En lançant la construction de son futur atterrisseur, l'Europe entend s'affranchir de toute dépendance extérieure pour atteindre la Lune à l'horizon 2030. Ce projet ambitieux, piloté par un consortium industriel continental, marque un tournant stratégique alors que la compétition internationale pour l'exploration lunaire s'intensifie.
À l’heure où la Lune redevient un enjeu stratégique et industriel, l’Europe joue une carte décisive. L’Agence spatiale européenne (ESA) vient de dévoiler le consortium chargé de construire Argonaut, un atterrisseur lunaire modulaire destiné à offrir au Vieux Continent son premier accès autonome et régulier à la surface lunaire. Ce programme, au-delà de son aspect technique, témoigne de la volonté de l’Europe de renforcer durablement son influence scientifique et technologique au-delà de l’orbite terrestre.
Mesurant six mètres de hauteur, 4,5 mètres de diamètre et près de dix tonnes au lancement, l’atterrisseur s’articule autour d’une architecture en trois modules complémentaires : l’élément de descente lunaire, la plateforme de chargement et la charge utile. Conçu pour déposer jusqu’à 1 500 kg de matériel à la surface sélène, il incarne une rupture majeure pour l’Europe, encore dépendante jusqu’à présent d’assistances extérieures pour réussir ce type d’opération.
Pour bâtir ce géant spatial, l’ESA a consenti un effort budgétaire conséquent. Après un premier contrat de 862 millions d’euros attribué début 2025, une rallonge de 600 millions est désormais envisagée pour assurer un premier alunissage. Cette accélération intervient dans un contexte international mouvant, où d’éventuelles inflexions de la politique spatiale américaine sous la présidence de Donald Trump poussent l’Europe à consolider son autonomie.
Le choix de Thales Alenia Space en Italie comme maître d’œuvre du projet symbolise cette ambition collective. L’entreprise a été préférée à Airbus pour concevoir le cœur du système, à savoir le module de descente, véritable camion spatial conçu pour acheminer les charges utiles sur le sol lunaire. La filiale française de Thales Alenia Space développera l’ordinateur de bord, tandis que la branche britannique sera chargée de concevoir le système de propulsion. L’entreprise allemande OHB fournira les systèmes de navigation et de télécommunications, et le moteur principal sera réalisé par Nammo Space au Royaume-Uni.
Résister à des températures pouvant chuter à –150 degrés
Ce montage européen reflète un paysage industriel en pleine transformation. Alors que le marché des grands satellites de télécommunications ralentit, l’exploration lunaire devient un nouveau terrain d’innovation. Argonaut doit démontrer la capacité du continent à maîtriser des technologies critiques telles que la navigation autonome, les communications longue distance ou la résistance aux conditions extrêmes de la nuit lunaire, qui dure 14 jours et où les températures peuvent chuter à –150 degrés. Propulsé par le lanceur Ariane 6 équipé de quatre boosters, Argonaut ambitionne de multiplier les missions, avec un atterrissage de plus en plus précis : 250 mètres lors du premier vol, puis 50 mètres à l’horizon de la troisième mission.
Sa polyvalence est l’un de ses principaux atouts. L’atterrisseur pourra livrer des systèmes de télécommunication, de production d’énergie, des instruments scientifiques, ou encore des ressources vitales pour les astronautes. L’ESA envisage un rythme d’une mission tous les deux à trois ans, faisant d’Argonaut un pilier de son engagement sur plusieurs décennies.
Le premier vol, attendu fin 2030, pourrait embarquer un module de navigation et de synchronisation lunaire ou une plateforme robotique européenne. Par ailleurs, Argonaut constitue une contribution majeure au programme américain Artemis de la NASA, ouvrant des perspectives historiques : permettre, à terme, à des astronautes européens de fouler la surface lunaire tout en renforçant l’autonomie du continent, sans dépendre de technologies américaines pour atteindre la Lune.
L’enjeu dépasse largement la performance technologique, puisque le marché des missions lunaires pourrait dépasser 150 milliards de dollars dans la prochaine décennie. Dans ce contexte, l’Europe cherche à s’affirmer face à des compétiteurs de plus en plus nombreux, avec les États-Unis, la Chine, mais aussi l’Inde qui multiplient les projets d’alunisseurs. En maîtrisant enfin l’atterrissage lunaire, une technologie rare et exigeante, l’Europe entend reprendre sa place parmi les grandes puissances de l’exploration spatiale.









Réagissez à cet article
Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.
Inscrivez-vous !
Vous n'avez pas encore de compte ?
CRÉER UN COMPTE