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Interview

LiDAR HD : la France comme vous ne l’avez jamais vue

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Informatique et Numérique

Lancé en 2021 par l’IGN, le programme LiDAR HD vise à établir un référentiel altimétrique précis et homogène du territoire français. Après plusieurs années d’acquisition et de traitement de données, l’initiative touche au but, en livrant ses premiers modèles numériques du territoire.

Fin mars, l’IGN[1] – établissement public à caractère administratif ayant pour mission d’assurer la production, l’entretien et la diffusion de l’information géographique de référence en France – a en effet annoncé avoir franchi une étape clé de ce projet inédit, en mettant à disposition de tous – collectivités, acteurs privés, mais aussi grand public – trois premiers modèles numériques issus des mesures LiDAR réalisées progressivement depuis 2021 sur l’ensemble du territoire français : Hexagone, Corse et DROM[2]. Chef de projet LiDAR HD à l’IGN, Loïc Gondol revient pour nous sur les origines de cette démarche, nous en expose la méthodologie, et nous décrit par le menu ces trois premiers livrables, qui ouvrent la voie à une multitude d’applications concrètes.

Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce qui a conduit l’IGN à lancer ce projet, en 2021 ?

Loïc Gondol - IGN
Loïc Gondol est chef de projet LiDAR HD à l’IGN. © IGN

Loïc Gondol : Ce projet est le fruit d’une conjonction de facteurs, qui ont constitué un terreau favorable à son lancement. L’un d’eux est un rapport parlementaire sur les données géographiques souveraines, remis en juillet 2018 par Valéria Faure-Muntian – alors députée de la Loire – à Mounir Mahjoubi et Brune Poirson, respectivement secrétaire d’État au Numérique et ministre de la Transition écologique et solidaire. Parmi les préconisations de ce rapport, l’une d’elles pointait en effet la nécessité d’établir un référentiel altimétrique précis et homogène du territoire français.

À cela s’ajoutent les besoins exprimés par un certain nombre d’acteurs publics de disposer de données altimétriques précises sur tout le territoire. Ceci, pour guider la mise en œuvre de certaines politiques publiques, portant notamment sur les risques (inondations…), la gestion sylvicole, etc.

Le plan de relance nous a par ailleurs permis d’obtenir des financements, puis de lancer concrètement le projet, en 2021, effectivement.

Comment avez-vous, concrètement, organisé et mis en œuvre ce projet ?

Pour établir ce référentiel altimétrique précis et homogène sur tout le territoire, nous avons misé sur la technique LiDAR. Concrètement, nous avons choisi de placer des capteurs LiDAR à bord d’avions, seuls aéronefs à permettre une mise en œuvre de la technique au niveau de la France entière en l’espace de cinq ans – notre ambition de départ. Nous avions déjà une certaine expérience sur la technique, mais pas à cette échelle.

Nous avons ainsi décidé, outre nos propres moyens, de faire appel à des sous-traitants, ce qui a amené L’IGN à se positionner en tant que coordinateur de cet écosystème d’acteurs.

Nous avons, au début du projet, mené des campagnes d’acquisition en été et en hiver, puis uniquement en hiver, sur la période du 15 novembre au 15 avril. À l’heure qu’il est, nous avons pu couvrir environ 500 000 km2, soit près de 90 % du territoire. Nous prévoyons de couvrir les 10 % restant l’hiver prochain.

Outre l’acquisition des données, une bonne partie de notre travail consiste également, en parallèle, à les traiter. Nous devons notamment les caler dans un environnement 3D géoréférencé – en utilisant des données issues des centrales inertielles embarquées à bord des avions aux côtés des capteurs LiDAR – et leur appliquer un système de classification, afin de catégoriser les points en fonction de ce qu’ils représentent : sol et sursol.

Catégoriser les éléments des nuages de points en fonction de leur nature
Un système de classification permet de catégoriser chaque élément du nuage de points en fonction de sa nature. © IGN

Nous ne disposions pas, pour cela, de chaîne de traitement « sur étagère ». Nous avons ainsi commencé par sous-traiter ces opérations de traitement, tout en développant, en parallèle un processus interne, qui nous a finalement permis d’internaliser ce travail à partir de 2023.

Nous avons aujourd’hui traité à peu près la moitié des données déjà acquises.

Une quinzaine de mois est nécessaire, en moyenne, entre l’acquisition et la mise à disposition des données aux utilisateurs. Même si les opérations sont très largement automatisées – à l’aide notamment d’algorithmes d’IA – des contrôles humains restent nécessaires, en fin de processus.

Quel est, dans les grandes lignes, le principe de base de la technique d’acquisition que vous avez mise en œuvre, le LiDAR ?

Cette technique repose d’abord et avant tout sur l’émission d’un rayon laser, formant un cône. Émis – dans notre cas – vers le sol depuis un avion à 1 800 mètres d’altitude, ce rayon rencontre des obstacles (cime des arbres, toits des bâtiments, sol…) qui renvoient alors ce rayon vers le capteur. Le système mesure le temps que met la lumière pour aller et revenir vers le capteur, et donc, in fine, la distance qui le sépare des surfaces rencontrées.

