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Décryptage

Le « paquet énergie – climat » face à la crise

Posté le par La rédaction dans Environnement

Pas question de transiger. D'ici 2020, les émissions de gaz à effet de serre devront être réduites de 20 % a rappelé la Commissaire européenne à l'environnement. Mais le paquet énergie - climat est-il à la hauteur de ces objectifs ? Le point avec Pierre Bacher, auteur de l'énergie en 21 questions.

Il y a quelques jours, la Commissaire européenne à l’environnement appelait les responsables politiques et tous les acteurs du secteur de l’énergie à tout mettre en œuvre, malgré la crise, pour atteindre l’objectif de – 20 % de rejets de gaz à effet de serre d’ici 2020. Serait-ce le début de la sagesse ?On se rappelle les objectifs « 3 fois 20 » du « paquet énergie – climat » de 2008 : réduire simultanément de 20 % chacun la consommation d’énergie et les rejets de gaz à effet de serre, et porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen (ce dernier objectif étant porté à 23 % pour la France, sans que l’on explique vraiment pourquoi ce traitement de faveur…).  Or le paquet énergie climat, approuvé par les Chefs d’Etat en décembre 2008 et, en France, rappelé dans la loi Grenelle 1 de juillet 2009, impose des contraintes souvent contradictoires et entraîne parfois des coûts exorbitants. Par exemple, la réduction des rejets de CO2 nécessite souvent de consommer plus d’énergie :

  • Le captage et stockage du CO2 (CCS) produit dans une centrale électrique au charbon fait chuter le rendement de 25 % environ : il faudra donc 25 % d’énergie primaire en plus pour produire 1 kWh électrique.
  • La synthèse de biocarburants à partir de biomasse cellulosique a un rendement proche de 50 % ; autrement dit, il faut 2 tep de biomasse pour produire 1 tep de carburant. La réduction des rejets de CO2 obtenue grâce aux biocarburants ne peut donc être obtenue que moyennant une augmentation substantielle de la consommation d’énergie primaire. Cette augmentation serait encore plus marquée si l’apport d’énergie requis par les procédés de synthèse était assuré par de l’électricité, ce qui permettrait pourtant  de mieux utiliser la ressource biomasse.
La volonté affichée de développer à tout prix les énergies renouvelables a un coût et ne réduit pas toujours les rejets de CO2 :
  • L’objectif de 23 % d’énergies renouvelables accepté par la France devrait conduire, si l’on en croit la loi Grenelle 1, à augmenter de près de 65 TWh la production d’électricité renouvelable (42 en éolien terrestre, 18 en éolien offshore, 5 en solaire photovoltaïque) ; mais ces 65 TWh seront nécessairement pris sur la production nucléaire (ou seront exportés), sans aucune réduction (ou presque)  des rejets de CO2. Pire, leur coût élevé (80 euros/MWh pour l’éolien terrestre, 130 euros/MWh pour l’éolien offshore, plus de 250 euros/MWh pour le solaire – 1) comparé au coût du nucléaire (40 à 50 euros/MWh) va alourdir la facture d’électricité de près de 4 milliards euros/an.
  • Les seuls engagements sur les aides au solaire photovoltaïque d’ici la fin 2012 (12 à 16 euros/Wc installé en additionnant les tarifs d’achat et les aides publiques directes), appliquées à 1GWc, correspondent à un endettement de la collectivité, envers les (heureux) producteurs, de 12 à 16 milliards d’euros. Il suffit de comparer ces ordres de grandeur à celui du « grand emprunt » (30 milliards euros) pour au moins s’interroger sur le caractère raisonnable de cette politique.
Parallèlement, l’ostracisme dont fait l’objet l’électricité même lorsque celle-ci est produite presque sans production de CO2 comme c’est le cas en France, va à l’encontre de l’objectif de réduction des rejets de CO2 : remplacer le chauffage électrique par un chauffage au gaz – à isolation thermique identique 2  – permet de diviser par 2 au moins la consommation d’énergie primaire, mais augmente les rejets de CO2. La loi Grenelle 2, en interdisant pratiquement, dans sa version actuelle, le chauffage électrique, va donc à l’encontre de l’objectif affiché de réduction du CO2.Bref, il est grand temps d’afficher clairement quel est l’objectif principal. Il est également temps, en cette période de crise particulièrement, de rechercher les voies les plus économiques en vue d’atteindre cet objectif. Si, comme l’affirme la Commissaire européenne, l’objectif premier est de diminuer les rejets de CO2, il faut impérativement réduire les consommations de combustibles fossiles et, plus particulièrement en France, celles de pétrole et de gaz. Il se trouve que cette réduction présente d’autres avantages :
  • le pétrole et le gaz étant presque totalement importés, ils grèvent notre balance commerciale , 
  • leurs prix sont extrêmement volatils, comme l’a montré encore une fois la crise de 2008 ,
  • les ressources sont concentrées dans des pays qui présentent des risques géopolitiques importants.
Economiser une tonne équivalent pétrole (tep) de pétrole ou de gaz a cependant un coût plus ou moins élevé qu’il convient d’évaluer avant d’engager des opérations massives. Mais les nombreuses études déjà réalisées (dont certaines citées dans de précédentes tribunes ou articles 3) montrent que :
  • Pour les usages fixes de l’énergie, les voies ne manquent pas à un prix équivalent de la tep compris entre 50 et 100 euros/baril : travaux d’économies d’énergie associés à du chauffage électrique dans l’habitat ancien, chaleur renouvelable associée ou non à des pompes à chaleur dans l’habitat neuf, etc.
  • Pour les usages mobiles de l’énergie, les défis sont plus difficiles à relever, du fait des coûts encore élevés des solutions d’économies d’énergie (le bonus-malus auto instauré en 2008 correspond à un prix équivalent de pétrole proche de 200 euros/baril) et des voies de remplacement du pétrole par un biocarburant ou par de l’électricité. On a, dans ce secteur, besoin de programmes intensifs de recherche et développement, accompagnés d’opérations pilotes permettant de valider telle ou telle voie.
  • Pour faire face aux augmentations prévisibles de la consommation d’électricité, tant pour les usages fixes que pour les usages mobiles, il serait prudent de lancer la construction de quelques centrales nucléaires en plus des deux déjà décidées. En parallèle, la recherche devrait être développée très fortement en vue de réduire les coûts du solaire photovoltaïque.
Espérons donc que l’Europe, et la France tout particulièrement, adoptent enfin les voies de la sagesse.Par Pierre Bacher, Auteur de « L’énergie en 21 questions » – Odile Jacob (2007) et auteur des Techniques de l’Ingénieur 

Notes
1 – En espérant que le coût des installations aura diminué de moitié en moyenne sur la prochaine décennie.2 – Ceci n’est généralement pas le cas, les logements chauffés à l’électricité consomment en moyenne 120 kWh/m², les logements chauffés au gaz (ou au fioul domestique) plus du double.3 – Tribune du 8 décembre 2008 ; Revue de l’énergie n° 582 – Prix du pétrole équivalent, prix du gaz équivalent et coût du CO2 évité (mars-avril 2008)

Pour aller plus loin

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