La Tunisie comptait en 2011 une population de 10,7 millions d'habitants. Les précipitations moyennes sur le pays, estimées à 36 km3/an, sont en raison de l'aridité du climat reprises à 88 % par l'évapotranspiration : 28 % dans les forêts et parcours, 17 % dans les zones humides, 10 % dans les déserts et 33 % sur les terres cultivées. Les 12 % restants alimentent les écoulements : oueds et nappes souterraines dans lesquels l'irrigation, pratiquée sur environ 400 000 hectares, représente 80 % des prélèvements, le reste servant à l'approvisionnement des collectivités, des industries, du tourisme et à la sauvegarde d'écosystèmes aquatiques. Le quota par habitant des ressources hydrauliques renouvelables est actuellement de 400 m3/hab/an, ce qui place la Tunisie dans le groupe des pays les moins dotés en eau douce de la planète.
La planification de l'eau vise le développement total de la ressource au service de la mise en valeur du pays. Le programme hydraulique tunisien s'est ainsi appuyé sur la réalisation d'une importante infrastructure de grands barrages, de petits barrages et lacs collinaires, de nombreux puits et forages d'eau profonds, ce qui a permis de mobiliser 81 % des ressources en eau identifiées. Ces ouvrages sont reliés par un réseau complexe de conduites et de canaux, autorisant notamment le transfert des ressources en eau des régions qui en sont riches, le Nord et l'Ouest, vers celles qui en sont dépourvues, les zones côtières de l'Est où se concentrent traditionnellement les populations et l'expression des besoins en eau.
L'agriculture irriguée utilisant la majeure partie de l'eau disponible, et la demande en eau potable devant croître au moins autant que la population, la Tunisie aura dans un avenir proche à résoudre l'équation hydraulique la plus paradoxale de son histoire : faire que l'agriculture irriguée produise bien plus qu'aujourd'hui tout en utilisant moins d'eau. La sécurité alimentaire du pays sera donc fonction de sa capacité à économiser l'eau dans toutes ses utilisations, et notamment à bien maîtriser l'irrigation. D'ores et déjà, et grâce à un système d'incitations financières et de subventions des petits exploitants, le taux d'équipement par des systèmes d'économie d'eau a atteint 80 % des superficies irriguées, dont 30 % équipés en irrigation localisée. Cette stratégie a permis, en dix ans, de stabiliser la demande en eau d'irrigation de la Tunisie malgré l'extension des superficies irriguées.
Aujourd'hui, les prélèvements en eau approchent l'ordre de grandeur des ressources et les coûts marginaux de fourniture d'eau augmentent et commencent à dépasser les avantages économiques offerts par les usages les moins productifs. Cela se traduit par une interdépendance accrue entre les différents secteurs d'usages et par des risques d'apparition de conflits potentiels en perspective : l'eau devient un facteur limitant du développement socio-économique. En relation avec le volet économique de l'eau se posent également les questions relatives au développement et à l'utilisation optimale de ressources alternatives : réutilisation des eaux usées traitées, dessalement des eaux saumâtres et de l'eau de mer dont les coûts des procédés sont de plus en plus abordables, optimisation des flux d'eau virtuelle.
Les perspectives de plafonnement des prélèvements renvoient à la nécessité de réadapter les instruments institutionnels et de régulation du secteur de l'eau. Les arbitrages à effectuer pour équilibrer l'offre et la demande et concilier les différents usages nécessitent une réforme radicale des modes de gestion de l'eau. Le projet en cours de rénovation de la législation tunisienne sur l'eau sous-tend une politique fondamentalement adaptée au contexte de rareté de la ressource.
Mais au-delà, ces conditions limites nécessitent une forte émancipation de toute la société, pour atteindre les impératifs d'efficience. Il est essentiel que tous les intervenants assimilent les enjeux de l'eau et maîtrisent les moyens techniques permettant de les réaliser, et que toute l'opinion publique s'approprie la question de l'eau comme un projet d'avenir. Toutes les réformes à introduire sur la modernisation de la gestion des données et de l'information, sur la gestion locale et démocratique de l'eau, sur l'approche de l'eau dans l'éducation scolaire, sur le développement de l'innovation et des applications de la recherche, devraient permettre de contribuer à stabiliser et à améliorer sensiblement la sécurité hydrique de la Tunisie.