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Interview

María Teresa Dova : de l’infiniment petit à l’infiniment grand

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Chimie et Biotech

Le 12 juin dernier, cinq éminentes scientifiques se sont vues décerner le Prix international L'Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science, au cours d’une cérémonie organisée au siège de l’UNESCO, à Paris. Une distinction qui récompense, depuis sa création il y a 27 ans, des femmes scientifiques au rôle déterminant dans l’histoire des sciences contemporaine.

Techniques de l’Ingénieur vous propose un tête-à-tête avec quatre de ces scientifiques[1], pour évoquer à la fois leur carrière, et leur vision de la place des femmes dans le monde de la recherche scientifique. Pour l’ultime entretien de cette série, partons à la rencontre de la lauréate latino-américaine de ce prix L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science 2025 : la professeure María Teresa Dova, récompensée pour ses travaux dans le domaine de la physique des particules.

Professeure au sein du département de Physique de la faculté des Sciences exactes de l’Université nationale de La Plata, en Argentine, et chercheuse au Conseil national de la Recherche scientifique et technique (CONICET), María Teresa Dova est une éminente spécialiste de la physique des particules. Au travers de son implication dans une collaboration scientifique internationale, la chercheuse a notamment contribué à la découverte du fameux boson de Higgs, clé de voûte du Modèle standard. La fin d’un chapitre, mais pas de l’histoire, bien au contraire… María Teresa Dova mène en effet, aujourd’hui, des travaux visant à étudier une autre entité majeure, mais toujours nimbée de mystère : la matière noire. Passionnée par l’étude du fonctionnement de l’Univers, la chercheuse argentine œuvre aussi, par ailleurs, à mettre son pays natal sur le devant de la scène scientifique internationale, tout en défendant activement l’égalité des genres dans la recherche.

Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce qui vous amenée à consacrer votre carrière à la physique des particules ? Devenir scientifique était-il pour vous une vocation ?

 

La professeure María Teresa Dova
Les travaux de la professeure María Teresa Dova se situent au carrefour de la technologie et des sciences fondamentales. © Fondation L’Oréal

María Teresa Dova : Enfant, j’adorais la science-fiction et mes personnages préférés étaient toujours des scientifiques. J’étais fascinée par leur manière d’aborder chacun des défis qu’ils rencontraient en combinant à la fois la créativité, la logique, et le recours aux instruments les plus sophistiqués. Je voulais leur ressembler. Cette passion pour la découverte et la résolution de problèmes ne m’a jamais quittée. Ceci étant, je n’imaginais pas, en tant qu’enfant d’une petite ville d’Argentine située près de Buenos Aires, que je deviendrais un jour vraiment une scientifique… Je me suis malgré tout beaucoup intéressée à la physique et aux mathématiques au lycée, tout en vouant une passion à la musique et plus particulièrement au piano. C’est d’ailleurs la même curiosité intellectuelle qui m’a poussée à analyser les structures complexes d’une fugue de Bach, et à explorer les lois fondamentales de la nature. Durant mes études, j’ai néanmoins dû faire un choix déterminant : celui d’abandonner mes études musicales au conservatoire pour suivre un cursus en physique à l’Université nationale de La Plata.

Cela m’a finalement permis de décrocher en 1988 un doctorat en physique de la matière condensée. À l’issue de ma thèse, trois de mes professeurs – des théoriciens du département de physique dans lequel j’ai mené mon travail – m’ont incitée à postuler à une offre de post-doctorat au CERN. Il s’agissait alors de travailler au sein du laboratoire expérimental qui préfigurait l’actuel LHC… Ce qui leur semblait un bon moyen pour qu’une fois de retour en Argentine, je puisse créer une équipe dédiée à la physique des hautes énergies, et plus particulièrement au volet expérimental de ce domaine. L’Argentine avait en effet une longue tradition sur le plan théorique en physique des hautes énergies, mais pas sur le plan expérimental.

J’ai donc pris le chemin du CERN, et j’ai immédiatement été séduite par les expériences menées là-bas. D’autant plus que cela m’offrait l’opportunité de travail dans un environnement international.

Vous êtes donc aujourd’hui spécialiste de la physique des particules, aussi appelée physique des hautes énergies… Comment définiriez-vous cette branche de la physique, en quelques mots ?

J’ai l’habitude de dire que cette discipline vise tout à la fois les objectifs les plus simples et les plus fondamentaux… Nous essayons en effet de répondre à deux questions fondamentales : de quoi sommes-nous faits ? Et comment l’Univers fonctionne-t-il ?

Pour y répondre, nous tentons de découvrir et étudions les particules élémentaires qui constituent toute la matière, mais aussi toutes les forces qui régissent les interactions entre ces particules et qui conduisent à la formation des atomes, des molécules, des planètes, et de l’Univers tout entier.

Pour y parvenir, il nous faut travailler avec les instruments les plus complexes au monde. Et c’est ce qui me plaît : travailler aux frontières de la technologie et des sciences fondamentales, avec l’objectif de repousser les limites de la connaissance.

