L’obsolescence dans le contexte économique, historique et sociétal

Dans cet article, nous revenons sur un des facteurs premiers de l’obsolescence, constitué par la diffusion du progrès technologique, c’est-à-dire l’innovation, qui peut rebattre les cartes de l’existant via le phénomène de la destruction créatrice. Cette diffusion de l’innovation est portée par des « stimulants » économiques : économies d’échelle et effet d’expérience nourrissent naturellement la diffusion de l’innovation, avec un relais vertueux complémentaire souvent recherché dans l’internationalisation des débouchés, dans le cadre d’une spécialisation croissante des entreprises et des territoires. Ce jeu d’innovation et de recherche de « taille critique » agit alors comme un puissant facteur de réorganisation dans le champ compétitif et influence le cycle de vie des technologies, des entreprises et des gammes de produits. En ce sens, il pèse sur la pérennité des entreprises et peut être facteur d’obsolescence.

La combinaison de ces phénomènes a pleinement joué depuis la première révolution industrielle et dans le monde de l’après 1945. La croissance a été portée par l’internationalisation progressive des économies dans un contexte de développement technologique accéléré. La résultante est un système de production de plus en plus internationalisé et spécialisé, avec des acteurs de plus en plus importants qui définissent un système de plus en plus interdépendant. S’ensuit l’apparition de grandes puissances économiques au marché intérieur toujours plus intégré, parallèlement au développement des échanges entre ces grandes puissances. L’émergence de la Chine depuis 40 ans comme nouvel acteur de premier plan dans le système productif mondial intégré dans un jeu d’échange et de rivalité croissante avec les États-Unis et l’Union européenne en est un exemple. L’émergence de la filière électronique et des mouvements de réorganisations successifs de la production au niveau mondial est aussi un exemple emblématique des forces en jeu. De ce point de vue, le système productif des systèmes et des objets apparaît fortement collaboratif sans que tous les acteurs aient sciemment agi dans ce sens. Ceci a permis de développer l’efficacité de chaque acteur majeur du système et d’optimiser l’efficience. Néanmoins, les facteurs de dépendance réciproque ont fortement progressé avec les risques d’obsolescence associés. En ce sens, le « retour en arrière », vers une régionalisation entre pays, présentera un défi technique et économique dans de nombreux cas.

Les nouveaux défis visant à préserver la paix et la collaboration commerciale entre grands pays, ainsi que le défi climatique, pourraient remettre en cause une partie des gains des dernières décennies et peser à l’avenir sur l’intensité et les sources d’obsolescence.

En première partie, nous verrons en quoi l’accélération de l’innovation depuis la révolution industrielle et sa diffusion ont eu un tel impact sur l’accélération de l’obsolescence et ont rendu les économies modernes globalement plus sensibles au risque d’obsolescence. Pour cela, il est intéressant de constater la forte accélération historique de la croissance, née avec la première révolution industrielle, et de comprendre le rôle joué par le phénomène de destruction créatrice schumpétérien induit par l’innovation et sa diffusion. Ce phénomène de diffusion a été renforcé par les gains associés au passage à l’échelle via les économies d’échelle et l’effet d’expérience. Ces gains se sont historiquement traduits par la recherche d’une internationalisation croissante des marchés et des échanges. À la clé, un renforcement de la complexité des chaînes de production et une spécialisation accrue des producteurs de biens et de services, phénomène à la source d’une progression de l’efficience et de l’efficacité mais susceptible de renforcer le risque d’obsolescence du fait d’une moindre robustesse des chaînes d’approvisionnement.

En seconde partie, nous analyserons le rôle du progrès technique et de l’innovation dans l’Histoire comme facteurs importants d’obsolescence, avec une accélération depuis l’après-guerre (1945). Ceci a conduit à un monde en forte croissance avec un développement du commerce international qui a vu une intégration progressive de nouveaux pays dans le dispositif de production mondiale. Ceci s’est fait également par la constitution de zones intégrées entre pays avec des marchés d’une taille de plus en plus massive. L’émergence de la Chine comme nouvel acteur de premier plan n’est pas sans conséquence sur le niveau d’interdépendance du système de production mondial et sur le risque d’obsolescence. L’évolution de la filière électronique est emblématique d’une accélération des enjeux de compétition et de spécialisation entre les acteurs (entreprises et États), avec des risques d’obsolescence accentués sur des pans de l’économie de plus en plus larges.

En conclusion, les évolutions des dernières décennies avaient pour présupposé un monde ouvert et en paix relative. Par ailleurs, la disponibilité des matières était considérée comme relativement aisée, dans le cadre d’un échange plutôt internationalisé avec une utilisation possible des réserves carbone sans considération climatique. Le nouveau monde qui se présente fait poindre avec le retour de la guerre (ou tout du moins de tensions géostratégiques sérieuses) et un défi écologique inédit pour l’humanité, lié au réchauffement climatique, un défi majeur à gérer qui suppose une forme de « retour en arrière », difficile à réaliser et porteur de sources d’obsolescence avérées qu’il faudra identifier et tenter de résoudre ou d’amoindrir dans les années à venir.