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Le casse-tête de l’encadrement juridique des nanotechnologies

Posté le par La rédaction dans Chimie et Biotech

Le principe de précaution place en tête de toutes les exigences le respect de la santé humaine et de l’environnement. Il est cependant très difficile de légiférer lorsque l’on n’est pas capable d’évaluer les dangers et les risques. Voici un point sur les différentes réglementations et sur les travaux de normalisation concernant les nanomatériaux.

Les craintes autour des nanotechnologies se focalisent principalement autour de trois thèmes. D’une part, l’interaction avec le vivant laisse penser que l’on pourra non seulement soigner les humains, mais aussi les « améliorer ». D’autre part, en électronique et technologie de l’information et de la communication, la miniaturisation implique des conséquences pour la protection des libertés individuelles. Enfin, les nanomatériaux posent des problèmes de toxicité et d’écotoxicité, les substances ayant des propriétés différentes à l’échelle nanométrique.

Les deux premiers aspects relèvent avant tout d’un débat de société. Au niveau légal, l’interaction avec le vivant est régie, en partie dumoins, par les lois de bioéthique, qui devront évoluer en fonction de choix sociétaux. Concernant les TIC, on peut se demander si la loi est suffisante. Alex Türk, président de la Cnil, a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme lors de la réunion de clôture du grand débat public sur les nanotechnologies (lire l’article « Débat sur les nanotechnologies : conclusion ou confusion ?« ).

La question est donc vaste. C’est pourquoi, nous avons choisi de restreindre le propos en nous intéressant, dans cet article, principalement à la réglementation concernant les nanomatériaux. Comme l’explique Sonia Desmoulin-Canselier, chargée de recherche CNRS, dans un article de la base documentaire de Techniques de l’ingénieur : « Il n’existe pas en droit positif de règle juridique spécifique. Il n’en résulte pas pour autant de vide juridique, puisque des solutions plus générales s’appliquent. »

Une recherche encadrée par les fonds publics

La liberté de la recherche est un principe fondamental, qui s’inscrit cependant dans certaines limites comme le respect de la propriété industrielle, la protection de la santé des personnes, de l’environnement et des animaux, la protection des travailleurs ou encore la protection de valeurs jugées fondamentales. La recherche est aussi encadrée par certains textes, qui n’ont pas toujours une valeur juridique. C’est le cas par exemple du code de bonne conduite européen (recommandation de la Commission européenne du 7 février 2008).

« Le code de bonne conduite n’est pas aussi contraignant qu’un texte réglementaire national mais il reste tout de même efficace », indique l’avocat Etienne Wéry. En effet, dans le public, le financement des projets suppose son respect. La volonté d’être publiée pousse également à tenir compte de cette charte. Pour le privé, cet encadrement est moins efficace, mais d’autres contraintes s’appliquent, notamment liées à la mise sur le marché. Quant au secteur militaire, il échappe à tout encadrement. « C’est la grande inconnue », estime-t-il.

Le respect du principe de précaution

Le principe de précaution, tel qu’il apparaît dans les textes européens, appelle à faire avancer les connaissances sur les risques et demande que les décisions publiques visent le plus haut niveau de protection de la santé, notamment des travailleurs, et de l’environnement au regard des « meilleures données scientifiques disponibles » et des « résultats les plus récents de la recherche internationale ». Le principe de précaution figure également dans la Charte de l’environnement. Ces textes ont poussé les autorités à saisir les différentes agences de sécurité sanitaire, de protection de l’environnement ou de risques émergents. Pour l’instant, elles concluent à « un risque possible, bien que non avéré, de dommages graves pour la santé et l’environnement en lien avec certains nanoparticules et leurs spécificités. » (lire l’article « Nanomatériaux : l’Afsset recommande la prudence« )

Les autorisations de mise sur le marché

Il existe des systèmes d’autorisation, de notification, de déclaration ou de certification avant la mise sur le marché pour certains produits comme les médicaments, les nouveaux aliments et additifs alimentaires, les cosmétiques et désormais les substances chimiques. La Commission européenne a fait une proposition de texte pour la cosmétique et l’alimentaire en mars 2009, et le sujet devrait être prochainement relancé.

