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Interview

« Les effets de la crise sanitaire sont très contrastés pour le secteur de la plasturgie »

Posté le par Pierre Thouverez dans Entreprises et marchés

La crise sanitaire que traverse le monde entier depuis plus d’un an a eu un impact inattendu sur la consommation et la production de certains matériaux. Parmi ces matériaux, le plastique a connu une sorte de retour en grâce. Rencontre avec Marc Madec, directeur développement durable de Polyvia, le syndicat professionnel de la filière plasturgie et composites.

L’industrie plasturgique a été sollicitée de toutes parts pour produire dans l’urgence les produits nécessaires pour lutter contre un virus quasiment inconnu il y a un an. Et dont nous avons encore beaucoup de choses à apprendre à l’heure actuelle pour maîtriser son impact sanitaire sur les populations. 

Ainsi, alors que l’industrie plastique était sous pression depuis quelques années pour réduire son impact environnemental, notamment via l’interdiction de l’usage des plastiques pour la production de certains produits de grande consommation à usage unique, la donne a quelque peu changé.

Pour autant, si les besoins en plastique ont explosé dans certains secteurs industriels depuis le mois de mars dernier, la problématique de l’industrie plasturgique reste la même : comment continuer à produire des plastiques pour l’industrie tout en réduisant l’impact environnemental de ces derniers ?  Amélioration de la recyclabilité, augmentation de l’usage de plastiques recyclés, amélioration de la collecte et du tri… les défis sont nombreux.

L’organisation Polyvia, qui regroupe les industriels transformateurs de polymères, est née du rapprochement des cinq organisations professionnelles de la plasturgie et des composites. Polyvia œuvre aujourd’hui pour représenter un secteur dont l’image est écornée auprès du grand public, mais dont l’importance au sein du tissu industriel français reste aujourd’hui prépondérante.

Marc Madec, directeur développement durable de Polyvia, a expliqué à Techniques de l’Ingénieur comment l’industrie plasturgique a été sollicitée depuis le début de la crise sanitaire, et comment elle a répondu, dans l’urgence, aux sollicitations de nombreux secteurs industriels et du gouvernement, pour produire et fournir les matériaux plastiques nécessaires pour répondre à des besoins sanitaires impérieux, dans un contexte totalement inédit.

Techniques de l’Ingénieur : Le plastique est devenu un symbole de la lutte écologique aujourd’hui. Le contexte sanitaire actuel remet-il cette problématique à plus tard ?

Marc Madec : Nous avons totalement conscience de l’impact environnemental des plastiques, et particulièrement des déchets plastiques dans le monde. 

Marc Madec, directeur développement durable de Polyvia. ©Polyvia

Dans certaines régions du globe, la gestion calamiteuse des plastiques en fin de vie, et particulièrement des emballages, avec des structures de collecte et de recyclage mal voire pas du tout adaptées, produisent des résultats catastrophiques.

Polyvia représente des industriels qui se sentent responsables de la situation actuelle, d’autant plus qu’il en va aujourd’hui de la survie de notre industrie : il est bien évident que plus nous tardons à développer des solutions satisfaisantes pour produire des plastiques ayant un cycle de vie plus vertueux, ainsi que des solutions de recyclage efficaces, plus il sera difficile pour les entreprises de continuer à produire du plastique, aussi bien dans la situation actuelle que sur le moyen terme.

Revenons un peu en arrière. En mars 2020, le premier confinement a été annoncé très brutalement. Comment cela s’est-il traduit pour l’industrie plasturgique ?

En mars 2020, les choses sont allées très vite. Nous avons été surpris par le confinement, comme tout le monde. Passée cette surprise, une partie de la population s’est ruée dans les magasins pour faire des provisions, pour stocker, comme en temps de guerre. Les gens se sont rués sur les pâtes, le sucre, la farine, le papier toilette, les lingettes… avec du recul aujourd’hui, on peut penser que ces réactions étaient excessives. Mais c’est pourtant ce qui s’est passé à ce moment-là.

Cela s’est-il donc traduit par une forte augmentation de la demande en plastique pour plusieurs secteurs industriels ?

Oui. Des secteurs en tension, comme celui de la grande consommation et en particulier l’agroalimentaire et les produits d’hygiène, qui plus est dans un contexte de confinement, ont dû adapter leur organisation pour être en position de répondre à cette demande exceptionnelle. 

