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Déploiement de la filière hydrogène : la difficulté principale se situe sur le terrain réglementaire

Interview

Déploiement de la filière hydrogène : « La difficulté principale se situe sur le terrain réglementaire »

Posté le par Pierre Thouverez dans Énergie

France hydrogène est une association qui fédère les acteurs de la filière hydrogène. Les 460 membres de France Hydrogène représentent l’ensemble de la chaîne de valeur de l’hydrogène : cela va du monde industriel au monde académique, en passant par la recherche, les laboratoires et les collectivités territoriales.

Au niveau industriel, France Hydrogène regroupe plus de 110 grands groupes industriels, des secteurs de la mobilité, de l’industrie ou de l’énergie, ainsi que plus de 200 PME ayant des activités sur la chaîne de valeur industrielle de l’hydrogène. Un écosystème en pleine effervescence  depuis quelques années, et l’engagement national et européen  sur les technologies hydrogène, le vieux continent voulant faire de la molécule le vecteur énergétique de la prochaine décennie.

Christelle Werquin, déléguée générale de France Hydrogène, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur comment les investissements massifs autour de l’hydrogène en France et en Europe, notamment via le PIIEC hydrogène, sont un tremplin pour la filière, sous certaines conditions.

Techniques de l’Ingénieur : Sur le terrain, quelles sont les conséquences des investissements massifs annoncés pour déployer une filière européenne des technologies hydrogène ?

Christelle Werquin : La dynamique actuelle autour de l’hydrogène s’incarne aujourd’hui beaucoup au niveau d’écosystèmes territoriaux, c’est pourquoi nous avons, dès 2020, créé des délégations régionales, qui sont aujourd’hui au nombre de 14. Cette action au niveau des régions nous permet d’aider à fédérer les acteurs de la filière au niveau territorial ; notre rôle fondamental étant d’être l’interlocuteur des pouvoirs publics sur le déploiement dans tous les secteurs des technologies hydrogène, au plan national comme local.

Nous agissons également  au niveau européen, et même mondial pour porter la voix de la filière française à l’international, puisque le déploiement de l’hydrogène connait une accélération partout dans le monde.

Quel rôle joue le PIIEC par rapport aux autres dispositifs mis en place pour développer la filière hydrogène ?

Le PIIEC est un outil utilisé par l’Etat français dans le cadre de la stratégie nationale hydrogène, aux côtés du PEPR hydrogène, ou encore des appels à projet pilotés par l’ADEME.

Christelle Werquin, déléguée générale de France Hydrogène.

Il permet aux pays européens qui le souhaitent, d’identifier des entreprises leader sur les technologies hydrogène et de leur apporter un appui financier, à certaines conditions. L’objectif étant de faire du déploiement de la filière hydrogène une ambition commune au niveau de l’Europe.

Le processus de sélection des industriels bénéficiant du PIIEC a été long, près de 18 mois, durant lesquels les projets ont été sélectionnés, en deux vagues. La première vague a permis de sélectionner des projets recouvrant l’ensemble de la chaîne de valeur technologique de l’hydrogène, et a vu 10 projets français sélectionnés sur un total de 35. La seconde vague a vu deux projets français de décarbonation de l’industrie être à leur tour sélectionnés. Deux autres vagues de sélection sont prévues, sur les aspects infrastructure et mobilité. Les 10 premiers projets français sélectionnés représentent 2,1Md€ d’argent public, pour un investissement global de 5,2Md€. Ce soutien public génère ainsi de l’investissement privé. Cela doit permettre de faire passer de nombreux projets à l’échelle industrielle sur le court terme.

Le déploiement en cours permettra-t-il d’atteindre les objectifs écologiques fixés par l’Europe ?

L’Europe s’est fixée des objectifs climatiques très ambitieux à travers le paquet de propositions “Fit for 55”, puis le “REPowerEU”, mis en place à l’aune de la situation en Ukraine et des incertitudes en termes d’approvisionnement énergétique qui en découlent. L’idée étant de sortir le plus vite possible de notre dépendance au gaz fossile.

Pour atteindre ces objectifs, il va donc falloir être en mesure de produire et d’importer de grandes quantités d’hydrogène dans les années qui viennent. L’objectif fixé est de produire 10M de tonnes d’hydrogène renouvelable au sein de l’Union européenne, et d’en importer 10M de tonnes, pour répondre aux besoins estimés à 20Mt en 2030 à l’échelle européenne.

Il faut donc une qualification claire de l’hydrogène renouvelable, et des règles pour répondre aux enjeux de décarbonation sectorielle fixés par l’UE. Les règles européennes mettent la plupart du temps un long moment avant d’être adoptées, car elles sont le fruit de nombreuses négociations. L’adoption mi-février[1] des deux premiers actes délégués requis au titre de la directive sur les énergies renouvelables (RED2), et qui permettent de qualifier l’hydrogène d’origine renouvelable et de connaître la méthodologie carbone associée, a été largement saluée malgré certaines réserves, tant l’ensemble des acteurs industriels ont besoin d’un cadre règlementaire clair et stable, notamment face aux ambitions américaines ou chinoises.

