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Interview

Le CRBA étudie les plantes comestibles pour faire face aux bouleversements climatiques

Posté le par Séverine Fontaine dans Environnement

C’est sur la ferme Melchior que le Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA) situé à Charly, près de Lyon, travaille sur des variétés de plantes comestibles locales, nationales et internationales pour étudier leur résistance au changement climatique.

Des plantes résistantes à des écarts de température importants, à la sécheresse, tout en gardant de bonnes qualités nutritionnelles et cultivées sans intrants chimiques : c’est ce que recherche le Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA), pour les importer en métropole lyonnaise. Le centre réalise des expéditions à l’international pour trouver ces nouvelles variétés. Il les étudie ensuite à la ferme Melchior, divisée en trois parties : le conservatoire des semences, la ferme et la station d’expérimentation Vavilov. Pour l’étude de ces variétés, le centre collabore avec différents partenaires tels que le CNRS, l’ENS de Lyon ou encore le lycée agricole de Saint-Genis-Laval. Nous avons échangé avec Stéphane Crozat, directeur scientifique du CRBA, pour comprendre l’origine de la recherche et les résultats actuels.

Techniques de l’Ingénieur : Quel est le point de départ de ces recherches ?

Stéphane Crozat : En travaillant de 2003 à 2008 sur un programme de recherche du CNRS, j’ai découvert que la région lyonnaise, dans la seconde moitié du 19e siècle, a été l’un des plus grands centres de création horticole en Europe. Des dizaines de milliers de variétés ont été créées dans la région. Les roses créées représentaient 60 % des variétés mondiales obtenues. C’était la deuxième ressource économique de la ville ! Mais quand nous avons recherché le patrimoine, il ne restait plus grand-chose sur place. C’est en Russie, à l’Institut Vavilov de Saint-Pétersbourg, que nous avons retrouvé 250 variétés lyonnaises, et nous en avons rapatrié une centaine. L’objectif de Nikolaï Vavilov (botaniste et père de la génétique mondiale), en développant cette banque de graines, était de nourrir le monde. Et il était conscient que, pour y parvenir, il lui fallait une grande diversité génétique, qu’il est allé chercher principalement lors d’expéditions ou en les commandant dans le monde entier.

La station Vavilov cultive différentes variétés pour tester leur résistance aux changements climatiques (crédit : CRBA)

Vous recherchez des plantes résistantes au changement climatique ?

Les laboratoires de création végétale mondiaux comme Bayer ou Monsanto ont créé des variétés qui, grâce à la chimie, vont s’affranchir de leur environnement – sol et climat – n’importe où dans le monde. Le problème, c’est qu’aujourd’hui, nous devons nous passer de la chimie qui détruit les sols et a des conséquences sur la santé humaine et la biodiversité. Alors, comment on s’adapte ? Comme Vavilov en a eu l’intuition : en trouvant la plus grande diversité pour pouvoir les étudier.

Comment les étudiez-vous ?

À la station Vavilov, on effectue différents tests. On cultive les variétés, on les compare, et on fait de la caractérisation agronomique : taille, couleur, comportement (besoins en eau, résistance au froid, à la maladie, productivité, qualité nutritionnelle, etc.). On fait également des tests organoleptiques qui consistent à faire goûter plusieurs variétés pour les classer de la plus sucrée à la plus acide, par exemple. Cela nous donne les grandes caractéristiques que l’on va ensuite étudier en laboratoire. Certaines caractéristiques sont liées au taux de vitamines, au taux de sucre, mais pas toujours : ce n’est pas parce qu’une tomate est sucrée qu’elle a forcément un taux de sucre important. Autre exemple : les légumineuses dont le taux de protéines est variable d’une variété à l’autre. On reprend l’idée que Vavilov a eue entre 1924 et 1926, à savoir tester 150 variétés (blé, soja, maïs, lin, etc.) sur 90 sites différents, du sud du cercle polaire jusqu’en zone semi-tropicale, pour comprendre ce qui permettait le rendement et la qualité nutritionnelle. Est-ce plutôt la génétique ? Le terroir ? Les deux ? Pour des variétés de blé par exemple, ce qui faisait le rendement, c’est la variété. Mais la qualité nutritionnelle c’était l’environnement. Ainsi, pour la même variété de blé, le taux de protéine pouvait varier entre 1,5 et 22 %. Aujourd’hui la moyenne nationale des blés est de 11,5.

Vous étudiez uniquement les semences locales ?

Non, l’idée est d’aller chercher des ressources différentes dans les zones sauvages et les zones hyper continentales. Par exemple, en 2015, nous avons fait une expédition dans le Caucase et on a prélevé 300 échantillons de plantes (légumes et fruits) à la même latitude que Lyon, mais autour de la mer Noire jusqu’à 1 800 m d’altitude. En 2019, j’étais dans une station Vavilov du Daghestan au-dessus de l’Iran, où l’amplitude thermique était -20°C +53°C. À 50°C, ils ont des variétés de melon et de pastèque qui produisent, alors que nous, non. Ou des arbres fruitiers qui produisent dans des zones avec cet écart de température, c’est super intéressant, et c’est ce que nous allons chercher pour les tester à Lyon dans la station. Quand on a de bons résultats, on les cultive dans la ferme Melchior, sur une année ou deux, sur des surfaces plus grandes pour voir ce que ça donne en termes de rendement. Et une fois convaincus, on va les passer dans la production de semences grâce à notre seconde ferme dédiée, pour les distribuer aux agriculteurs de la métropole.

Lorsque vous cherchez une variété à produire, vous allez rester dans les caractéristiques du territoire ? Vous n’allez pas chercher de variétés du Mexique pour les implanter à Lyon, par exemple ?

Si, pourquoi pas. On a tendance de manière intuitive à se dire, comme il y a un réchauffement climatique, on va remonter les variétés du sud vers le nord. Alors on le fait déjà un peu, mais c’est un peu contre-intuitif. Par exemple l’hiver dernier, on a eu des gelées tardives. Alors il vaut mieux aller chercher les variétés dans les zones hyper continentales plutôt que dans une zone où l’amplitude thermique est +5°C +53°C. Car si la température est à 0°C, ça ne passe plus. Comme on est plus sur un dérèglement avec des épisodes de chaud, froid, sécheresse, etc., on va chercher les variétés qui vont nous permettre de nous adapter au mieux.

Vous cherchez également des espèces sauvages.  Pourquoi ?

Pour les comparer. En fait, les espèces sauvages ont de bonnes qualités nutritionnelles. Les taux de protéines et vitamines sont plus importants, car les plantes vont développer des vitamines pour résister contre les agresseurs et les maladies. Pourquoi ne pas garder les sauvages puisqu’elles sont plus nutritives ? Eh bien, comme elles ont élaboré des mécanismes de défense, elles sont moins digestes. Si vous deviez manger ce que le Néandertal mangeait, vous ne pourriez pas. L’intérêt de retourner aux plantes sauvages à l’origine de la plante cultivée est de regarder ce qu’il y avait en qualités nutritionnelles à l’origine. Par exemple, l’Inra a sélectionné des brocolis peu amers et on s’est rendu compte que les nouvelles variétés étaient de plus en plus sensibles à la mouche du chou. La mouche du chou déteste l’amertume. Moins le chou est amer, plus il est attaqué et plus il est sensible aux maladies.

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