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Décryptage

L’abondance des énergies fossiles masque le potentiel des énergies renouvelables

Posté le par La rédaction dans Environnement

Le boom des gaz et pétrole de schiste américain a bouleversé l’échiquier énergétique à l’échelle mondiale, et en particulier en Europe. La Chine est aujourd’hui le laboratoire très actif où se joue l’avenir énergétique de la planète toute entière.

« Aujourd’hui, moins d’un tiers des 7 milliards d’habitants de la planète consomment les deux tiers de l’offre énergétique (…) Mais d’ici 2050, 9 milliards d’humains aspireront à une vie prospère, tirant la demande de toutes les énergies à la hausse » a rappelé Khalid Al-Falih, PDG de la compagnie pétrolière saoudienne Saudi Aramco, à l’occasion du Congrès mondial de l’énergie qui a commencé le 14 octobre 2013 en Corée du sud.

Soulignant l’intérêt des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique il a aussi affirmé sans tabou que le monde dispose de ressources en charbon, pétrole et gaz « abondantes » du fait notamment des nouvelles technologies d’extraction des combustibles, notamment dans le domaine des gaz et pétrole de schiste, mais aussi des ressources offshore. Khalid Al-Falih a estimé que « la révolution américaine va se propager loin et avec ampleur ». Le gaz de schiste, dont le bilan CO2 est meilleur que celui du charbon, est au cœur de la diplomatie énergie/climat de l’administration Obama. 

Abondance

Les écotechnologies Wind Water Sun (éolien, hydro, géothermie, énergies marines et solaire) sont dès à présent disponibles, mais nous sommes aujourd’hui en situation de surabondance Charbon-Pétrole-Gaz. Si le démarrage de la voiture électrique est encore timide, ce n’est pas parce que le business-model BetterPlace repris par le groupe Renault avec sa gamme ZE n’est pas pertinent, mais uniquement parce que les gens ne veulent pas, à coût égal, que l’autonomie de leur véhicule soit réduite à 160 km au lieu des 800 km de leur voiture à pétrole. Même les automobilistes les plus « écolos » y renoncent à l’heure de signer le chèque lors de l’achat d’un nouveau véhicule. Et ceci même si un réseau de station-robots échangeuses de batteries est en place, comme c’est le cas en Israël. 

Ce n’est pas la pénurie énergétique ou le manque de créativité et d’intelligence de Shaï Agassi qui a tué Better Place mais au contraire l’émergence très rapide du pétrole et gaz naturel de schiste, qui ont changé la donne à l’échelle mondiale, ce que personne ne pouvait prévoir. Better Place n’avait de sens que dans un contexte de raréfaction du pétrole et de flambée des prix du pétrole.

C’est également ce boom lié à de nouvelles technologies d’extraction des ressources énergétiques fossiles qui a tué Desertec, en plus de l’instabilité politique en Afrique du nord (« révolutions arabes ») et enfin de la prise de conscience que les ressources énergétiques renouvelables européennes sont suffisantes pour répondre à nos propres besoins.

C’est enfin le gaz de schiste qui perturbe les plans énergétiques européens : le charbon, boudé aux USA du fait de l’abondance du gaz naturel, est exporté à un prix très bas vers l’Europe, ce qui conduit à la fermeture des centrales à gaz européennes étant donné que l’Europe importe du gaz russe plus onéreux. Au final, cela a un impact sur le bilan CO2 européen, et des défenseurs du nucléaire en France en profitent et tentent faire croire que c’est intégralement la conséquence du développement des énergies renouvelables en Allemagne.

La surabondance énergétique n’est pas, en soi, une mauvaise nouvelle ! Elle signifie que les 9,5 milliards d’être humains de 2050, point culminant de la démographie mondiale avant le début d’un lent déclin, selon les démographes, pourront vivre de manière prospère. Point fondamental, comme l’ont démontré Mark Jacobson, directeur du département énergie et atmosphère de l’université Stanford  et bien d’autres scientifiques, une « Electron-Economy » (concept du physicien Ulf Bossel) reposant sur le trio 100% renouvelable Wind Water Sun peut répondre intégralement à la demande énergétique de 9.5 milliards d’êtres humains vivant selon les standards d’Europe de l’ouest. Le disque terrestre intercepte une énergie solaire équivalente à plus de 8000 fois l’énergie totale (y compris transport, chauffage, etc.) consommée par l’ensemble de l’humanité. D’un point de vue théorique, Mark Jacobson a montré que le potentiel de l’éolien terrestre, à lui tout seul, peut répondre à la totalité de cette demande. 

Une transition énergétique progressive

La transition vers l’Electron-Economy, qui se fera au rythme du déclin progressif des énergies fossiles, est un formidable levier de croissance économique. C’est le marché qui décidera de la vitesse de la transition. Encourager les ENR avec des subventions (tarifs d’achat etc.), cela va un moment, dans une première phase. Mais quand elles commencent à peser de manière significative dans le mix énergétique, alors ce n’est plus possible, la population finit par se plaindre de la hausse des prix. Ce n’est pas généralisable à l’échelle de l’ensemble des pays du monde. Les pays lancés dans cette dynamique prennent peu à peu conscience de l’impact qu’une politique trop généreuse envers les ENR peut avoir sur leur compétitivité. Une approche trop idéaliste peut s’avérer contre-productive.

