Le régime des inventions de salariés fixé par les articles L. 611-7 et suivants du Code de la propriété intellectuelle est d’ordre public, ce qui signifie qu’il n’est pas possible d’y déroger par contrat, sauf si les conditions contractuelles sont plus favorables au salarié.
Dès lors, le meilleur moyen de limiter les conflits en matière d’invention de salarié réside :
- à défaut de règles internes ou contractuelles plus favorables aux salariés, dans le strict respect de la loi par l’employeur ;
- la mise en place d’une politique d’information des salariés afin de leur permettre de connaître les règles applicables et de s’y conformer.
Cette politique peut également s’accompagner de dispositifs d’incitation qui permettront en outre de favoriser le développement du portefeuille de brevets de l’entreprise.
Le respect des règles applicables
Les articles L. 611-7 et suivants du Code de la propriété intellectuelle posent une série de règles fixant les droits et obligations de l’employeur et du salarié.
Parmi ces règles, il convient de rappeler que tout inventeur salarié doit déclarer son invention à son employeur. En effet, cette déclaration est indispensable pour classer l’invention et ainsi déterminer qui, de l’employeur ou du salarié en est propriétaire.
Elle est d’autant plus importante que c’est elle qui fait courir les délais permettant à l’employeur de contester le classement proposé par le salarié ou de lui demander des informations complémentaires pour lui permettre d’apprécier lui-même ce classement : à défaut, l’employeur est présumé avoir accepté le classement proposé par le salarié (article R. 611-6 du Code de la propriété intellectuelle).
(cf. Les inventions de salarié et Inventions de salariés : déclarer son invention).
En contrepartie de sa contribution inventive, tout inventeur salarié a droit à une rétribution supplémentaire, qu’il s’agisse d’une rémunération complémentaire pour les inventions de mission ou du versement d’un « juste prix » pour les inventions hors mission attribuables (cf. Inventions de salariés : la rémunération du salarié).
L’employeur a, par ailleurs l’obligation de mentionner comme tel l’inventeur dans le demandeur de brevet, sauf à ce que celui-ci s’y oppose (article L. 611-9 du Code de la propriété intellectuelle).
Enfin, s’agissant des inventions de mission, l’employeur a, depuis la loi n° 2015-990 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques du 6 août 2015 (loi « Macron »), l’obligation d’informer le salarié du dépôt d’une demande de brevet sur l’invention et de la délivrance du brevet correspondant, le cas échéant (article L. 611-7, 1° du Code de la propriété intellectuelle).
Ces règles d’ordre public peuvent, le cas échéant, être complétées par des accords spécifiques.
Ainsi, en matière d’invention de mission, la loi prévoit expressément que les conditions de la rémunération supplémentaire sont fixées par « les conventions collectives, les accords d'entreprise et les contrats individuels de travail ».
À défaut de dispositions dans la convention collective applicable, il peut donc être opportun de prévoir, selon les cas, un accord d’entreprise ou des dispositions spécifiques au sein du contrat de travail fixant les conditions dans lesquelles le salarié bénéficiera d’une rémunération complémentaire.
Attention
Les dispositions du Code de la propriété intellectuelle étant d’ordre public, toute clause contraire est réputée non écrite.
À titre d’exemple, la Cour de cassation confirme que les clauses de la « convention collective de l'industrie pharmaceutique [qui] subordonne le droit à la rémunération supplémentaire à la double condition de la délivrance d'un brevet et de l'intérêt exceptionnel que l'invention présente pour l'entreprise (…) contraires au texte désormais applicable, lequel est d'ordre public, devaient être réputées non écrites (…) dès lors que les clauses d'une convention collective ne peuvent restreindre les droits que le salarié tient de la loi » (Cass. com., 12-2-2013, n° 12-12898).
Il est donc impératif d’appliquer les règles posées par la loi mais également d’interpréter les dispositions des conventions collectives, accords d'entreprise et contrats individuels de travail au regard de la loi pour en écarter les dispositions qui restreignent les droits du salarié tels que fixés par la loi.
L’information des salariés
Si le respect du cadre légal par l’employeur est indispensable pour limiter les risques de conflit, l’information donnée aux salariés sur leurs droits et obligations constitue également un instrument essentiel dans la diminution du risque de conflit.
Selon les résultats de l’enquête réalisée en 2016 par l’Observatoire de la propriété intellectuelle, plusieurs canaux d’information sont principalement mis en place au sein des entreprises françaises :
- la mise à disposition d’informations au sein des services de propriété intellectuelle ou RH de l’entreprise ;
- l’organisation et la tenue de réunions ;
- la mise à disposition d’informations sur l’intranet de l’entreprise ;
- l’intégration de clauses spécifiques dans le contrat de travail ;
- la fourniture d’informations spécifiques au sein du livret d’accueil…
(Source : Enquête Inpi 2016).
