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Interview

Penser l’après Covid-19 : vers quels modèles économiques se tourner ?#4 Renforcer l’agriculture française

Posté le par Chaymaa Deb dans Entreprises et marchés

Depuis le début de la crise liée à l'épidémie de coronavirus, l'économie française est grippée. Dans ce contexte de fragilisation économique, Techniques de l'Ingénieur s'est entretenu avec plusieurs personnalités qui expliquent la crise et imaginent les modèles futurs. Pour Samuel Vandaele, président du syndicat Jeunes Agriculteurs, la France devrait profiter de l'élan de solidarité des citoyens pour renforcer son modèle agricole. Selon lui, l'Union européenne doit travailler à la mise en place d'un système permettant d'assurer la sécurité alimentaire de ses ressortissants.

Il semblerait que la crise du Covid-19 ait provoqué chez les Français un phénomène de patriotisme alimentaire. De l’achat de produits élaborés en France au renfort de main d’œuvre sur les exploitations, plusieurs initiatives ont vu le jour pour venir en aide aux agriculteurs. Pour Samuel Vandaele, président du syndicat Jeunes Agriculteurs, tout ceci est la preuve d’un attachement fort des Français à leur modèle agricole. Mais conscient des profondes difficultés économiques du secteur, Samuel Vandaele espère une reprise efficace des politiques agricoles jusqu’à l’échelle européenne.

Techniques de l’Ingénieur : Depuis le début de la crise du Covid-19, près de 300 000 Français ont proposé de prêter main forte aux agriculteurs sur leurs exploitations via le dispositif « Des bras pour ton assiette ». Comment interprétez-vous l’élan de solidarité à l’égard des agriculteurs ?

Samuel Vandaele : Cela montre la volonté d’un retour aux sources de certains de nos concitoyens. Nous sentons que les Français sont fiers de pouvoir compter sur les nombreux agriculteurs du territoire et leurs productions diversifiées. Nous sommes tous conscients que sans eux, il serait très difficile d’assurer notre sécurité alimentaire.

La France gagnerait-elle à favoriser les productions françaises au nom de cette sécurité alimentaire ?

Selon moi, ce sera l’un des enjeux majeurs en sortie de crise. Nous nous rendons bien compte que s’il n’y avait pas un retour à l’agriculture française, dans les magasins, ce serait un peu plus compliqué. Je pense que les grandes surfaces ont aussi besoin de faire valoir un patriotisme alimentaire. Or, l’agriculture française doit être mise en avant de façon constante. Et pas uniquement lors de périodes difficiles, où chaque acteur économique tente de sauver sa peau.

Comment les grandes enseignes ont-elles aidé le secteur agricole français ?

Nous avons pris contact avec l’ensemble des directeurs généraux des grandes enseignes pour leur faire comprendre que nous avions aussi besoin d’eux pour sauver certaines filières. Nous leur avons donc demandé de promouvoir les produits des filières en crise. Nous leur avons également demandé de mettre davantage en avant les produits français, au détriment des productions étrangères.

Les produits français sont-ils actuellement vendus à leur juste prix ?

Dans certains magasins, on se rend compte que les prix ont beaucoup augmenté. Mais cela ne veut absolument pas dire que les producteurs seront de fait mieux rémunérés. Cependant, des négociations avec la grande distribution sont en cours. Dans l’ensemble, elles semblent porter leurs fruits. Mais il est difficile d’en savoir tous les détails, car les négociations se font directement entre les producteurs et les distributeurs locaux. Mais en général, lorsque nous n’avons pas de retour, c’est que ça se passe plutôt bien.

Quelles sont les filières qui rencontrent le plus de difficultés à l’heure actuelle ?

La première filière la plus impactée par la crise est celle de la viande bovine. Généralement, de nombreuses pièces de bœuf sont nobles et sont vendues à un prix plus élevé. Or en ce moment, les Français se dirigent vers des morceaux moins nobles et sur de la viande à congeler. Par conséquent, certains morceaux nobles se retrouvent actuellement dévalués. La filière laitière est également durement touchée. Autre problématique dans ces deux cas : les marchés de l’export sont au ralenti, voire totalement à l’arrêt. Cela entraîne plusieurs effets, dont une surproduction laitière. Ainsi, certains agriculteurs diminuent leur cheptel laitier, et cette viande accentue l’engorgement de la filière bovine. Cela veut également dire que des agriculteurs vont perdre une partie de leurs animaux. Par conséquent, ils risquent de ne plus pouvoir produire assez en sortie de crise.

Des mesures sont-elles mises en place pour aider ces exploitants agricoles ?

Aujourd’hui, aucune mesure de soutien n’est mise en place par l’État ou l’Union européenne. Mais l’interprofession laitière, le Cniel [le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, NDLR], a débloqué un fonds de compensation. Elle appelle les agriculteurs à réduire leur production, et s’engage à compenser cette perte par le fonds mis en place. Ainsi, le Cniel rachèterait le lait produit à hauteur de 320 € les 1 000 L de lait, afin d’éviter les pertes sèches. Pour que cette solution soit effectivement mise en place, nous avons besoin d’une validation de l’Europe. Or aujourd’hui, nous l’attendons toujours.

Pensez-vous que l’Union européenne pourrait favoriser les filières locales et les circuits courts ?

Pour favoriser l’accès à des produits issus de l’agriculture locale, il est essentiel de repenser la légitimité de certains accords commerciaux. Si les consommateurs sont moins attirés par des produits venus de loin, des traités comme le Mercosur ou le CETA sont-ils réellement pertinents ? Les consommateurs voulaient bien les consommer auparavant pour des raisons budgétaires ; mais aujourd’hui, ils veulent privilégier la sécurité sanitaire des produits qu’ils mangent.

Cela suffira-t-il à assurer la sécurité alimentaire des Français et des Européens ?

Non, je pense qu’il va falloir aller beaucoup plus loin. Nous devons développer notre capacité à organiser des stocks, aussi bien au niveau français qu’au niveau européen. Cette condition est essentielle pour garantir notre sécurité alimentaire. C’est le seul moyen de pouvoir garantir une alimentation convenable en temps de crise. Mais aujourd’hui, il n’y a pas un seul scénario qui serait facile à mettre en place. Et il ne faut pas avoir une vision par silo, mais bien envisager toutes leurs filières dans leur ensemble pour tirer toute l’agriculture française vers le haut. Et il est essentiel qu’une telle mesure soit coordonnée à l’échelle européenne.

L’Union européenne devrait-elle davantage protéger son agriculture ?

En effet, l’Europe devrait renforcer sa sécurité agricole. Pourquoi ne pas mettre en place un organisme de gestion européenne de la qualité alimentaire ? Ce dernier pourrait assurer la gestion des stocks, et la traçabilité des produits via un système d’étiquetage efficace. Cette recherche de qualité aurait nécessairement pour conséquence la valorisation du travail de nos agriculteurs. Et de fait, cela serait bénéfique pour notre économie. De même, il faudrait sanctionner ceux qui ne joueraient pas ce jeu, ou qui auraient des communications abusives. Dans tous les cas, la coopération européenne reste essentielle.

Propos recueillis par Chaymaa Deb.

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