L’ingénieur est confronté de nos jours au concept de « complexité » et, pour l’approfondir, doit compléter ses méthodologies de travail par un recours à celles qu’il trouvera dans la « science des systèmes ».
Dans la présente rubrique, J. F. Vautier Systèmes complexes- Présentation générale insiste sur la nécessité de prendre en compte une pluralité de points de vue pour caractériser un « système ». C’est pourquoi nous ferons particulièrement appel à une branche de cette science qui a pour nom « la science des systèmes ago-antagonistes » (SSAA) : celle-ci a commencé à se développer dans le champ de la recherche biomédicale, mais elle a vite été relayée, côté sciences humaines, par celui du management et de l’organisation des entreprises.
Le principe est de repérer dans un de ces systèmes des couples que l’on appelait autrefois couples d’opposition et qui permettent de reconstruire l’édifice d’un système, avec, à chaque niveau, et dans son ensemble, un type de dynamique identique. La conséquence en est que de nouvelles possibilités d’action sont alors permises — pour le gestionnaire, l’ingénieur, l’économiste ou le sociologue, le biomédecin —, qui peuvent entraîner la correction des déséquilibres globaux constatés dans les systèmes dont ils ont la charge : ils ne pourront alors choisir qu’un petit nombre d’impacts pour leurs stratégies, en dépit de la complexité du système ; de plus, la SSAA établit les bases de ce que nous définirons comme des « stratégies paradoxales », notamment bipolaires, ou encore unipolaires paradoxales.
Quelques illustrations succinctes des stratégies bipolaires :
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les couples flexibilité/justice sociale ; mondialisation/sauvegarde des identités locales ; dérégulations (économiques)/régulations, sont l’objet de débats pour lesquels l’absence d’une connaissance, sinon parfois intuitive, de la dynamique ago-antagoniste ne permet que difficilement de progresser dans la recherche des solutions stratégiques : le choix d’un pôle préférentiel est en effet souvent facteur d’échec ;
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former un couple ago-antagoniste à partir des collectivités locales territoriales et du pouvoir central (préfectoral) permettrait de donner aux relations parfois conflictuelles entre ces structures une issue plus souvent créative (selon Lucien Mehl, Conseiller d’État honoraire).
Deux exemples de stratégies unipolaires paradoxales :
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le train régional de Guingamp était en déficit ; plutôt que de le supprimer, on a augmenté sa fréquence, donc aggravé le déficit dans un premier temps ; mais ce changement a rétabli l’équilibre financier du fait de l’augmentation du nombre des voyageurs ;
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pour combattre la pollution dans la forêt de Fontainebleau, un membre du personnel de l’ONF, interviewé à la télévision, annonçait que la suppression des poubelles dans un secteur de la forêt s’était accompagnée d’une diminution de la pollution (le visiteur, voyant la poubelle, se disait que, de toutes manières, quelqu’un passerait et nettoierait la place où il avait répandu ses papiers gras !).
En résumé, la SSAA apporte un certain nombre de réponses aux interrogations suscitées par la prise en considération qui s’accélère du concept de « systèmes complexes » — en contribuant, paradoxalement, à les simplifier.