La thermogravimétrie est la technique la plus largement utilisée pour déterminer la vitesse de réaction d'un solide massif ou divisé lorsqu'il se transforme par décomposition thermique ou réaction avec un ou plusieurs gaz. Elle s'utilise dans de nombreux domaines d'application qui vont des procédés chimiques pour les solides divisés jusqu'à la corrosion haute température des matériaux. Modéliser le déroulement d'une réaction hétérogène à partir des processus fondamentaux – germination et croissance – fait appel à la cinétique hétérogène, discipline exigeante mais incontournable pour qui veut prédire le comportement d'un système solide-gaz réel quel qu'il soit, comme celui de poudres dans un four de calcination ou d'un matériau placé sous conditions corrosives extrêmes. Les progrès scientifiques accomplis depuis plus d'une centaine d'années sont essentiellement dus à l'existence de deux communautés parallèles de chercheurs : ceux travaillant dans le domaine des procédés de transformations de solides divisés (« génie des procédés » pour les laboratoires français et « chemical engineering » des anglo-saxons) et ceux travaillant dans le domaine des matériaux (métallurgistes, céramistes). La scission actuelle entre les deux groupes est telle que les premiers utilisent des méthodes mathématiques pour interpréter des données cinétiques obtenues en rampe de température tandis que les seconds ont posé les bases de la théorie d'oxydation des métaux en décrivant très précisément les mécanismes réactionnels à partir d'essais isothermes et isobares. Les premiers sont peu soucieux des caractéristiques physiques des poudres étudiées et recherchent la meilleure loi de vitesse apparaissant dans une « liste » de modèles reproduite d'article en article, tandis que les seconds élaborent des modélisations physiques sophistiquées mais généralement limitées à une symétrie plane. Toutefois, la transposition des connaissances d'une communauté à l'autre permet d'enrichir leurs approches respectives et surtout de généraliser les concepts de cinétique chimique en proposant une méthodologie adaptée à l'établissement de lois de vitesse prédictives tout en élucidant les mécanismes réactionnels.
L'objectif de cet article est de faire le lien entre les deux approches en revisitant la cinétique hétérogène pour fournir aux ingénieurs et chercheurs les outils nécessaires à une bonne compréhension des réactions hétérogènes dans les systèmes solide-gaz ainsi qu'à leur modélisation.
L'approche développée est destinée à l'interprétation des courbes cinétiques expérimentales décrivant les variations de masse au cours du temps d'un solide placé dans des conditions thermodynamiques données (thermogravimétrie isotherme et sous mélange de gaz à pressions partielles fixées). Pour cela, les modèles analytiques pseudo-stationnaires basés sur l'approximation de l'étape déterminante sont privilégiés, les méthodes de résolution numérique de systèmes d'équations différentielles étant difficilement utilisables compte tenu de la multitude de paramètres inconnus. L'équation de la vitesse est alors décomposable en un produit de deux fonctions à variables thermodynamiques et morphologiques séparées, équation très générale et s'appliquant à tous les types de systèmes hétérogènes possibles, poudres ou massifs. La modélisation de réacteurs hétérogènes à échelle 1 ou la prédiction de la durée de vie d'un matériau sont envisageables, une fois déterminées les expressions de ces deux fonctions.
Dans cet article sont présentés :
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les processus fondamentaux tels que la germination et la croissance, les zones réactionnelles et la nature des variables ;
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une analyse critique du formalisme de l'équation de vitesse de la littérature généralement utilisée pour interpréter les données cinétiques obtenues pour les transformations de solides divisés ;
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des recommandations pour l'acquisition de courbes cinétiques fiables, c'est-à-dire obtenues dans des conditions les plus proches possibles de celles des modèles.
L'hypothèse de base des modèles de cinétique hétérogène – approximation de l'étape déterminante – permet de simplifier le calcul de la vitesse en fonction du temps ; elle est très souvent vérifiée dans un domaine de température et de pressions partielles qu'il convient de déterminer. La méthode des décrochements qui permet, entre autres, de valider cette hypothèse est décrite dans la dernière partie de l'article.