseille

En partenariat avec l’Ademe et la métropole de Marseille, ce nouveau modèle numérique vient d’être testé sur la carte routière de cette ville. Résultat : l’estimation des quantités d’émissions polluantes est beaucoup plus précise que d’autres modèles existants. « Sur un brin routier de 200 mètres avec un ralentisseur, nous sommes capables de prédire seconde après seconde les accélérations, les freinages… Sur ce genre de brin dont le parcours dure par exemple 50 secondes, nous avons 50 mesures de vitesses différentes et donc 50 mesures d’émissions polluantes différentes alors que les modèles actuels prennent en compte une simple vitesse moyenne sur tout le trajet et donc une seule estimation des émissions très agrégée. »

Un autre projet est actuellement en cours, toujours en collaboration avec l’Ademe, pour appliquer ce modèle sur la métropole du grand Lyon. Son objectif est de prédire, pour chaque typologie de segment routier, les quantités d’émissions polluantes moyennes. Et ainsi répondre à ce genre de questions : un segment avec un rond-point émet-il plus de polluants que celui avec un feu rouge ? Ou alors, quel est l’impact de la pose d’un ralentisseur devant une école pour faire baisser la vitesse des voitures ? Le résultat de ce travail sera connu à la rentrée prochaine.

À terme, l’objectif de ce travail de recherche est de donner des préconisations d’aménagements routiers aux décideurs publics. « Pour l’instant, avec les outils actuels, il est impossible de savoir précisément l’impact de la modification des infrastructures sur les émissions polluantes. Grâce à notre modélisation, nous serons par exemple capables de prédire quel va être l’impact sur la qualité de l’air de la mise en place dans un centre-ville d’une zone à faible émission interdisant la circulation des voitures de critères 4 et 5. »

Pour aller plus loin

Posté le par Nicolas LOUIS


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