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Interview

Les territoires portuaires doivent faire leur transition

Posté le par Stéphane SIGNORET dans Environnement

A l’occasion des premières Rencontres de l’ingénierie maritime à Caen, Geoffroy Caude pointe les défis de transition auxquels les territoires portuaires et les activités maritimes et fluviales sont soumises. La décarbonation est au premier plan.

A l’initiative de plusieurs acteurs impliqués dans la transition énergétique (le Cerema, la Société Hydrotechnique de France -SHF-, Syntec Ingénierie, l’AIPCN – Association mondiale pour les infrastructures de transport maritime et fluvial – et l’Ecole supérieure d’ingénieurs des travaux de la construction de Caen), les premières Rencontres de l’ingénierie maritime se tiennent du 22 au 24 juin à Caen. Geoffroy Caude, membre permanent du Conseil général de l’environnement et du développement durable, et spécialiste des ports maritimes et des voies navigables, revient sur les enjeux principaux soulevés lors de ces rencontres.

Techniques de l’ingénieur : Quelles thématiques principales vont être traitées lors des Rencontres de l’ingénierie maritime ?

Geoffroy Caude : Cette première édition va traiter notamment de l’adaptation des infrastructures maritimes et littorales au changement climatique, mais s’intéressera aussi largement à toutes les innovations de l’ingénierie maritime. Cela englobe la prise en compte des risques climatiques, la gestion patrimoniale des aménagements, les méthodes numériques pour la construction, les ouvrages complexes nécessaires pour demain, leur intégration environnementale et sociétale, et bien sûr les énergies marines renouvelables. On n’est pas du tout dans un événement propre génie maritime (construction des navires) ni dans un colloque universitaire sur le génie portuaire et côtier. Il s’agit de Rencontres plutôt centrées sur les questions d’ingénierie appliquées aux transformations à venir de la société et aux techniques qui concourront à ces transformations.

Quels sont les principaux défis que doivent relever les infrastructures portuaires ?

L’enjeu fondamental des ports est celui de leur triple transition au sein des territoires portuaires : énergétique, écologique et numérique. En particulier, dans le domaine énergétique, une grande partie des installations étaient et sont encore largement dédiées aux énergies fossiles. Comme les objectifs de décarbonation s’accélèrent aux niveaux national et européen, les établissements portuaires doivent se donner la capacité de limiter leurs propres émissions de gaz à effet de serre ou de polluants atmosphériques et celles des industriels ou des autres activités émettrices présentes sur leur territoire. Plus largement, d’un point de vue écologique, les zones portuaires doivent intégrer un volet d’économie circulaire et penser leurs aménagements à partir des concepts « Œuvrer avec la nature » et en appliquant la séquence « Eviter, réduire, compenser ».
Désormais, dans quasiment tous les cas, la construction des projets fait intervenir le public en amont dans la conception des aménagements portuaires. L’approche environnementale est de plus en plus prise en compte via des études préalables, ainsi que la sensibilisation des différents acteurs concernés, par exemple concernant les impacts sur la biodiversité, ce qui est souvent désigné par le terme « œuvrer avec la nature ».

Les énergies renouvelables en mer vont-elles transformer les activités portuaires et maritimes ?