Un des grands avantages de cette technologie, dans le cadre notamment du projet que nous menons, est qu’elle permet à la fois de mesurer la hauteur des arbres et l’altitude des terrains présents sous le couvert forestier.

Pourquoi parlez-vous plus spécifiquement de LiDAR « HD » ?

« HD » signifie dans ce cas « haute densité ». Dans le cadre du programme que nous menons, nous nous sommes en effet fixé l’objectif d’une densité moyenne de dix points par mètre carré, ce qui était tout simplement impensable il y a dix ans seulement, tant la donnée aurait été difficile à traiter avec les moyens de calcul de l’époque. Nous avons donc accolé ce label « HD » pour signifier le franchissement d’une étape technique majeure par rapport à la décennie précédente.

Aujourd’hui, l’acquisition peut, certes, se faire avec des densités plus élevées encore – parfois au-delà de cent points par mètre carré – mais plutôt sur des surfaces plus restreintes que celles d’un pays tout entier. Cela n’aurait en effet pas forcément d’intérêt à l’échelle de tout le territoire, et serait en outre difficilement viable, économiquement parlant…

Vous avez annoncé en mars dernier la mise à disposition de trois types de modèles issus de ce travail d’acquisition et de traitement de données LiDAR : des modèles numériques de terrain, de surface et de hauteur. Qu’est-ce qui caractérise chacun d’entre eux ?

Le modèle numérique de terrain ou MNT
Le modèle numérique de terrain, ou MNT, représente le sol nu. © IGN

Le premier d’entre eux, le modèle numérique de terrain, ou MNT, est une modélisation, une représentation théorique du sol « nu », débarrassé de sa végétation et de tout élément artificiel. Ce type de modèle est essentiellement utilisé en dehors des zones urbaines, notamment pour effectuer des simulations d’écoulement, dans le cadre par exemple de la prévention des inondations. Les MNT peuvent également révéler certaines structures archéologiques invisibles à l’œil nu.

Le modèle numérique de surface ou MNS
Le modèle numérique de surface, ou MNS, représente la hauteur des constructions et de la végétation. © IGN

Le deuxième modèle que nous mettons à disposition de tous est un modèle numérique de surface, ou MNS. Sa philosophie est tout à fait différente : il représente en effet la hauteur des bâtiments, de la végétation… C’est-à-dire tous les objets du sursol. Plutôt destiné à un usage en milieu urbain, il permet par exemple de modéliser des ombres portées, de potentiels îlots de fraîcheur ou de chaleur…

Enfin, le troisième d’entre eux – le modèle numérique de hauteur, ou MNH – est le résultat de la « soustraction » entre les deux précédents, MNT et MNS. Il donne ainsi la hauteur des toits des bâtiments, de la cime des arbres, etc. Il permet, par exemple, de suivre le développement et l’état de santé d’une forêt.

Le modèle numérique de hauteur représente la différence entre le MNT et le MNS
Le modèle numérique de hauteur représente la différence entre les deux modèles sus-cités. © IGN

Ces trois modèles, complémentaires, vont ainsi permettre de répondre dès aujourd’hui à des besoins très concrets : simulation d’aménagements du territoire, d’implantations de moyens de production d’énergies renouvelables, applications dans le domaine de la sécurité et de la défense, ou encore du génie civil, de l’assurance… Ces modèles vont, en outre, être rendus disponibles en open data, ce qui permettra au grand public d’y accéder, pour tout un tas d’usages que l’on n’imagine pas encore.

Quelle sera la place de tout ou partie de ces modèles dans le futur jumeau numérique du pays que vous construisez aux côtés du Cerema et de l’Inria ?

Le MNT que j’évoquais sera l’une des données d’entrée de ce futur jumeau numérique, mais outre les données physiques qui le constituent, bien d’autres données thématiques s’y ajouteront : occupation des sols, observations météorologiques… Ce futur jumeau numérique constituera l’étape d’après. Il s’agira en effet d’agréger un grand nombre de données, pour pouvoir, in fine, réaliser tout type de simulation et de projection, n’importe où au sein du territoire.

Sous l’action, notamment, des bouleversements climatiques en cours, certaines parties du territoire – forêts, littoraux, montagnes… – évoluent désormais très rapidement. Quid, dans ce contexte, de la mise à jour des données de ce programme LiDAR HD ?

Le renouvellement des campagnes d’acquisition fait effectivement partie de nos préoccupations. Nous n’avons pas déterminé, pour l’heure, la fréquence des nouveaux survols que nous aurons à réaliser, mais la donnée étant effectivement pour partie périssable, elle requiert des mises à jour régulières. Un exemple est celui des forêts : alors qu’il misait jusqu’à présent sur un suivi à 20 ans, l’ONF entend désormais réduire ce délai à cinq ans seulement, au vu de la vitesse à laquelle évolue la végétation. La problématique est la même dans le domaine des risques littoraux, du risque inondation, ou encore des risques liés aux effets du changement climatique sur les bâtiments. Nous étudions donc différents scénarios visant à renouveler régulièrement une partie de ces données LiDAR HD, avec bien entendu, en toile de fond, un enjeu primordial, celui du financement de ces futures opérations.


[1] Institut national de l’information géographique et forestière.

[2] Hors Guyane.

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


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