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Interview

Karine Fournet Sperandio : « C’est un travail d’équilibriste de mener sa carrière et d’oeuvrer pour l’égalité »

Posté le par Alexandra VÉPIERRE dans Entreprises et marchés

Nominée dans la catégorie “Femmes Ingénieures” lors de la 15e édition de l’opération Ingénieuses, Karine Fournet Sperandio est directrice de la gestion des risques projets dans le secteur eau et environnement chez Vinci Construction Grands Projets. Elle revient sur ses engagements et les freins dans la carrière des femmes.

Chaque année depuis 2018, Techniques de l’Ingénieur est partenaire de l’opération Ingénieuses, organisée par la CDEFI (Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs) afin de combattre les stéréotypes de genre et promouvoir l’égalité des sexes dans les métiers et formations d’ingénieur.

Parmi les 10 prix décernés (Prix de l’élève-ingénieure France, de la femme du numérique, de l’école la plus mobilisée etc.), Techniques de l’Ingénieur a rencontré les nominées dans la catégorie “Femme ingénieure”. Une belle occasion de partager le parcours de femmes scientifiques talentueuses, qui agissent pour l’égalité des genres dans leur métier.

Karine Fournet Sperandio est directrice de la gestion des risques projets dans le secteur eau et environnement chez Vinci Construction Grands Projets (VCGP). Diplômée en Génie urbain de l’EIVP en 1995, elle a enrichi son parcours avec un doctorat en rudologie, ainsi qu’un master en éthologie. Très investie dans la transmission des savoirs, elle intervient depuis plus de 20 ans dans des universités et écoles d’ingénieurs sur des thématiques telles que la gestion des déchets ménagers ou le contract management. L’ingénieure est également membre active de plusieurs réseaux professionnels comme Elles bougent ou Femmes Ingénieures afin d’agir pour plus de parité dans les professions scientifiques.

Techniques de l’ingénieur : Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Karine Fournet Sperandio : Après une formation académique en école d’ingénieur, j’ai complété avec un DEA en Sciences et techniques de l’environnement et un doctorat en rudologie parce que j’avais envie de me spécialiser dans le secteur de l’environnement. Une grande partie de ma carrière a eu lieu dans le secteur public, jusqu’en 2020 où je suis rentrée dans le privé. Depuis un an, je suis directrice de la gestion des risques projets au sein du secteur eau et environnement chez Vinci Construction Grands Projets. Notre activité consiste à concevoir et construire des installations industrielles qui répondent à des enjeux de traitement de déchets, traitement des eaux ou production d’énergie durable. Je travaille au sein des équipes opérationnelles principalement sur les sujets de contracts management, en interface avec le service des achats et la direction juridique. J’ai une mission transverse, en assistance aux équipes de projet, mais au service de la direction de la Business Unit qui souhaite s’assurer de la bonne maîtrise des risques des projets. En parallèle, j’interviens de manière ponctuelle dans des universités et écoles d’ingénieurs.

En quoi consistent vos interventions auprès d’étudiants ?

De par mon doctorat en rudologie, c’est-à-dire en étude des déchets, j’interviens dans les écoles à propos de la gestion des déchets ménagers et de tout ce qui concerne l’aspect contractuel autour de cette thématique. L’enseignement me plaît énormément car j’aime être face à des étudiants pour partager mes connaissances, leur parler de mon métier et de mes secteurs d’activité, à savoir l’industrie et l’environnement. Ce sont des domaines qui sont pourvoyeurs d’emplois et que je trouve passionnants parce qu’ils touchent aussi bien à la technique qu’à l’économie ou au sociétal. J’en profite aussi pour expliquer de façon diffuse que ces métiers sont parfaitement adaptés aux femmes et que ces sont des opportunités d’accéder à des postes élevés en entreprises. J’ai donc à cœur d’encourager les jeunes femmes à envisager ces filières.

Comment se manifestent vos engagements pour l’égalité hommes-femmes dans le métier ?

Ce sujet a toujours été important pour moi. Quand vous êtes en classe préparatoire, il y a majoritairement des garçons, pareil en école d’ingénieur où les femmes sont en minorité. Donc je suis habituée à évoluer dans des environnements masculins, et à devoir à la fois m’y fondre et en même temps, à revendiquer ma place car elle ne viendra jamais de soi. Plus tard dans ma carrière, j’ai aussi pu ressentir ce qu’on appelle le plafond de verre, à savoir la sensation de développer des missions transversales mais de ne plus monter en hiérarchie. Or ce n’est pas normal. Depuis quelques années, on parle beaucoup plus de sororité, de réseaux féminins, et j’ai mieux réussi à poser des mots sur ce que je faisais déjà lors de mes interventions en écoles. C’est aujourd’hui une démarche beaucoup plus construite de ma part.
Ainsi, depuis 2 ans, je suis administratrice au sein de l’association Femmes Ingénieures. Dans ce cadre, je réalise des interventions en écoles et je travaille surtout sur l’axe de la gouvernance au sein des entreprises et conseils d’administration pour aller vers plus de mixité. En parallèle, je fais partie chez Vinci Construction Grand Projet du comité de pilotage “Grands projets au féminin” qui met en place des actions au sein de l’entreprise pour aller vers une entreprise plus paritaire. Toujours chez Vinci, je fais partie d’un programme de mentorat donc je suis la marraine d’une jeune ingénieure avec qui j’échange régulièrement. Je suis également marraine de “Elles bougent” au sein de Vinci. Et enfin, je suis occasionnellement membre de jury du concours Ingénieurs de la Fonction Publique Territoriale. Je crois que c’est important qu’il y ait de la mixité dans les membres de jury car il y a forcément des biais dans le recrutement des candidats.