L’industrie dans sa globalité – production, emballage, logistique – s’est à ce moment mis en marche de manière coordonnée et immédiate pour éviter une quelconque pénurie dans les grands magasins, qui aurait pu toucher des produits d’alimentation ou d’hygiène et qui aurait potentiellement rendu la situation encore plus compliquée qu’elle ne l’était déjà.

Au final, il n’y a pas eu, que ce soit chez les petits commerçants ou bien dans les grandes surfaces, de pénurie à proprement parler. S’il y a pu avoir des rayons vides dans certains magasins, ces derniers étaient réalimentés très rapidement.

Comme pour d’autres secteurs industriels, il a donc fallu augmenter les cadences de production dans des conditions sanitaires inédites ?

C’est ça : il a fallu que les plasturgistes fabricants de ces emballages, que ce soit des films plastiques, des contenants, des bouteilles, puissent continuer à produire, voire même produire plus que dans une situation normale. D’ailleurs, au-delà du phénomène de stockage que je viens d’évoquer, nous avons vu se développer dans les premières semaines du confinement le besoin des consommateurs d’utiliser énormément de sacs plastiques, car beaucoup pensaient que ces derniers permettaient de limiter les risques de contaminations. Nous n’avions alors que très peu d’informations sur le virus du Covid-19 et son mode de transmission. Ce phénomène n’a pas duré dans le temps mais a été très suivi, dans le monde entier.

Le gouvernement nous a demandé également de produire des contenants plastiques pour les gels hydroalcooliques, dont l’usage était plus que conseillé, au moment où les masques étaient une denrée rare. Pour conditionner ces gels dans différents formats, à la demande du gouvernement, certains industriels ont alors produit ces contenants en grande quantité. 

En parallèle, il y a eu la demande de l’industrie médicale. Il a fallu protéger les soignants, qui très rapidement ont épuisé leurs stocks de masques, de blouses, de gants… Le problème se posait également avec les médicaments, qui se sont également mis à manquer. Le gouvernement a également sollicité le secteur de la plasturgie sur ces problématiques prioritaires.

D’autant plus que les importations étaient à ce moment précis compliquées, voire impossibles…

Il faut se souvenir qu’en mars 2020, nous nous sommes rendus compte que pour l’ensemble de ces demandes, nous étions extrêmement dépendants de l’étranger.

Par exemple, les blouses sont d’habitude fabriquées en polypropylène non tissé, hors d’Europe. Après l’épuisement des stocks existants, et devant la perspective de pénurie de blouses, certains industriels membres de notre organisation, producteurs de films plastiques, ont décidé de produire des blouses en films plastiques. Ils ont ainsi, en très peu de temps, adapté leurs lignes de productions et commencé à fournir aux services hospitaliers et aux structures qui en avaient besoin des blouses en films plastiques, la plupart du temps de manière gratuite.  Cette histoire s’est répétée de la même manière pour la production de visières plastiques.

Le plastique est un composant important de nombreux dispositifs médicaux utilisés dans les hôpitaux dans la lutte contre le Covid-19. Pourquoi ce choix du plastique ?

Les dispositifs médicaux, je pense en particulier aux respirateurs, ont été au centre des attentions, puisque rapidement après le début de la crise sanitaire, ces dispositifs et tout l’attirail qui va avec sont venus à manquer au sein de certains services hospitaliers, devant l’afflux continu de malades. Ces dispositifs médicaux sont principalement constitués de plastique, pour une raison qui en fait un matériau adapté au secteur médical mais qui lui est reproché dans beaucoup d’autres : l’usage unique. L’usage du plastique a d’ailleurs depuis des décennies permis à l’industrie médicale de réduire les maladies nosocomiales, de manière très importante. Il est d’ailleurs aujourd’hui utilisé pour les respirateurs, mais aussi pour les masques associés à ces respirateurs, ainsi que les cathéters, les seringues… Ce sont aujourd’hui près de 50% des dispositifs médicaux qui sont en plastique. Et la crise sanitaire ne fait qu’accentuer ce phénomène. Les tests de dépistage du Covid-19 sont également faits principalement de plastique.

Qu’en est-il des autres secteurs industriels ?

Un secteur comme celui de l’automobile, qui a vu son activité chuter depuis un an, fait d’habitude appel à des équipementiers dont les pièces détachées sont souvent en plastique. Ces prestataires-là ont vu leur activité diminuer brutalement, comme on peut l’imaginer. Il en va de même pour le secteur aéronautique, bien sûr. A contrario, un secteur comme l’informatique a vu ses besoins augmenter, en partie à cause de la mise en place du télétravail, et a donc continué à produire autant que possible. Les effets de la crise sanitaire sont donc très contrastés dans notre secteur d’activité. 

