Plusieurs villes de France favorisent le développement durable des activités de jardinage en réponse à la demande sociale croissante pour des jardins potagers urbains (collectifs ou familiaux), et en raison des services écosystémiques rendus par ces activités : participation à une transition alimentaire vers un système plus durable (productions locales, pratiques agro-écologiques, lien social, paysages) et à l’économie circulaire . On compte en 2018 à Paris une centaine de sites de jardins et à Toulouse le nombre de sites a été multiplié par trois entre 2006 et 2016. Mais, les espaces urbains disponibles sont rares et fréquemment pollués surtout lorsqu’ils sont anciens et densément peuplés. Or, certains polluants sont persistants dans l’environnement : éléments métalliques (métaux et métalloïdes), composés organiques dont les hydrocarbures totaux (HCT), les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) et les polychlorobiphényles (PCB). Il est donc crucial pour les gestionnaires des villes qui mettent à disposition des citoyens des sites de jardins potagers urbains de disposer d’une méthodologie pour évaluer et gérer les potentiels risques environnementaux et sanitaires pour les usagers de ces sites.
De plus, les citoyens sont généralement très attachés aux sites de jardins collectifs ou familiaux (péri)urbains dans lesquels ils se rencontrent et jardinent depuis des années ; c’est pourquoi lorsqu’une pollution est découverte les usagers souhaitent continuer leurs activités de jardinage et demandent au maire de trouver des solutions.
À titre d’exemple, les études réalisées par la direction régionale et interdépartementale de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt d'Ile-de-France (DRIAAF) en 2008 concernant les jardins urbains de la ville de Montreuil ont montré une contamination des sols et des végétaux par les métaux (plomb, cadmium, cuivre, mercure et zinc) avec des dépassements des seuils réglementaires européens en plomb pour les végétaux prélevés. Cette contamination est due à l'amendement réalisé depuis la fin du XIXe siècle et aux activités industrielles environnantes. Les mesures de gestions mises en place en tenant compte des aspects écologique et économique sont : l’excavation des sols les plus pollués, le remplacement de certains sols contaminés par la terre végétale et la phytoremédiation. L’arrêté municipal de 2012 donne des préconisations sur la typologie de végétaux à cultiver.
Les pollutions observées dans les jardins urbains sont principalement liées à :
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l’occupation du sol antérieure au jardin (installation sur d’anciennes zones industrielles, zone d’épandage de déchets urbains…) ;
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la proximité de sites industriels en activité ou fermés (type ICPE en France). Douay et al. ont constaté dans certains jardins potagers de la région Nord-Pas-de-Calais, proches de l’usine Metaleurop, une contamination importante en Pb et en Cd des sols et végétaux (radis, laitue, haricot, pomme de terre et tomate) ;
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la proximité d’une route : Säumel et al. ont mis en évidence l’influence de l’activité routière et de la configuration urbaine sur la concentration en métaux de plantes horticoles à Berlin. Gelman s’est intéressé à la concentration en différents polluants (hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), métaux) de légumes cultivés hors sol sur les toits d’Helsinki. Selon Branchu et al. , les sols des jardins associatifs urbains anciens situés à une distance de moins de 30 m de voies à trafic soutenu sont ainsi susceptibles d’être contaminés par le plomb et le zinc. C’est pourquoi, cette distance à la route minimum de 30 m est parfois utilisée par des collectivités comme valeur seuil pour concevoir l’implantation de nouveaux jardins ;
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les retombées atmosphériques dans les jardins (sur les sols et végétaux) de polluants présents dans des particules fines atmosphériques issues en particulier des cheminées de bâtiment industriel parfois présentes à de grandes distances des sites d’agriculture urbaine ;
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l’utilisation de fertilisants et pesticides en excès, de boues ou de composts contaminés .
La connaissance de la qualité du sol et de l’air dans les zones (péri)urbaines où des activités de jardinage et plus largement de productions agricoles (par des amateurs ou des professionnels) sont pratiquées est ainsi devenue indispensable pour une gestion raisonnée des risques sanitaires. C’est pourquoi, depuis 2000, différentes collectivités françaises ont entrepris des études sur leur territoire pour évaluer et réduire les risques associés au jardinage dans différentes situations de contamination (Toulouse, Aubervilliers, Montreuil, Nantes, Montigny-les-Metz, Rennes, etc.). Plusieurs projets de recherche « sciences et société » visant le développement d’outils méthodologiques, la compréhension des enjeux sociétaux ou des mécanismes bio-physico-chimiques impliqués dans les écosystèmes jardins font écho à ces études opérationnelles :
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Ittecop 2013-2016 (MEDDE, Ademe), La nature au bord de la route-2. Des collectifs de jardins pour une conception « soutenable » des infrastructures de transports terrestres ;
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Jassur, Jardins Associatifs Urbains : fonctions, pratiques et risques (ANR Villes Durables 2013-2016) ;
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Guide d’échantillonnage des plantes potagères dans le cadre des diagnostics environnementaux (Ademe, INERIS, CERTOP, etc. 2014) : http://www.developpement-durable.gouv.fr/Guide-d-echantillonnage-des.html ;
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BAPPET, BAse de données sur les teneurs en Éléments Traces métalliques de Plantes Potagères (Ademe, INERIS, CERTOP, etc. 2011 mis à jour en 2014) : http://ssp-infoterre.brgm.fr/bappet-teneurs-en-etm-des-plantes-potageres ;
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BaPPOP, BAse de données sur la contamination des Plantes Potagères par les molécules Organiques Polluantes (ADEME, INERIS, INPL, CERTOP, ISA, 2015).
Afin de prévenir ce type de situation et dans une démarche d’amélioration continue, la ville de Paris a piloté entre 2014 et 2016 le projet « POTEX » : réalisation et étude de potagers urbains expérimentaux pour tester, sur trois années, des solutions d’aménagement réalistes visant la réduction de l’exposition humaine aux polluants. Un comité pluridisciplinaire d’experts scientifiques a accompagné la métropole pour construire une méthodologie robuste tenant compte des transferts sol-plante-atmosphère des polluants. Les concentrations totales en polluants dans les matrices (sols, terres végétales, air et végétaux) et les fractions bioaccessibles ont été mesurées. Pour évaluer l’adéquation entre les caractéristiques des sites de jardins potagers et leur usage, sous le prisme de l’exposition des populations fréquentant les jardins et les consommateurs des végétaux autoproduits, une interprétation de l’état des milieux (IEM) a été réalisée et une évaluation quantitative des risques sanitaires liés au jardinage urbain dans divers contextes a été effectuée. Cet article présente et discute le cadrage méthodologique d’évaluation des risques sanitaires pour les jardins urbains développé dans le cadre du projet POTEX. Cette méthodologie pluridisciplinaire englobe des aspects très différents et complémentaires de manière à prévenir le risque lié à la consommation des végétaux autoproduits. Elle comprend : la description et les aménagements possibles des sites étudiés ; le choix des composés et des végétaux cultivés ainsi que les critères de leur sélection ; l'échantillonnage et la caractérisation des sols et des végétaux et la bioaccessibilité des composés dans ces matrices ; l'interprétation de la qualité des sols et des végétaux en considérant les valeurs de référence pour ces matrices ; la démarche de l'IEM (choix des substances, des concentrations, des valeurs toxicologiques de référence et des paramètres d'exposition et d'interprétation des résultats) ; des préconisations concernant les pratiques de préparation des végétaux mises en évidence dans le cadre de ce projet POTEX.