Quels types d’actions menez-vous avec le comité de pilotage “Grands projets au féminin” ?

Il y a une action qui était déjà présente avant que je rejoigne le comité qui s’appelle le “Quart d’heure harcèlement”. Ils se sont inspirés du “Quart d’heure sécurité” qui existe souvent sur les chantiers afin de parler des situations dangereuses et ainsi prévenir les accidents du travail. Plus récemment, on a pris conscience des problèmes de sexisme qui demeurent sur les chantiers, et qui peuvent être lourds à porter pour les conductrices de travaux et ingénieures. Donc durant ces “Quart d’heure harcèlement”, on rappelle les comportements inadaptés. Par exemple, des photos de femmes nues dans le camion, ou certains mots ne sont plus acceptables. Ces moments sont aussi là pour rappeler aux femmes ce qui existe au sein de l’entreprise si jamais elles sont victimes de comportements sexistes, ou pire, d’agression sexuelle. Des dispositifs sont prévus pour ça.

Selon vous, comment peut-on renforcer la place et la visibilité des femmes dans le monde scientifique ?

D’abord, intervenir dans les écoles est capital dès le plus jeune âge pour toucher les enfants mais aussi les parents, afin qu’ils puissent encourager leurs filles. Mais il ne faut pas non plus laisser de côté le supérieur, car les jeunes filles engagées dans le scientifique peuvent faire machine arrière. Ensuite, un axe important à renforcer concerne les entreprises et le plafond de verre. Souvent, les femmes vont quitter les entreprises car ça devient compliqué pour elles d’évoluer, notamment quand elles ont des enfants. Il faut que les entreprises s’engagent pleinement auprès des femmes pour leur permettre de s’épanouir. Et cela doit se faire aussi avec les collègues masculins ! La diversité permet de multiplier les visions et d’atteindre un équilibre, qui est garant de la performance des entreprises. C’est un axe qui me tient particulièrement à cœur parce qu’il y a encore beaucoup de choses à faire pour qu’il y ait davantage de femmes à des postes-clés. Il faut faire en sorte de montrer les femmes, et des prix comme Ingénieuses aident à nous mettre en lumière.

De par leur faible nombre, il est presque attendu des femmes dans les filières scientifiques d’œuvrer aussi pour l’égalité hommes-femmes. N’est-ce pas une charge supplémentaire, voire une limite pour le développement de leur carrière, par manque de temps à y consacrer ?

Je suis tout à fait d’accord. Cela rajoute un poids car c’est une gymnastique constante de se dire qu’il faut assister à un événement, alors que ça empiète sur le travail donc on compense en travaillant à d’autres moments… Comme je le disais précédemment, il faut vraiment réussir à fédérer nos collègues hommes pour que tout le monde se mobilise autour de cette cause. Certains le font, mais ils sont pour le moment très marginaux. Si je suis à la fois fière du travail que je mène, je me sens aussi très frustrée de ne pas en faire plus pour Femmes Ingénieures par exemple, car j’ai un nouveau poste dans lequel j’ai envie de m’investir.

Vous avez été nominée dans la catégorie “Femme ingénieure” de l’opération Ingénieuses. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

J’ai eu deux sentiments. D’abord, l’étonnement car même si on postule spontanément, j’ai été presque surprise que l’on trouve dans mon parcours un intérêt. Le syndrome de l’imposteur est toujours très présent chez les femmes, c’est assez terrible. Dans un deuxième temps, j’ai été ravie de me dire que tout ceci avait un sens. C’est un travail d’équilibriste de mener sa carrière et d’agir pour l’égalité, donc c’est encourageant de voir que mes actions sont valorisées par mes pairs et paires. Cela me permet aussi d’en parler autour de moi, de sortir de l’ombre en disant à mes collègues que je participe à ce prix. C’est un travers féminin, notamment dans un environnement masculin, de parfois s’oublier et ne pas se mettre en valeur mais il n’y aucune raison de se comporter ainsi. Ce prix, c’est l’opportunité d’en parler, de rappeler ce que je fais et que c’est bien.

Propos recueillis par Alexandra Vépierre

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