Cet article présente l’exploitation des potentialités de la réalité virtuelle dans le milieu industriel. Historiquement l’industrie manufacturière (automobile, aéronautique, activités ferroviaires…) exploite la réalité virtuelle depuis un quart de siècle et même plus ! L’expression « réalité virtuelle » n’existait pas quand on a développé les simulateurs de transport, il y a un demi-siècle environ, avec lesquels on immerge un conducteur pour aider à la conception et à l’évaluation du futur moyen de transport.
Définir la réalité virtuelle est une tâche indispensable. On trouve encore dans la littérature et dans les médias des définitions qui mélangent malencontreusement la finalité de la réalité virtuelle, ses fonctions, ses applications et les techniques sur lesquelles elle repose, telles que le visiocasque.
Il faut prendre du recul par rapport à tous les domaines d’activités qui revendiquent d’exploiter la réalité virtuelle. Après réflexion faite au début des années 1990, indépendamment des technologies exploitées, il est apparu que, dans tous les domaines, la finalité de la réalité virtuelle est de permettre à un usager d’agir physiquement dans un environnement artificiel, ce dernier étant créé numériquement pour être modifiable. Pour y agir physiquement, il faut déjà que l’usager y soit immergé, ce qui se fait via certains de ses sens. Et son activité physique se réalise par ses actions motrices (musculaires). Donc, en termes plus précis, plus scientifiques, nous parlerons d’activités sensorimotrices, au lieu d’activités physiques. Évidemment, si concrètement, techniquement il s’agit de proposer une activité sensorimotrice à une personne, il en découle aussi des activités cognitives (mentales) qui peuvent être le but recherché de l’application, les activités sensorimotrices n’étant alors qu’un moyen (figure 1).
Concernant l’environnement, artificiel au niveau sensorimoteur, celui-ci peut être totalement virtuel ou, dans les cas de la réalité augmentée, partiellement virtuel. La finalité que partagent depuis longtemps tous les acteurs travaillant dans ce domaine, est en conséquence :
La finalité de la réalité virtuelle est de permettre à une personne, ou à plusieurs, des activités sensorimotrices et cognitives dans un environnement artificiel, créé numériquement, qui peut être imaginaire, symbolique ou une simulation de certains aspects du monde réel.
Cette définition précise que nous avons trois cas théoriques, fournissant des potentialités différentes pour les applications : créer un monde imaginaire (applications artistiques), exploiter des entités symboliques ou simuler certains aspects du monde réel. Pour les applications industrielles, nous exploitons le troisième cas, mais notons que des applications peuvent également bénéficier d’entités symboliques :
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pour représenter des phénomènes physiques à assimiler par l’utilisateur ;
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pour représenter symboliquement le temps. Classiquement, pour le déroulement temporel d’événements ou d’étapes, un diagramme chronologique est facilement visualisable symboliquement pour éclairer l’utilisateur ;
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pour représenter symboliquement des espaces. Par exemple, dans une formation d’opérateurs sur une chaîne de montage se réalisant virtuellement, des indications symboliques peuvent signaler les zones dangereuses.
Depuis quinze ans environ, la réalité virtuelle est d’un usage quotidien pour aider à la conception dans certaines entreprises tandis que, pour d’autres, on est encore en phase de R&D. Pour les entreprises pionnières (automobile et aéronautique), il reste toutefois encore des recherches et des développements à effectuer pour certaines applications complexes. Un exemple d’application encore en R&D est la simulation d’un système de systèmes, comme le projet Sinetic, auquel notre équipe de recherche de Mines ParisTech a participé. Ce projet consiste à créer un simulateur d’un trafic de voitures autonomes, communicantes entre elles, et d’étudier, entre autres, le comportement d’un conducteur lors de certaines phases de conduite, grâce à la réalité virtuelle. Le système englobe un simulateur de trafic de voitures d’une ville, un simulateur de trafic à courte distance (zone d’un carrefour par exemple), des simulateurs des comportements dynamiques des voitures dans l’environnement routier, des simulateurs de comportement de conducteurs de conduite autonome et de conducteurs de conduite manuelle (ces derniers respectant plus ou moins le code de la route), un simulateur des communications entre véhicules (avec simulation des pertes de communications) et un simulateur de l’intérieur d’un véhicule où est immergé un vrai conducteur. Celui-ci doit, par exemple, sortir ou rentrer manuellement dans un peloton de voitures communicantes entre elles. Tous les simulateurs doivent fonctionner en synchrone. Un tel projet n’a pu être réalisé que grâce aux cinquante dernières années de R&D du domaine des simulateurs de transport.
La simulation de certains aspects du monde réel peut se décliner sous différents objectifs. Certaines activités en environnement artificiel sont proches des activités correspondantes en environnement réel, mais de quelle façon ? La similitude de l’environnement artificiel avec l’environnement réel n’est souvent réalisée que pour certaines modalités sensorielles, non pas qu’il y ait un obstacle technicoéconomique, mais parce que l’application ne l’exige pas. En exemple simple, il n’est pas nécessaire de simuler les accélérations et les vibrations sur le corps du conducteur d’une voiture pour tester l’ergonomie visuelle d’une planche de bord. La simulation visuelle peut suffire. Nous développerons au § 3 cette problématique essentielle en proposant une méthodologie qui a fait ses preuves. Toujours dans les généralités, en nous basant sur les fonctions cognitives humaines, les applications industrielles ont pour objectif de :
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concevoir les applications permettant aux ingénieurs de concevoir ou d’expérimenter certaines propriétés d’un produit pour évaluer sa conception avant sa fabrication réelle. Cela concerne aussi la conception ou la modification des processus industriels, telles que les chaînes de montage pour évaluer l’aménagement des machines, l’accessibilité, l’ergonomie des postes de travail, etc. ;
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apprendre avec le but d’immerger un apprenant dans un environnement artificiel visant à lui enseigner le fonctionnement d’un procédé industriel complexe, d’une opération de maintenance, etc. ;
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comprendre. Il s’agit de faciliter la compréhension d’événements, de phénomènes ou d’un ensemble de données complexes, en immergeant l’utilisateur et en lui permettant d’agir sur ces données dans un environnement virtuel les représentant. Pour les industries chimiques et pétrolières, la simulation visuelle de processus complexes n’est pas forcément suffisante et il faut permettre à l’usager de pourvoir interagir sur les données (l’essence même de la réalité virtuelle). En exemple classique et exploité depuis vingt ans, la simulation, via un CAVE (Cave Automatic Virtual Environment : ensemble de 3 à 6 grands écrans entourant l’usager) (figure 11), des puits de forage et des couches géologiques, permet aux différents corps de métiers (géologues, sismologues, foreurs…) d’interagir avec leur modèle du sous-sol pour faire les bons choix de forage lors de revue de projets.