Pour André Antolini, Président d’honneur du Syndicat des énergies renouvelables, les « qualités intrinsèques [des énergies renouvelables] ne font plus débat. Elles apportent deux garanties fortes à la collectivité. Elles sont garantes de la sécurité d’approvisionnement qui, dans un monde désormais contraint par la finitude des énergies traditionnelles « de cueillette », s’avère toujours plus précieuse. Et, elles limitent très objectivement l’empreinte écologique de l’homme, dont l’utilisation de plus en plus intensive des ressources naturelles à, jusqu’à présent, marqué notre histoire et risque à l’avenir d’être malheureusement plus dangereuse encore (…) »

Que les pays riches subventionnent légèrement l’éolien terrestre et les grandes centrales solaires photovoltaïques au sol dans le sud européen où le gisement solaire est abondant, centrales qui sont déjà proches de la compétitivité, est tout à fait rationnel dans le cadre de politiques visant à réduire la pollution de l’air affectant la santé humaine, la consommation d’eau douce (les centrales thermiques sont des gloutonnes en la matière) et à augmenter l’autonomie énergétique des territoires (décentralisation). « Le dernier appel d’offre relatif aux centrales photovoltaïques au sol en France a fait apparaître des projets avec un tarif d’achat inférieur à 10 centimes d’euros le kWh » souligne Guilhem De Tyssandier d’Escous, ingénieur au sein d’un groupe spécialisé dans les grands projets ENR. Les coûts du solaire PV baissent chaque année davantage. Et le tarif d’achat de l’éolien terrestre est en France de 8,6 centimes d’euros pendant 10 ans. C’est tout à fait raisonnable sur le plan économique. 

Mais faut-il subventionner massivement les petites installations photovoltaïques sur les toitures des maisons des particuliers dans le nord de l’Allemagne (installations bien plus onéreuses que les grandes centrales au sol), l’éolien maritime (deux fois plus onéreux que l’éolien terrestre) ou le nucléaire EPR (la Grande Bretagne va probablement acheter le kWh à 10,9 centimes d’euros) qui repose sur un combustible importé ? On peut s’interroger.

« Il est temps de refonder le cadre économique qui régit le développement [des énergies renouvelables]. Après une période initiale d’une dizaine d’années que l’on pourrait qualifier de « conquête de l’Ouest », époque des aventures pionnières, mais aussi des Himalaya de scepticisme, ne faut-il pas aujourd’hui revoir la méthode et engager notre pays dans un plan raisonné, optimisé et planifié de développement » interroge André Antolini, appelant à un « âge de la raison » en matière d’ENR. « Tout en apportant les services précieux qu’elles sont en mesure de fournir naturellement, elles rentreraient pleinement dans l’âge de la maturité : celui de la planification efficace, de la cohabitation possible avec le marché, de la compétitivité assumée et du développement industriel solide (…) »

Il est donc important que la puissance publique pousse à l’investissement dans la Recherche & Développement afin de faire baisser le coût des panneaux solaires et des systèmes de stockage de l’énergie. C’est exactement le message du Copenhaguen Consensus Center de l’influent danois Bjørn Lomborg, rejoint par plusieurs Prix Nobel d‘économie, et du Breakthrough Institute des intellectuels américains Ted Nordhaus et Michael Schlessinger. Investir dans la recherche pour faire baisser les coûts des écotechnologies est sans doute la meilleure façon de les rendre compatibles avec le marché mondial et d’assurer ainsi leur large expansion, de manière naturelle.

Les pays dits « du sud » ne renonceront pas à leur développement

Selon une étude de Bloomberg Energy, la Chine va ajouter jusqu’à 2030 chaque année 88 GW de nouvelles centrales électriques (soit davantage que la puissance électro-nucléaire française), dont la moitié seront renouvelables, en premier lieu hydroélectrique et éolien terrestre. La Chine investit ainsi dans les filières énergétiques qui ont du sens sur le plan économique. Au total, la puissance électrique chinoise totale va plus que doubler d’ici 2030. Sur les 1583 GW de nouvelles capacités prévues, la moitié porte sur des projets d’énergies renouvelables, qui vont attirer au total 1400 milliards de dollars d’investissements.

 « Il est difficile de sous-estimer l’influence de la consommation énergétique chinoise et de l’évolution de son mix électrique » a déclaré Michael Liebreich de Bloomberg Energy Finance à Londres. « Les impacts iront bien au-delà la Chine et auront des implications pour le reste du monde, tant au niveau du prix du charbon et du gaz qu’au niveau de la taille du marché des technologies associées aux énergies renouvelables »

La Chine importe du gaz naturel sous forme liquéfiée (LNG), ce qui est coûteux. C’est donc le charbon, disponible localement et bon marché, qui complètera le mix selon les prospectivistes. Ainsi, plus forte sera la progression des renouvelables, moins forte sera celle du charbon. « Malgré des progrès significatifs dans le domaine des énergies renouvelables,  le charbon restera dominant en 2030 » estime Jun Ying de Blomberg Energy Finance à Pékin. « Si la Chine veut réduire sa dépendance envers le charbon, elle devra intensifier ses efforts pour soutenir les énergies renouvelables, le gaz et l’efficacité énergétique » Selon les experts, les émissions de CO2 de la Chine pourraient commencer à décliner vers 2027.

Ce qui est certain c’est que les pays émergents considèrent leur droit au développement comme « un droit inaliénable ». Ils l’ont rappelé fermement lors du sommet climatique de Copenhague. De quels droits européens et américains, responsables des trois-quarts des molécules de CO2 anthropiques actuellement dans l’atmosphère, pourraient-ils oser leur faire la morale sur ce point ? Cela serait perçu, au mieux, pour de la naïveté, et au pire, pour une nouvelle forme de colonialisme. Celui de l’atmosphère.

Par Olivier Daniélo

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