La France accuse pour l’instant un retard sur le développement de l’éolien en mer, par rapport aux pays d’Europe du Nord. Il y a deux raisons : la bathymétrie est favorable à ces pays alors que le long des côtes françaises, les profondeurs deviennent très vite plus grandes, ensuite, le système juridique français, à la fois au niveau des procédures qui permettent largement aux opposants au projet de s’exprimer aux différentes phases de sa maturation ou de sa réalisation et au niveau des appels d’offres qui ont été longtemps  trop rigides pour prendre en compte les évolutions techniques. Ce  sujet a heureusement pu être amélioré récemment. Le premier parc éolien en mer, celui du banc de Guérande au large de Saint-Nazaire sort ainsi au bout de 10 ans. Tout cela est en train d’évoluer favorablement, avec des ambitions nationales très fortes. Pour arriver à 40 GW en 2050, il faut néanmoins mettre en place une organisation pour coordonner toutes les administrations et pour associer largement l’ensemble des parties prenantes (les opérateurs et industriels concernés, aussi bien français qu’étrangers, les riverains, les collectivités territoriales, toutes les professions concernées). La commission nationale du débat public a d’ailleurs produit récemment un bilan de onze années de débat sur l’éolien qui recommande aux porteurs de projet d’être beaucoup plus attentifs à associer les publics concernés à tous les stades du projet.
C’est un schéma industriel original à créer car on a là une activité nouvelle, et plus complexe à organiser que pour l’éolien terrestre, qu’il s’agisse du montage, de la maintenance dans un milieu marin ou de l’atterrage des câbles électriques desservant les champs éoliens d’autant que la connaissance scientifique des milieux impactés par ces projets reste largement à construire. Qu’on considère l’éolien posé ou l’éolien flottant, on a besoin d’une planification spatiale maritime reposant sur des données objectives tant sur les impacts sur la biodiversité et sur les espèces marines concernées. Il faut en effet combiner les multiples “usages” (pêche, préservation de la biodiversité, navigation, pose des câbles, etc.) et veiller à disposer dans les ports d’espaces pour construire et pour assembler les éoliennes et pour choisir les ports de proximité à partir desquels on organisera les opérations de maintenance. A tout cela s’ajoute la volonté de certains ports de développer le recours à d’autres sources d’énergie décarbonée comme les “hubs” de production / transport / consommation d’hydrogène ou à se doter d’espaces dédiés au photovoltaïque, voire de dispositifs de récupération de l’énergie de la houle.

Dans quelle mesure l’avenir des activités de l’ingénierie maritime est-il corrélé à des choix sociétaux ?

Un rapport conjoint de France Stratégie et du CGEDD « Prospective 2040-2060 des transports et des mobilités » publié en début d’année (Février 2022, NDLR) aborde ce sujet. Sur la partie maritime et portuaire, nous avons été confrontés à l’élaboration d’une prospective qui permette d’esquisser ce que pourrait être la croissance des trafics de marchandises, qui par nature est très internationale puisque 80% des flux de transport internationaux de marchandises se fait par voie maritime. Il y a de fortes incertitudes sur ces flux tant en nature qu’en volume – d’ailleurs le rapport dédié au transport maritime et aux ports n’a pu retenir que trois des six scénarios différents envisagés pour tous les modes de transport– car il est difficile d’anticiper des transferts d’activité industrielle qui conduiraient à une forme de sobriété, notamment parce qu’il faut arrêter l’utilisation et donc le transport des énergies fossiles. La dimension sociétale porte aussi sur le contrôle des émissions de polluants (en mer et à quai) des navires qui va s’étendre géographiquement. La Méditerranée va bientôt rejoindre la façade européenne Baltique/Mer du Mord/Atlantique Ouest en tant que  zone de contrôle des émissions atmosphériques. On peut aussi considérer le besoin de maîtriser la vitesse des navires pour réduire leur consommation d’énergie, autre forme de sobriété. Mais, a priori on parviendra à réduire significativement les émissions des navires sans y avoir trop recours, à condition de mettre en œuvre des technologies décarbonées. Cette dimension technologique sera donc essentielle pour arriver à décarboner les activités maritimes, sans d’ailleurs qu’une solution technologique unique émerge à ce stade, et cela se joue au niveau mondial. Pour les activités fluviales, il faut considérer les efforts qui vont être faits par les autres modes de transport. Si les camions se décarbonent rapidement, le mode fluvial devra suivre, même s’il bénéficie d’un effet de massification important et les coûts d’adaptation pèseront de manière significative sur tous les modes de transport.

Propos recueillis par Stéphane Signoret

Exclusif ! L’article complet dans les ressources documentaires est en accès libre jusqu’au 1er juillet !

Suivez ce lien pour télécharger l’article « Débats publics sur les projets d’aménagement des ports maritimes », par Geoffroy CAUDE.

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Posté le par Stéphane SIGNORET


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