Depuis la fin du premier confinement, beaucoup de secteurs ont redémarré, et sont confrontés à d’autres problématiques, comme le prix des matières premières, qui a fortement augmenté depuis quelques mois. Même si la situation n’a rien à voir avec celle de mars 2020, la problématique économique fait que le contexte n’est aujourd’hui pas stabilisé. 

Au final, le secteur de la plasturgie ne s’en sort pas trop mal, en partie grâce aux aides gouvernementales mises en place depuis un an. Maintenant que les voyants reviennent petit à petit au vert pour tout le monde, nous n’échappons bien sûr pas aux critiques faites au plastique avant la crise sanitaire.

Quels sont les usages du plastique sur lesquels se concentrent le plus les critiques ?

Le secteur médical est un peu particulier, dans le sens où tout le plastique a permis à la médecine de faire de gros progrès, sur la stérilisation, la lutte contre les maladies nosocomiales… Je n’entends personne prôner l’arrêt du plastique à l’hôpital. Pour les autres secteurs, comme celui de l’emballage par exemple, qui concentre les critiques, il y a à mon sens deux attitudes chez les industriels. Certains vont aller vers le zéro plastique. J’ai en tête l’exemple d’un industriel de l’agroalimentaire qui a lancé récemment le développement de plats cuisinés conditionnés dans des récipients en verre. Dans l’absolu, pourquoi pas, mais quelles sont les conséquences sur l’ACV [analyse du cycle de vie, qui est un outil d’évaluation des impacts environnementaux d’un produit ou d’un système, NDLR] de ce produit, au niveau du transport par exemple, car l’usage du verre alourdit considérablement le produit ? Aussi, le verre, s’il est recyclable à l’infini, doit être chauffé à plus de 1500°c, il faut donc prendre cela en compte… Au final, je doute que cette solution soit globalement plus respectueuse de l’environnement. 

D’autres industriels réfléchissent à l’écoconception de leurs emballages plastiques. Par exemple, le choix d’emballages plastiques noirs est souvent privilégié par les industriels pour des raisons de design, alors que cette couleur le rend plus difficile à reconnaître par les robots dans les centres de tri. Certaines marques ont donc décidé de revenir à des plastiques blancs ou transparents, pour que les plastiques qu’ils utilisent soient plus facilement triés et recyclés. Parmi les démarches écoresponsables, beaucoup d’industriels réfléchissent également à alléger leurs emballages, ou par exemple à utiliser les mêmes plastiques pour l’ensemble de l’emballage, pour rendre son recyclage plus facile, et donc moins énergivore. L’intégration de matières recyclées dans les emballages est aussi une tendance que l’on voit de plus en plus. 

Est-ce que Polyvia s’investit dans le travail de R&D permettant de mettre en place des pratiques plus écoresponsables autour de l’usage des plastiques ?

Nous avons un centre technique industriel, l’IPC, qui travaille avec Citeo pour développer des technologies et des pratiques plus écoresponsables sur l’usage des plastiques. Y est installée une ligne de recyclage ressemblant en tout point à celles que l’on peut trouver dans n’importe quel centre de tri, avec toutes les étapes de tri, et qui permet à tout industriel développant un emballage innovant de savoir si ce dernier va “perturber” le tri. De cette façon, nous pouvons aider les industriels à mettre au point des emballages innovants plus écoresponsables.

Pensez-vous que la crise sanitaire a constitué un frein au développement des pratiques écoresponsables autour des usages du plastique ?

Non, je ne crois pas. La crise n’a pas arrêté tout ce mouvement, d’ailleurs les centres de tri ont continué à fonctionner pendant toute la période de confinement, ce qui était évidemment indispensable du point de vue de la salubrité publique.

Nous sommes également toujours dans une phase d’extension des consignes de tri. Ce mouvement lancé il y a plusieurs années par Citeo a d’ores et déjà permis de faire évoluer favorablement les habitudes. Cette extension des consignes de tri devrait être effective sur tout le territoire en 2022. Cela nous permettra je l’espère d’encore passer un cap en termes d’efficacité, à la fois pour la collecte et le tri.

Propos recueillis par Pierre Thouverez

Image de Une : les laboratoires de SGH Healthcaring, société issue de l’association de trois plasturgistes, spécialistes du dispositif médical et du dosage pharmaceutique pour les industries pharmaceutiques. ©SGH Healthcaring

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