En dépit de son indéniable importance stratégique et de son statut de pilier économique national, la chimie française traverse depuis de longs mois une grave crise, qualifiée d’inédite par ses représentants. La filière appelle ainsi à la mise en œuvre urgente de mesures offensives visant à endiguer cette situation critique, susceptible notamment, si rien n’est fait, d’entraîner la disparition de dizaines de milliers d’emplois.
« Frappée par une crise inédite, la Chimie tire la sonnette d’alarme ». Tel est le titre d’un communiqué publié le 16 octobre 2024 par l’organisation professionnelle représentant les entreprises de la chimie hexagonale, France Chimie. Et pour cause.

Alors qu’elle connaissait une période de croissance quasi ininterrompue depuis dix ans, cette filière clé de l’industrie française – 4 000 entreprises environ, pour près de 229 000 salariés – est entrée depuis 2023, et plus encore début 2024, dans une véritable zone de turbulences, marquée par une série de mauvaises nouvelles : mise à l’arrêt définitif de l’usine Syensqo de production de vanilline à Saint-Fons, dans le Rhône, en février ; annonce de la cessation de l’ensemble des activités chimiques d’ExxonMobil sur son site de Notre-Dame-de-Gravenchon, à Port-Jérôme-sur-Seine, en Seine-Maritime, au mois d’avril ; ou encore arrêt de la production par Solvay d’acide trifluoroacétique sur son site de Salindres, dans le Gard, en septembre. Trois exemples parmi d’autres des secousses qui ébranlent la chimie française depuis des mois maintenant, et ce d’autant plus violemment que c’est notamment sa partie amont qui est touchée. « 2024, annus horribilis pour la chimie en France », titrait ainsi le magazine Infochimie, fin décembre, concluant à un avenir incertain pour la filière. À juste titre, visiblement.
Quelques mois plus tard, le 16 avril dernier, France Chimie a, en effet, de nouveau alerté sur la persistance de cette crise qui affecte aujourd’hui encore l’ensemble de la filière, à l’occasion de la présentation de son bilan annuel, menée dans le cadre de son assemblée générale.
Une situation plus alarmante que jamais
« Après plus de deux ans de crise inédite, la Chimie en France reste affectée par l’absence de reprise de la demande industrielle européenne », constate d’emblée l’organisation professionnelle dans un nouveau communiqué publié pour l’occasion. Une situation alarmante, qui se reflète dans les chiffres dévoilés par France Chimie, à commencer par le recul de la production de la filière en 2024, évalué à – 0,3 %, hors chimie fine et pharmaceutique.
Autre signe inquiétant : le taux d’utilisation des capacités industrielles de la filière française, chiffré à 75 %, demeure en deçà du seuil de rentabilité de 80 %. « Cette sous-activité affecte en particulier la Chimie “amont” (chimies minérale et organique) et se traduit par une baisse du chiffre d’affaires global de 5 %, et des investissements de 15 % », révèle France Chimie.
Des indicateurs qui virent au rouge, et qui font ainsi craindre une hécatombe, tant à l’échelle de la France qu’au niveau européen d’ailleurs.

Sur la base, notamment, d’une étude menée récemment, portant sur la compétitivité de la filière en Europe, France Chimie alerte en effet sur la potentielle disparition de pas moins de 47 sites de production en France – sans compter sur un possible effet domino, comme le précise l’organisation – avec, à la clé, la probable destruction de 15 à 20 000 emplois directs. À l’échelle européenne, des menaces pèseraient sur 200 à 350 sites, faisant craindre la perte de 150 à 200 000 emplois directs.
Une crise multifactorielle
Pour expliquer l’ampleur et la persistance de cette crise qu’elle traverse désormais depuis de longs mois, la filière chimie pointe une série de facteurs économiques, réglementaires, et géopolitiques : surcapacités mondiales, faible demande aval, hausse des coûts de l’énergie, charge réglementaire et fiscalité défavorables… Le tout, conjugué à la concurrence pour le moins agressive de la Chine, mais aussi à la guerre commerciale déclarée par les États-Unis. Une véritable « prise en étau », qui met sous haute pression cette filière déjà fragilisée.
« Face à la domination de la Chine et à la guerre commerciale avec les États-Unis, la Chimie en France n’est pas en mesure de résister », prévient ainsi, sans ambages, France Chimie.
Une organisation qui appelle ainsi à la mise en œuvre d’un plan d’action national et européen, axé autour de six aspects prioritaires : réduction durable des coûts de l’énergie pour l’industrie, accélération et renforcement des mesures de défense face à une concurrence jugée déloyale, adaptation et simplification de la réglementation, baisse de la fiscalité industrielle française, relance de l’investissement dans l’innovation, la conquête de nouveaux marchés, la modernisation et la décarbonation des sites de production, mais aussi, enfin, accompagnement du renouvellement des compétences des salariés de la filière. « Il faut se réarmer sans attendre pour préserver l’atout indispensable qu’est la Chimie en France », plaide ainsi le président de France Chimie, Frédéric Gauchet.
Un appel visiblement entendu par le ministre français de l’Industrie et de l’Énergie Marc Ferracci, qui a en effet convié, le 25 avril dernier, les représentants de la filière chimie hexagonale à une réunion à Bercy visant à échanger sur ces six grands axes prioritaires évoqués ci-dessus.
« Notre ligne est claire : la chimie est un secteur stratégique, et nous devons investir pour sa compétitivité. Soutenir la chimie, c’est soutenir tous les écosystèmes industriels et construire la souveraineté économique de demain », a déclaré le ministre dans un message publié pour l’occasion sur les réseaux sociaux. Marc Ferracci qui, ainsi, l’assure : « l’État se tient aux côtés » des acteurs de cette filière en pleine tempête. Reste à voir les actions qui découleront de cette promesse de soutien, et à espérer, surtout, qu’elles soient suivies d’effets.
Crédit visuel de une : freepik
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