Les logiciels libres ne constituent pas une technique comme la program-mation objet, ils ne sont pas écrits dans un langage de programmation particulier ou destinés à une plate-forme spécifique. Ce qui les définit est d’une autre nature : leur licence d’utilisation institue un régime de propriété sociale collective, qui autorise chacun à accéder au code source, à l’utiliser comme il l’entend, à le modifier et à redistribuer le résultat de ces modifications. Par cette invention « juridique », les fondateurs des logiciels libres ont rendu possibles divers modèles de développement partagé des logiciels. Des réalisations de grande ampleur en ont résulté dans des domaines aussi divers que les systèmes d’exploitation, les interfaces graphiques, la technologie pour les médias, les logiciels embarqués ou le calcul en grappes et en grille. Des innovations spécifiques ont émergé ou ont été diffusées dans le cours de ce mouvement, qu’il s’agisse de supports au développement ou de fonctionnalités comme le partage de fichiers pair à pair. Le lecteur devra donc toujours garder à l’esprit qu’au-delà de telle ou telle réalisation remarquable (les logiciels supports d’Internet ou du Web, le système d’exploitation GNU/Linux et ses milliers d’applications, par exemple), c’est le mécanisme de création et de partage rendant possibles les logiciels libres qui mérite l’attention.
À l’heure actuelle, un grand débat se développe à l’échelle mondiale : les logiciels libres sont-ils un modèle général, ayant vocation à s’étendre au moins à l’ensemble des plates-formes et des applications génériques, ou une simple curiosité sociétale destinée à des groupes d’usagers passionnés ? Ce débat a des dimensions politiques, sociales, culturelles et économiques qui échappent à un ouvrage encyclopédique technique. Mais il a aussi une dimension proprement technique. En donnant au lecteur une compréhension générale des mécanismes, réalisations, atouts et difficultés techniques des logiciels libres, cet article de synthèse vise à permettre à chaque lecteur de se faire sa propre opinion, et d’utiliser au mieux les potentialités de ce domaine.
Le contenu de cet article doit beaucoup au groupe de travail européen sur les logiciels libres – en particulier en ce qui concerne le paragraphe 1 dont plusieurs extraits sont simplement traduits ou adaptés de son rapport [1] – et aux contacts de l'auteur avec les développeurs et usagers d’Europe et d’ailleurs. Ils ne peuvent être tous cités ici, mais l’article tout entier constitue un hommage à leur activité. Il y a aujourd’hui quelques centaines de milliers de développeurs de logiciels libres dans le monde, des dizaines de millions d’usagers conscients, et chacun de nous est usager à un titre ou un autre d’infrastructures et de normes qui n’existeraient pas sans les logiciels libres.
Les opinions exprimées dans ce texte sont celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue officiel de la Commission européenne. L’auteur maintient également une version en ligne de ce texte sous la « GNU Free Documentation License », version destinée à être amendée, complétée et mise à jour.