Si vous ne deviez retenir qu’un ou deux exemples de découvertes majeures auxquelles vous avez contribué, lesquelles citeriez-vous ? Votre contribution à la découverte du boson de Higgs, sans doute… ?

Oui, bien sûr ! Mais avant cela, je dirais tout d’abord que l’une des choses dont je suis la plus fière est le travail que j’ai mené pendant plusieurs années pour qu’en 2006 l’Argentine puisse finalement prendre part, pour la première fois de l’histoire du pays, à une collaboration internationale d’envergure : l’expérience ATLAS. J’ai aussi contribué à établir la communauté argentine de la physique des astroparticules, en lien avec l’Observatoire Pierre-Auger.

Ces collaborations internationales ont une grande importance à mes yeux, tant elles sont bénéfiques pour le pays. C’est ce qui m’a poussée à m’y impliquer.

Tout cela nous a finalement permis – pas seulement moi, mais toute une équipe de scientifiques argentins issus de deux universités du pays – de contribuer à cette avancée révolutionnaire qu’a été la découverte du boson de Higgs.

Quelle importance cette découverte annoncée il y a treize ans maintenant a-t-elle eue, justement ? Avez-vous en quelque sorte, vos collègues et vous-même, mis au jour la clé de voûte du Modèle standard ?

La professeure María Teresa Dova
María Teresa Dova fait appel à des instruments de pointe, et à des technologies avancées telles que l’IA, pour mener à bien ses travaux de recherche. © Fondation L’Oréal

Cette découverte du boson de Higgs, annoncée, effectivement, en 2012, a permis de confirmer de manière spectaculaire la théorie du Modèle standard de la physique des particules, et de clore ainsi un chapitre important de la recherche fondamentale en physique. Néanmoins, bien que le Modèle standard soit la meilleure description du monde subatomique que nous ayons à ce jour, certaines questions restent toujours sans réponse. L’une d’elles, par exemple, concerne la nature de la matière noire, qui constitue plus d’un quart de la matière de l’Univers. Une autre est celle de la place de la gravitation, une force fondamentale qui n’est pas incluse dans le Modèle standard.

Nous pensons donc que ce Modèle standard n’est en fait qu’une partie d’un ensemble plus vaste, et qu’il reste donc encore bien des découvertes à faire ! Pour mener à bien ces recherches, ce fameux boson de Higgs nous est toujours très utile. Il y a une décennie, nous cherchions à mettre au jour cette particule, aujourd’hui elle nous aide à explorer une nouvelle physique !

Comment accueillez-vous ce Prix International L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science qui vous a été décerné le 12 juin dernier ? Pensez-vous que votre exemple puisse inciter d’autres femmes, et plus particulièrement des jeunes filles en âge scolaire, à se lancer elles aussi dans une carrière scientifique ?

Faire partie de cette communauté du Prix International L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science aux côtés de tant de femmes talentueuses venues du monde entier est pour moi un immense honneur. À mes yeux, la science est avant tout un cheminement collectif. Ce prix est donc aussi un hommage à toutes celles et à tous ceux qui m’ont accompagnée, et qui m’accompagnent aujourd’hui encore sur ce chemin : mes professeurs, mes collègues, et bien sûr toute mon équipe de La Plata.

Ce prix me donne aussi l’occasion de faire entendre ma voix et de mettre en lumière les réalisations de nombreuses autres femmes. Cela me semble essentiel. Nous devons en effet montrer au monde que les femmes scientifiques accomplissent un travail remarquable. En physique, la part de femmes reste en effet inférieure à 30 % en moyenne à l’échelle mondiale. Et dans ma discipline en particulier, c’est encore moins. Il reste donc bien du chemin à parcourir pour atteindre a minima les 50 %.

Vous savez, les questions sont le point de départ de toute science et de toute innovation. Or, lorsque l’on rassemble des hommes et des femmes, on obtient évidemment un éventail plus large de questions, mais aussi de meilleures questions, des idées nouvelles. Je pense donc qu’il est essentiel de mener des actions concrètes non seulement pour susciter des vocations, mais aussi pour aider, accompagner et soutenir les jeunes femmes scientifiques qui débutent leur carrière et qui souhaitent fonder une famille. Dans mon pays par exemple, le congé paternité n’existe pas. Je pense donc que l’instauration d’un congé parental partagé pourrait être une mesure très importante à mettre en œuvre pour faire avancer les choses.

En tout cas, si je n’avais qu’un message à faire passer en tant que lauréate de ce prix pour l’Amérique latine, ce serait de rappeler que la science est accessible à tout le monde. J’espère que ce prix incitera davantage de filles à faire le choix d’une carrière scientifique. Ce serait formidable !


[1] La cinquième lauréate de cette 27e édition était absente pour raisons de santé lors de cette cérémonie du 12 juin 2025.

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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