Cette information peut porter, de manière générale, sur les modalités de déclaration de l’invention de salarié aux niveaux légal et interne mais également sur les règles applicables en termes de rémunération de l’invention : rémunération forfaitaire ou liée à l’exploitation, voire combinaison des deux systèmes.
À cet égard, la loi pose le principe de la rémunération complémentaire mais n’en fixe pas les conditions. Il est donc essentiel d’informer le salarié sur les éventuelles règles applicables résultant de la convention collective ou des accords d’entreprises.
Le risque de litige pourra également être limité en fixant, par avance, le ou les événements fixant le versement de la rémunération supplémentaire : déclaration de l’invention, dépôt de la demande de brevet, délivrance du titre… (cf. Inventions de salariés : la rémunération du salarié).
Enfin, compte tenu de la technicité de la matière et de la nécessité d’assurer la centralisation et le suivi de l’information, il est conseillé de déterminer clairement le service en charge, au sein de l’entreprise, de la gestion des inventions de salariés : il pourra s’agir, lorsqu’ils existent, du service en charge de la propriété intellectuelle ou du service R&D. À défaut, il s’agira du service des ressources humaines voire de la direction générale.
L’anticipation des cas particuliers
Afin de limiter les risques de conflit, il convient de ne pas négliger les cas particuliers susceptibles de surgir : réalisation de l’invention au sein d’une filiale étrangère, dans le cadre d’un partenariat, en collaboration avec un stagiaire, par un salarié ayant quitté l’entreprise…
Ces cas spécifiques sont autant de sources de litige qu’il convient d’anticiper en édictant des règles claires et conformes à la réglementation.
L’enquête de l’Observatoire de la propriété intellectuelle sur la rémunération des inventions de salariés a mis en évidence la multiplicité des pratiques mises en œuvre au sein des entreprises françaises, ce qui permet de dresser un panorama de ces pratiques en fonction des situations.
Panorama des pratiques identifiées dans les entreprises françaises N° | CAS | EXEMPLES DE PRATIQUES IDENTIFIÉES | OBSERVATIONS |
1. | Inventeurs multiples, salariés au sein de la même entreprise | - division de la prime entre les co-inventeurs (par nombre d’inventeurs ou au prorata de la contribution)
- application d’un barème dégressif
- attribution de la prime de base à chaque inventeur
- majoration de la prime de base puis division entre les co-inventeurs
| Les modes de rémunération sont particulièrement variés avec une pratique majoritaire tendant à diviser le montant de la prime prévue entre les co-inventeurs. À cet égard, une attention particulière doit être apportée si le choix porte sur une division au prorata de la contribution inventive, source de conflit. Un tel système doit s’accompagner de la mise en place d’un système de traçabilité de réalisation de l’invention et de la contribution des divers intervenants afin de minimiser les risques de contestation. |
2. | Inventeurs salariés multiples dont tiers à l’entreprise | - invention réalisée par les salariés d’entreprises différentes auxquels s’appliquent des règles de rémunération différentes
- invention réalisée en collaboration avec un organisme de recherche
| Une telle situation peut être source de conflit, notamment lorsque les entreprises relèvent du même groupe. Dans ce cas, il est préférable d’adopter des règles harmonisées au sein du groupe. Dans le cas des projets innovants impliquant les acteurs d’entités distinctes, des modalités de rémunération communes peuvent être envisagées lors de l’élaboration du contrat de consortium. Attention, dans ce cas, les règles communes devront suivre le régime applicable le plus favorable. |
3. | Inventeur stagiaire | - rémunération identique à celle des salariés
- rémunération spécifique
- absence de rémunération
| Souvent un stagiaire peut participer voire être à l’origine d’une invention lors de son stage. Attention, n’ayant pas la qualité de salarié, le régime des inventions de salariés ne lui est pas applicable : il n’a pas à déclarer son invention et demeure propriétaire de celle-ci. Il est donc impératif de prévoir, dans la convention de stage, le sort des inventions qui pourraient être réalisées par le stagiaire au cours de son stage et, le cas échéant, les modalités de rémunération correspondantes. |
4. | Inventeur salarié ayant quitté l’entreprise | - application de la rémunération des inventions de salariés après le départ de celui-ci
- rémunération englobée dans le solde de tout compte
- absence de rémunération
| Attention : même si le salarié a quitté l’entreprise, il conserve le droit à une rémunération complémentaire dès lors qu’il a participé à la réalisation de l’invention au moment où il était salarié. Corollairement, l’employeur conserve le droit de se faire attribuer l’invention dès lors que celle-ci a été réalisée lorsque l’inventeur était salarié. |
5. | Invention réalisée dans une filiale étrangère | - application du dispositif français dans les filiales
- application du dispositif français adapté
- dispositif spécifique
| Quel que soit le choix retenu, il convient de tenir compte : - des dispositions applicables dans le pays visé ;
- de la loi régissant le contrat de travail du salarié.
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