Alors que les vagues de chaleur s’intensifient dans le monde entier, une équipe de chercheurs internationaux a développé un nouveau type de peinture blanche capable de maintenir les surfaces des bâtiments bien plus fraîches qu’avec les revêtements classiques. Cette innovation repose sur une approche inédite par intelligence artificielle et sur les propriétés de métamatériaux nanophotoniques, offrant un potentiel révolutionnaire en matière d’efficacité énergétique.
La gestion de la chaleur est un défi technologique et environnemental majeur, que ce soit pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments, contrer l’effet d’îlot de chaleur urbain ou concevoir des systèmes de refroidissement passifs, notamment pour l’industrie spatiale (satellites, stations spatiales, rover…). Dans ce contexte, une équipe de chercheurs publie dans Nature un article présentant une approche inédite de génération de méta-émetteurs thermiques (thermal meta-emitters, ou TMEs) optimisés par intelligence artificielle. Leur méthodologie permet de concevoir des matériaux nanophotoniques tridimensionnels aux propriétés thermiques adaptées, allant bien au-delà des limites des approches traditionnelles.
Les enjeux de l’émission thermique contrôlée
L’émission thermique, phénomène dû à l’agitation thermique des corps, constitue un levier important dans la conception de matériaux fonctionnels. En nanophotonique thermique, il s’agit de contrôler finement le spectre, la direction et la polarisation de la lumière infrarouge émise par ces matériaux. Les applications sont nombreuses : camouflage thermique, capteurs infrarouges, thermophotovoltaïque, refroidissement passif diurne et spatial, etc.
Mais chaque application a des besoins très différents en matière d’émission thermique. Par exemple, pour rafraîchir un bâtiment sans climatiseur, il faut que le matériau émette beaucoup de chaleur dans une zone précise du spectre infrarouge (entre 8 et 13 micromètres), tout en réfléchissant la lumière en dehors de cette zone pour éviter de chauffer. À l’inverse, dans l’espace, il est préférable que le matériau émette sur une large plage de longueurs d’onde. Ces différences rendent très difficile la conception d’un matériau capable de répondre à plusieurs objectifs en même temps.
Limites des méthodes classiques de conception
Jusqu’à présent, la conception des émetteurs thermiques se faisait surtout par essais et erreurs, en utilisant des méthodes classiques basées sur la physique, comme l’empilement de couches minces. Ces approches sont limitées : elles imposent des formes simples, peu de choix de matériaux, et utilisent des algorithmes qui ont du mal à trouver les meilleures solutions. Résultat : les matériaux obtenus ne sont pas toujours très performants, leur spectre est souvent trop étroit, et il est difficile de créer des structures vraiment complexes en trois dimensions.
Une plateforme généraliste fondée sur le machine learning
Pour pallier ces limitations, l’équipe présente une plateforme d’optimisation par apprentissage automatique (machine learning). Leur approche repose sur trois innovations majeures :
- une optimisation globale multi-paramètres, capable d’explorer un vaste espace combinant structures 3D, arrangements spatiaux et diversité de matériaux, en exploitant un jeu de données parcimonieux ;
- un modèle tridimensionnel innovant, appelé three-plane modelling, permettant de décrire des structures complexes en trois dimensions, bien au-delà des géométries planes traditionnelles ;
- une capacité de design inverse automatisé, générant plus de 1 500 méta-émetteurs inédits, dont les performances optiques et radiatives surpassent les émetteurs actuels.
Cette approche permet d’accélérer considérablement le processus de création de matériaux aux propriétés sur mesure, en tenant compte de la complexité spectrale et structurelle des besoins.
Validation expérimentale et performances
Parmi les structures conçues, sept TMEs ont été réalisés et testés expérimentalement. Ils affichent des émissivités optimales dans les plages spectrales cibles et des capacités de refroidissement radiatif diurne supérieures aux designs de référence. Les chercheurs ont notamment mis en œuvre un revêtement à base de dioxyde de titane et de polymères spécialement structurés pour une application sur les toits des bâtiments, avec des résultats très prometteurs. Cette peinture a permis d’abaisser de 5,6°C la température de surface par rapport à un bâtiment peint à la peinture blanche conventionnelle, et de 21°C par rapport à un bâtiment peint en gris (couleur usuelle).

Perspectives et applications
Les retombées potentielles de cette méthodologie sont multiples. En architecture et urbanisme, elle pourrait alimenter le développement de peintures et revêtements intelligents pour lutter contre la surchauffe des bâtiments. Les scientifiques annoncent que dans les régions tropicales, l’utilisation de cette peinture sur les bâtiments pourrait permettre une économie significative d’énergie. En climat très chaud, les économies d’énergies annuelles liées à la climatisation intérieure pourraient ainsi atteindre l’équivalent de 15 800 kWh. Dans l’industrie spatiale, cette méthodologie permettrait d’optimiser la gestion thermique des satellites. Plus généralement, ce cadre d’ingénierie assistée par IA s’avère transposable à d’autres familles de matériaux fonctionnels : absorbeurs, filtres optiques, senseurs, etc.
En facilitant le design inverse de structures nanophotoniques complexes, cette approche pourrait révolutionner le développement de matériaux sur mesure, adaptés à des conditions environnementales spécifiques. La synergie entre intelligence artificielle et science des matériaux ouvre ainsi la voie à une nouvelle génération de technologies thermiques intelligentes, à la fois efficaces, adaptables et potentiellement industrialisables.









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