Dans le cadre du Grenelle de l’environnement, la France s’est engagée : « L’Etat se donne pour objectif que, dans un délai de deux ans qui suit la promulgation de la présente loi, la fabrication, l’importation ou la mise sur le marché de substances à l’état nanoparticulaire ou des matériaux destinés à rejeter de telles substances, dans des conditions normales ou raisonnablement prévisibles d’utilisation, fassent l’objet d’une déclaration obligatoire, relative notamment aux quantités et aux usages, à l’autorité administrative ainsi que d’une information du public et des consommateurs. »

D’une manière générale, il existe deux écoles. La première plaide pour une autorisation préalable de mise sur le marché, qui peut se traduire au niveau des Etats membres – l’avantage de cette solution étant que les Etats sont plus directement responsables devant les citoyens – ou pour une autorisation au niveau européen. « Cela permet alors de mieux partager l’information et d’avoir une équipe de grands experts, explique Etienne Wéry. Dans ce cas, il faut que l’autorité européenne soit financée de façon décente. Il ne faut pas reproduire ce qui se passe pour les OGM avec d’un côté une autorité qui ne fait que valider les travaux des requérants et de l’autre des autorités nationales qui bloquent les mises sur le marché. Il faut une autorité vraiment indépendante qui puisse produire ses recherches propres. »

L’autre école plaide pour laisser les entreprises libres tant qu’elles respectent certaines règles. « Aujourd’hui ce sont les industriels qui sont responsables des produits qu’ils mettent sur le marché », rappelle Daniel Bernard, conseiller scientifique auprès de la R&D d’Arkema.

Reach et bientôt nano reach

Dans une communication « Aspects réglementaires des nanomatériaux », l’Europe propose d’inclure les propriétés spécifiques de la nanoforme de la substance dans le dossier d’enregistrement de Reach. « On travaille sur un nano Reach à Bruxelles, il s’agit d’intégrer non pas seulement la composition mais les risques liés à la réactivité, explique Daniel Bernard. L’atome de surface n’a pas la même réactivité chimique, ce qui peut entraîner une toxicité. » Il est question d’introduire l’obligation de faire des études complémentaires pour une taille inférieure à 100 nm. « Je suis favorable à une réglementation spécifique à condition que l’on soit bien d’accord sur la définition », commente-t-il. (lire l’article « Nanomatériaux : l’Afsset recommande la prudence« )

La normalisation en avance sur la réglementation

Il existe un travail important de normalisation dans le domaine des nanotechnologies, avec une quarantaine de normes en chantier à l’ISO (organisation internationale de normalisation). L’un des enjeux majeurs concernent la définition des termes.

« Nous travaillons par consensus avec toutes les parties prenantes, les autorités publiques, les industriels, la recherche académique et les ONG, raconte Daniel Bernard. Il s’agit d’un débat ouvert et non polémique. » Deux grands principes régissent la normalisation : une norme résulte d’un consensus d’experts et elle est d’application volontaire. Cela signifie que l’industrie l’applique car elle apporte un plus (technique, commercial, communication…). Les normes servent souvent de base à la législation. « C’est une des premières fois que l’on se pose la question de la normalisation en même temps qu’un ensemble de technologies se développent, affirme Daniel Bernard. Cela me semble très positif. »

Au niveau international, cela suppose de s’entendre entre régions du monde qui ont parfois des visions bien différentes. L’Amérique du Nord et l’Europe ont une approche de protection de la santé, alors que les pays émergents, et notamment la Chine, la Corée ou le Brésil, ont une vision plus économique. « La Chine a initié les premières normes en 2003 qui s’imposent au niveau mondial », rappelle-t-il.

Des questions en suspens

  • Peut-on imaginer un moratoire ?

« Imaginons un moratoire sur les nanomatériaux en Europe, nous n’aurions plus de voiture, ni de télévisions ! » estime Daniel Bernard. On utilise par exemple des nanotubes dans les batteries lithium des téléphones portables. Cela pose aussi le problème de la détection des nanomatériaux dans un objet sophistiqué, notamment pour les produits importés.

  • Peut-on exiger un étiquetage des produits avec une mention « nano » ?

D’une part très peu de personnes lisent les étiquettes. D’autre part, une mention claire du type « contient des nanomatériaux » n’a aucun sens tant les nanomatériaux ont des propriétés et des dangerosités diverses. Cependant, le consommateur doit être mieux informé sur les risques. (lire l’article « Nanomatériaux : l’Afsset recommande la prudence« )

  • Peut-on organiser un traitement spécifique des déchets ?

Aucune réglementation ne tient compte de la spécificité des déchets provenant des nanotechnologies générés durant tout le cycle de vie des produits, du stade de la fabrication à la fin de vie, en passant par leur usage.

Corentine Gasquet

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