Des discussions ardues sont en cours pour finaliser l’adoption de la directive révisée RED3. Celles-ci fixent des cibles de décarbonation par secteur (industrie et transport), à atteindre via l’hydrogène renouvelable ou ses dérivés. Dans ce contexte la France défend la possibilité d’utiliser l’hydrogène produit à partir d’électricité nucléaire pour répondre aux ambitions.

L’immense chantier mis en place pour déployer une filière hydrogène au niveau européen constitue-t-il un risque industriel ?

Le risque ne réside pas dans le fait d’avoir des ambitions importantes, mais plutôt dans le fait de prendre garde à ne pas mettre en place des contraintes qui empêcheraient d’atteindre ces objectifs. Par exemple, si on veut, ce sont les objectifs, produire 10 millions de tonnes d’hydrogène renouvelable sur le sol européen à l’horizon 2030, cela signifie qu’il nous faut produire près de 550 TWh additionnels d’électricité renouvelable. Ce qui est énorme. Au vu des difficultés à implanter de nouveaux ENR, avec les règlements sur l’addition et la temporalité notamment, on voit bien que la difficulté principale ne se situe pas sur un plan technique mais plutôt règlementaire. Comme souvent, on observe un tiraillement entre l’ambition politique affichée, et les règles concrètes qui sont mises en place pour les acteurs industriels.

Sur l’hydrogène, le cadre européen n’est aujourd’hui pas clair sur beaucoup de points, avec pour conséquence le fait de voir certains projets dans le flou, et des décisions d’investissements qui ne sont pas prises. L’aboutissement d’un cadre clair autour de l’hydrogène et de son utilisation, le plus rapidement possible, est fondamental au déploiement et à la compétitivité de la filière en France et en Europe.

L’hydrogène peut-il permettre de décarboner substantiellement le secteur très émetteur des transports ?

Il faut raisonner en termes d’objectifs et d’usages. Si l’objectif est de décarboner massivement les transports, il existe plusieurs possibilités, pas seulement l’hydrogène. Donc il faut qu’un ensemble de solutions soient développées. Dans un contexte de mobilité zéro émission à l’échappement ou d’incorporation d’énergie renouvelable dans le transport, l’hydrogène joue un rôle essentiel. Il permet en effet de décarboner tout en préservant la facilité d’usage (autonomie, temps de recharge) d’un véhicule thermique. Il y a de la place à la fois pour les véhicules électriques à batterie et hydrogène dans ce cadre-là.

Si on sort de l’industrie des transports pour se projeter sur l’industrie tout court, il y a de nombreux process industriels qui seront difficiles à électrifier, donc là encore, on peut imaginer plusieurs solutions, dont l’hydrogène, afin de décarboner ces processus dans le futur.

Quel est l’état d’esprit de la filière aujourd’hui ?

Le lancement de la stratégie hydrogène en 2020 a créé un réel enthousiasme. Beaucoup d’appels à projets se sont lancés, rapidement. Aujourd’hui, avec la révision stratégique en cours sur l’hydrogène, nous sommes un peu plus en alerte. Avec la volonté de relier la stratégie hydrogène à la décarbonation des 50 sites les plus émetteurs sur le territoire, nous risquons de cantonner l’hydrogène à la décarbonation. Or, c’est aussi une filière industrielle créatrice d’emplois dans les territoires. Nous sommes donc attentifs aux révisions qui vont être faites sur la stratégie hydrogène cet automne{2].

Au-delà, il est vital pour la France de développer sur son territoire des technologies performantes autour de l’hydrogène pour pouvoir ensuite les valoriser. Pour en arriver là, il est nécessaire que le pays soit une vitrine pour ces technologies, avec des projets importants développés sur notre sol. C’est tout un tissu économique local, sur les territoires, qu’il faut déployer et pérenniser autour de l’hydrogène, pour être également acteur de la réindustrialisation de l’hexagone, voulue par le Président de la République.

C’est aussi pour cela qu’il faut songer à développer des projets de taille intermédiaire, qui peuvent être mis en route rapidement, pour mailler le territoire et développer localement des nouveaux usages. Il y a un enjeu de temporalité, entre la mise en place de très gros électrolyseurs pour la décarbonation de sites industriels, et des équipements ou des projets – notamment en mobilité -, déjà prêts à être lancés. Le déploiement de l’hydrogène répond à des enjeux structurants tant en termes de souveraineté énergétique que de souveraineté industrielle ou technologique.

Propos recueillis par Pierre Thouverez


[1] Le 13 février 2023

{2] Automne 2023

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