Logo ETI Quitter la lecture facile

Interview

Nawel Arab : un pied dans les maths, un autre dans les étoiles

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Informatique et Numérique

34 doctorantes et post-doctorantes se sont vu décerner, le 8 octobre dernier, le Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science. Nous avons pu nous entretenir avec six d’entre elles, représentant chacune des catégories de la 19e édition de ce prix prestigieux. Pour la troisième interview de cette série, rencontre avec Nawel Arab, doctorante en mathématiques dans le domaine du traitement de signal appliqué à la radioastronomie, récompensée dans la catégorie «Comprendre les lois de l’Univers».

Le 19e Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense 34 nouvelles « étoiles montantes »

Créé en 2007, le Prix Jeunes Talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science récompense chaque année, à un moment clé de leur carrière, des doctorantes et post-doctorantes qui incarnent aux yeux du jury « l’excellence scientifique française », et qui portent, en outre, des projets de recherche visant à construire « un avenir plus juste et durable ». Cette année, 34 de ces jeunes chercheuses ont été sélectionnées parmi près de 700 candidates, par un jury composé d’une trentaine de membres de l’Académie des sciences, avec à sa tête la célèbre astrophysicienne française Françoise Combes, présidente de l’Académie des sciences, elle-même récompensée du prix international 2021 L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science.

« Les femmes représentent la moitié de lhumanité, mais demeurent trop peu nombreuses aux postes de responsabilité dans la recherche. [De nombreux] freins écartent injustement des talents dont la science aurait besoin. Les Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour Les Femmes et la Science, en partenariat avec lAcadémie des sciences, sont autant de leviers pour rééquilibrer les chances et permettre à la culture scientifique de senrichir de tout le potentiel de cette moitié de lhumanité », se réjouit Françoise Combes. L’astrophysicienne qui voit dans les lauréates de cette 19e édition, de nouvelles « étoiles montantes de la science »…

Prix Jeunes talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les femmes et la science
34 doctorantes et post-doctorantes ont reçu le 8 octobre dernier le Prix Jeunes talents France 2025 L’Oréal-UNESCO Pour les femmes et la science lors d’une cérémonie organisée au sein de l’auditorium André et Liliane Bettencourt du Palais de l’Institut de France. © Fondation L’Oréal – © Julien Knaub & Nicolas Gouhier.

Nawel Arab a, depuis sa naissance à Alger, toujours été fascinée par la beauté des raisonnements mathématiques. En dépit du déficit d’information, du manque de références féminines, et même des réticences de ses proches, c’est vers une carrière scientifique qu’elle s’est bel et bien dirigée. Au fil de son parcours post-bac, elle s’est petit à petit orientée vers les mathématiques appliquées à la radioastronomie et plus précisément au traitement de signal. Un domaine qu’elle a en effet exploré durant le travail de thèse qu’elle a mené ces trois dernières années, centré sur la reconstruction d’images, au croisement des mathématiques et de la radioastronomie. Aspirant à un juste équilibre entre abstraction, rigueur, créativité utilité concrète, et impact positif, la jeune femme par ailleurs très engagée pour une meilleure représentation des femmes en science souhaite désormais se diriger vers une carrière d’enseignante-chercheuse.

Techniques de l’Ingénieur : Qu’est-ce qui vous amenée à vous intéresser aux mathématiques, puis plus particulièrement au domaine du traitement de signal ?

Nawel Arab, un des lauréates du Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science
Après avoir soumis sa thèse le 7 octobre dernier, à la veille de la cérémonie de remise du Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science, Nawel Arab a soutenu celle-ci le 27 novembre. © Fondation L’Oréal

Nawel Arab : J’ai toujours eu un vif intérêt pour les sciences. Pour moi, il ne faisait donc aucun doute que c’est vers une carrière scientifique que je me dirigerais. À mon arrivée dans l’enseignement supérieur, j’ai choisi de faire des maths, car c’est ce qui me plaisait le plus – j’ai toujours trouvé énormément d’élégance et de beauté dans tout ce qui touche aux mathématiques. J’avais néanmoins en moi l’envie de pouvoir appliquer les mathématiques à des problématiques concrètes. C’est ce qui m’a amenée à me diriger vers un master de mathématiques appliquées, au cours duquel j’ai étudié les probabilités, les statistiques, l’optimisation…

Lorsqu’est venu le moment de choisir ma thèse, j’ai avant tout eu l’envie d’aller vers des thématiques qui m’inspiraient. C’est ce qui m’a amenée à choisir une thèse en mathématiques appliquées à la radioastronomie, un domaine qui me faisait rêver ! J’avais envie de m’investir dans une application reliant modélisation mathématique et phénomènes physiques concrets. C’est vraiment cet aspect qui m’a motivée avant tout.

Je suis très heureuse d’avoir pu mener ce travail de thèse, notamment ma dernière année, où – comme c’est souvent le cas – tout s’est progressivement débloqué ! J’ai enfin pu voir de manière plus concrète à quoi mes modèles, mes algorithmes et mes calculs allaient pouvoir servir. Je reste néanmoins très attachée à la dimension théorique des mathématiques, qui a accompagné toute ma formation.

Quel était, précisément, le sujet de cette thèse sur laquelle vous avez travaillé au cours des trois dernières années ?

