T’innovation est considérée depuis quelques décennies comme indispensable pour « survivre » dans tous les secteurs d’activités. L’idée générale est qu’une entreprise innovante (qui produit et/ou adopte de la nouveauté, qui se renouvelle et/ou renouvelle son offre, voire son système d’offre) réussit mieux qu’une entreprise qui ne l’est pas. Pour les entreprises, l’enjeu est de répondre à deux questions : comment innover ? pour aboutir à quelle(s) innovation(s) ? La première renvoie au processus d’innovation, la seconde au résultat de ce processus.
Concernant le résultat, la priorité est souvent donnée à ce qui est « visible » par le client et auquel il peut accorder une valeur. Les entreprises recherchent donc prioritairement des innovations en matière de produits (quels nouveaux produits proposer aux clients ?), en matière de services associés aux produits (ex : de nouvelles manières de distribuer le produit ou de rendre le service après-vente), en matière de couple produit-service (ex : concevoir un nouveau produit dont la maintenance est facilitée), voire en matière de services en tant que tels (ex : passer de la vente d’un produit à la vente de son usage).
Mais l’innovation porte aussi sur ce que le client ne voit généralement pas : la manière de concevoir, de produire, de rendre disponibles les produits et les services, ce qu’on appelle des innovations de procédé ou de processus. Ce type d’innovation s’accompagne souvent d’innovations organisationnelles qui permettent d’être plus efficace et/ou efficient et/ou plus soutenable. Ces innovations, le plus souvent « invisibles » pour le client, ont néanmoins des retombées sur les produits et/ou services (via par exemple leur impact sur le coût de production, la flexibilité ou la réactivité du processus), ainsi que des retombées sociales et sociétales. Cet article traite des innovations en logistique et supply chain management (SCM) et montre qu’elles peuvent combiner des innovations produits et/ou services, des innovations de procédé, de processus et des innovations organisationnelles.
Concernant le processus, compte tenu du fait que les entreprises sont insérées dans des supply chains (SCs), que leur activité dépend de celle des autres membres de ces chaînes (sauf pour les entreprises qui sont totalement intégrées verticalement), l’innovation, quel que soit le type d’innovation recherché, ne peut plus se penser à l’échelle d’une seule entreprise, mais au niveau des SCs. La condition de réussite d’une innovation quelle qu’elle soit, est qu’elle s’insère dans le système d’offre délivrée par la SC. C’est encore plus vrai pour les innovations en logistique et SCM puisque les activités et processus logistiques, de même que le SCM, sont transverses, tant au niveau intra-organisationnel, qu’inter-organisationnel.
Notre article porte une attention particulière aux aspects inter-organisationnels du processus d’innovation en logistique et SCM, moins abordés que les aspects intra-organisationnels.
En adoptant une approche par les processus, les innovations en logistique et SCM peuvent être étudiées selon quatre catégories interdépendantes. La première concerne l’output vis-à-vis des clients, notamment les innovations de services logistiques (qui rétroagissent parfois sur les produits concernés par ces services). La deuxième concerne les innovations de réalisation (d’exécution) et sont relatives à la manière de prendre en charge et de faire circuler les flux au sein des SCs. La troisième catégorie, intimement liée à la précédente, concerne les innovations en matière de support (soutien) au processus d’exécution, notamment pour s’assurer de la disponibilité, fiabilité et des performances des ressources nécessaires à la réalisation du service logistique, en cohérence avec l’output attendu. La dernière catégorie concerne les innovations en matière de pilotage, qui renouvellent la manière de piloter le processus logistique et les flux au sein des SCs. Elle renvoie plus aux systèmes d’information, de traçabilité, de mesure de performance, aux systèmes de prévision, voire de prédiction et, plus largement, d’aide à la décision en matière de logistique et de SCM.
Une approche rétrospective dans le domaine de la logistique et du SCM permet de constater que l’innovation y a été permanente et ce depuis toujours. De nombreux facteurs poussent en effet les entreprises et les organisations à innover (au sens défini ci-dessus) : l’adoption de nouveaux outils ou de nouvelles technologies (qu’ils soient logistiques ou pas), la volonté de réduire les coûts ou d’améliorer les niveaux de services, la concurrence, la pression des clients ou de parties prenantes extérieures aux SCs, les exigences de développement durable, etc. Cependant, alors que jusque dans les années 2000, le processus d’innovation pouvait être qualifié de « chemin faisant », plus émergent que délibéré, l’innovation en logistique et SCM est actuellement plus systématiquement et délibérément recherchée dans certaines SCs. C’est néanmoins un processus incertain, risqué, dont les bénéfices sont difficiles à anticiper, et qui procure un avantage concurrentiel qui n’est parfois que de courte durée.
L’objectif de cet article est de donner des clés conceptuelles pour appréhender l’innovation en logistique et SCM, vue à la fois comme un résultat et comme un processus. C’est aussi, à la lumière de nombreux exemples et en mobilisant les résultats de recherches récentes, de donner des pistes de réflexion et d’action pour les managers impliqués dans de tels processus. Chacun des points discutés sera accompagné de la production d’outils synthétiques de type « grille de lecture », ainsi que d’illustrations pratiques et de réflexions issues de nos interactions avec des entreprises ou groupes d’entreprises engagés dans des processus d’innovation en logistique et SCM.
Cet article constitue une synthèse inédite de réflexions sur l’innovation en logistique et SCM en lien avec notre activité de recherche depuis le début de notre carrière, alimentées par les travaux du CRET-LOG, laboratoire spécialisé en logistique et SCM qui a toujours étudié les phénomènes émergents et les innovations de ce domaine.
Ces réflexions ont été particulièrement intenses depuis notre vice-présidence du Groupe opérationnel GO4 du PREDIT « Logistique et transport de marchandises » de septembre 2008 à décembre 2013. Elles ont été enrichies par notre expérience de directrice du CRET-LOG de janvier 2010 à mars 2019.
Ces réflexions ont aussi été stimulées par notre participation à plusieurs groupes de travail sur l’innovation en logistique et SCM avec des entreprises, notamment en 2015-2016 dans le cadre de l’ASLOG. Nous avons aussi participé ces dernières années à plusieurs jurys d’appels à projets innovants (API) en logistique et SCM avec des entreprises (ex : API d’IDEO en 2016), ou des associations d’entreprises (comme DEMETER : API 2013, 2015, 2018 et 2019).
Nous nous sommes aussi nourrie des travaux de nos doctorants qui ont travaillé sur l’innovation ou des innovations en logistique et SCM.