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Interview

Conquête spatiale : futurs matériaux pour enjeux nouveaux

Posté le par Arnaud Moign dans Matériaux

Le 30 mai 2020, la société privée SpaceX lançait son premier vol habité dans l’espace, marquant une ère nouvelle pour l’industrie aérospatiale, avec de nouveaux enjeux. Retour durable sur la lune, exploration spatiale, conquête de Mars, la réussite de ces objectifs ambitieux nécessite le développement de nouveaux matériaux, en particulier les textiles pour scaphandres.

Nous avons interrogé Peter Weiss, directeur du Département Espace de COMEX S.A et coordinateur du projet PEXTEX, à ce sujet.

Pionnière mondiale du développement des technologies pour l’intervention humaine robotique dans les environnements extrêmes, COMEX est une entreprise française fondée en 1961. COMEX participe à plusieurs projets concernant le développement de technologies permettant le retour de l’homme sur la lune, avec l’Agence Spatiale Européenne (ESA).

Combinaison spatiale “du futur”, pour sortie extravéhiculaire, design par COMEX et KEDGE (crédit : COMEX, KEDGE, Valentin Tabary, Thomas Le Roy, Elie Verneau)

Techniques de l’Ingénieur : Quel est le contexte actuel de la conquête spatiale ?

Peter Weiss : Le projet PEXTEX, auquel COMEX participe, s’inscrit dans un contexte où l’initiative est de retourner sur la Lune de manière durable. La NASA appelle cela “sustainable presence on the surface”. Il ne s’agit plus seulement d’y aller pour “planter un drapeau”, mais bien d’y installer des équipements de manière permanente. C’est le but que poursuit la NASA avec le projet ARTEMIS.

Pourquoi la Lune a-t-elle un rôle si important dans cette “nouvelle conquête spatiale” ?

L’Europe a longtemps défendu cette idée [d’implantation lunaire durable, NDLR] avec le Lunar Village du DG Wörner de l’ESA : pour permettre une exploration spatiale lointaine, il faut d’abord retourner sur la Lune et ensuite aller plus loin. La Lune peut être « le laboratoire » ou le « banc de test » de la Terre vers des contrées plus lointaines. Il serait ridicule de réfléchir à des missions habitées vers Mars si nous n’avons pas de solution permettant de retourner sur la Lune et d’y rester pour des périodes supérieures à quelques jours.

Mais il y a aussi un autre enjeu : construire une « économie lunaire ». C’est dans ce sens que j’interprète le projet du Moon Village de Wörner.

Quelle est la place de l’Europe dans ces nouveaux enjeux d’économie lunaire ?

Si on regarde aujourd’hui comment notre économie dépend des ressources extraites des profondeurs des mers, il est concevable d’imaginer que nous chercherons, à l’avenir, des ressources dans « les profondeurs » de l’espace.

L’Europe doit trouver sa place dans cet enjeu. Il n’est pas possible que le continent des explorateurs et inventeurs ne joue pas un rôle important à côté des américains, russes, chinois, indiens …

Il n’est pas concevable qu’une start-up américaine comme SpaceX arrive à faire ce que tout un continent n’arrive pas à faire. Nous avons un devoir historique de jouer un rôle fort dans cette aventure.

L’objectif du projet PEXTEX est l’identification de nouveaux matériaux et textiles pour la conception de combinaisons spatiales, susceptibles d’être utilisées pour les futures missions lunaires. Pourquoi a-t-on besoin de nouveaux matériaux pour la conquête lunaire ? Les vols habités ne datent pourtant pas d’hier ?

Le projet PEXTEX doit servir aux futurs scaphandres lunaires. Il faut souligner le mot “lunaire”, car nous ciblons en particulier des matériaux qui peuvent être une réponse à la problématique de la poussière lunaire (celle-ci est constituée de régolithe, un matériau très abrasif).

On sait aujourd’hui que les scaphandres de l’ère Apollo ont subi des dommages significatifs lors des EVA (sorties extravéhiculaires). Donc si on veut, dans l’avenir, rester plus longtemps sur la lune, il nous faut développer des équipements qui résistent à une exposition prolongée aux conditions lunaires (régolithe, nuit lunaire, radiations, températures extrêmes, etc.).

Quelles sont les caractéristiques de ces “nouveaux” textiles que vous étudiez ?

Gant intelligent, intégrant des capteurs et permettant le contrôle d’un rover lunaire ou d’un drone martien (Crédit : COMEX, Agatha Médioni)

Nous n’étudions pas seulement les matériaux résistants aux conditions lunaires. Nous regardons également du côté des « smart materials », afin d’amener d’autres fonctionnalités. On sait, par exemple, que certains textiles peuvent faire office d’affichage électronique. D’autres peuvent protéger modérément des radiations ou servir d’écran contre les impacts de micrométéoroïdes. Il y a aussi des textiles qui arrivent à s’autoréparer ou encore d’autres qui peuvent monitorer les mouvements d’un astronaute. Bien évidemment, nos choix incluent également les « matériaux classiques » que l’on trouve dans un scaphandre. Ce que nous proposons est un assemblage de matériaux, dans un ordre précis, ce qu’on appelle « un stack ».

Où en est le projet PEXTEX actuellement ?

Le projet PEXTEX est en deux phases. La première concernant l’identification des matériaux est terminée. Nous sommes dans la deuxième phase : nous proposons à l’Agence Spatiale Européenne un programme de test ou de validation qui permettra de voir si les matériaux choisis résistent à l’environnement lunaire. Pour le moment, nous avons réalisé des tests relativement classiques de l’industrie textile. En parallèle, nous sommes en train de concevoir un banc de test spécifique qui simule les conditions réelles de la surface lunaire.

Nous travaillons avec deux entités spécialisées dans ce secteur : le DITF en Allemagne qui est un des leaders Européens dans la conception et caractérisation des matériaux et textiles, ainsi que le ÖWF qui a beaucoup travaillé sur d’autres scaphandres et pour des missions analogues.

Verra-t-on un jour apparaître un scaphandre européen ?

L’Europe n’a pas, pour l’instant, vocation à développer un scaphandre. J’espère que ça changera un jour, mais ce n’est pas encore d’actualité. En revanche, les matériaux que nous étudions dans le cadre du projet PEXTEX pourraient être utilisés en tant qu’éléments dans des scaphandres développés par d’autres nations. Il y a aussi d’autres applications potentielles, comme la fabrication d’habitats gonflables ou d’autres types d’installations lunaires.

Enfin, il n’y a pas que le spatial : nous sommes en train de regarder les applications terrestres de notre étude, car les situations dans lesquelles un sujet se retrouve exposé à un environnement hostile ne manquent pas, y compris sur terre.

Propos recueillis par Arnaud MOIGN

Pour en savoir plus, c’est par ici

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