Je me suis intéressée au sujet de la reconstruction d’images en radioastronomie. Les sources stellaires émettent des ondes, notamment radio, qui forment un spectre que l’on reçoit ici, sur Terre, et que l’on peut capter grâce aux radiotélescopes. Mon travail a consisté à développer des modèles permettant de remonter aux sources des ondes émises. C’est ce que l’on appelle un problème inverse. L’enjeu consiste en effet à partir des observations, à remonter aux sources, aux causes sous-jacentes. Cela passe par la mise en œuvre de méthodes mathématiques, et des notions de physique dans le but de caractériser le lien qui existe entre observations et sources. Une fois que ce lien a pu être établi, il s’agit ensuite de développer des modèles permettant d’inverser ce processus d’acquisition, et donc d’imager les sources en question.

Je me suis plus précisément intéressée à un cas particulier des problèmes inverses : j’ai considéré des sources dynamiques, c’est-à-dire qui évoluent dans le temps. Mon objectif a ainsi été d’incorporer cette dynamique dans le processus de reconstruction, notamment grâce à des modèles d’espace d’état.

Cette approche de reconstruction d’images basée sur la résolution de problèmes inverses est d’ailleurs celle qui a permis d’obtenir la désormais célèbre première « image » d’un trou noir, n’est-ce pas ?

Exactement ! L’image de ce trou noir a, en l’occurrence, été reconstruite à partir des données – des ondes radio – issues d’un radiotélescope terrestre. La méthode mise en œuvre se rapproche beaucoup de ce que j’ai pu faire durant ma thèse. Cette image montre un halo lumineux d’intensités, qui, s’il peut paraître banal, représente en fait un travail considérable !

Avez-vous le sentiment que votre genre a eu une influence – positive, ou négative – tout au long de votre parcours ?

Le fait d’être une femme a pour moi été plutôt quelque chose de positif. Cela a été un moteur, une source de motivation. Il y a toujours eu très peu de femmes parmi mes camarades de promotion tout au long de mon parcours, ce qui est malheureusement encore le cas dans beaucoup d’autres domaines scientifiques. Cela se manifeste dès les premières années post-bac, et ne va qu’en s’accentuant jusqu’au doctorat. Mais cela n’a jamais représenté un frein pour moi, loin de là. Il faut dire que j’ai eu la chance d’être bien encadrée. J’ai eu l’opportunité de faire très tôt des stages de recherche en laboratoire, notamment au sein du Laboratoire de Mathématiques d’Orsay, où mon encadrante a beaucoup fait pour moi et m’a encouragée à poursuivre dans cette voie de la recherche. J’ai donc eu la chance d’évoluer dans des environnements bienveillants où j’ai toujours été encouragée ; cela n’efface pas pour autant les obstacles structurels auxquels font face de nombreuses femmes dans les carrières scientifiques.

Qu’est-ce qui pourrait, selon vous, remédier à cette faible représentation féminine dans de nombreux domaines de la recherche scientifique ?

Il est à mon avis extrêmement important que les jeunes femmes et les jeunes filles aient des figures féminines auxquelles elles puissent s’identifier. Cela me tient particulièrement à cœur, et c’est même l’une des raisons qui m’ont amenée à candidater à ce Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science.

Je participe par ailleurs à une initiative qui s’appelle « les Rendez-vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes », organisée par un collectif[1] dans différentes villes et établissements de France. Cela passe par des entretiens avec des groupes de lycéennes. Il y en a plusieurs au cours de l’année et je fais en sorte de participer à un maximum d’entre eux, car je sais à quel point cela est important. Il est plus facile pour ces jeunes femmes de s’adresser à quelqu’un dont l’âge est proche du leur. Cela me permet de leur montrer ce que c’est, concrètement, que d’être une femme dans la science, et de les motiver. Je participe par ailleurs aux réunions et rencontres en ligne proposées par l’association Femmes et Mathématiques

Ce Prix Jeunes Talents France L’Oréal-UNESCO Pour les Femmes et la Science que vous venez de recevoir pourrait-il justement vous y aider ?

Absolument ! Ce prix est à mes yeux quelque chose de très important pour renforcer la visibilité des femmes scientifiques. C’est aussi une vraie reconnaissance de mes travaux. Recevoir un tel prix aussi tôt dans une carrière est vraiment un moyen de la booster ! La gratification va d’ailleurs me permettre d’aller faire un séjour de recherche à l’étranger, et va ainsi me permettre de démarrer de nouvelles collaborations. Ce prix me permettra également de participer à des conférences, congrès et écoles d’été, ce qui contribuera fortement à la suite de ma carrière scientifique.

À la veille de la soutenance de votre thèse, comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?

J’aimerais combiner les activités de recherche et d’enseignement. J’ai, en effet, beaucoup enseigné durant mon doctorat, en donnant à la fois des cours de maths et de traitement du signal, et ce à différents niveaux. J’ai énormément apprécié l’expérience ! Je me suis découvert une vraie vocation, dont je ne pourrais plus me passer. Une carrière d’enseignante-chercheuse serait donc pour moi le moyen de combiner ces deux passions, à la fois pour la recherche et pour l’enseignement. L’essentiel pour moi reste d’avoir un impact, le plus tôt possible. J’ai par exemple encadré beaucoup de TD à un niveau post-bac, là où, selon moi, beaucoup de choses se jouent. J’espère donc pouvoir être la personne qui montrera la voie à d’autres jeunes femmes.


[1] L’initiative est portée par les associations Femmes & Mathématiques et Animath, et organisée par un collectif d’étudiantes et d’étudiants : normalien-ne-s, élèves dans de grandes écoles d’ingénieur et à l’université.

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


Réagissez à cet article

Commentaire sans connexion

Pour déposer un commentaire en mode invité (sans créer de compte ou sans vous connecter), c’est ici.

Captcha

Connectez-vous

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.

INSCRIVEZ-VOUS
AUX NEWSLETTERS GRATUITES !