Avec son nouveau Bilan prévisionnel 2035, RTE acte une abondante production d’électricité. Une situation qui interroge sur la capacité de la consommation à augmenter, et sur les investissements nécessaires dans les énergies renouvelables, qui font figure de variable d’ajustement.
La crise politique parlementaire qui frappe la France depuis juin 2024 a amplifié le retard important de la planification énergétique. Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) sont en effet toujours en attente. Le pays n’en finit pas de tourner en rond autour de ces documents stratégiques qui doivent fixer les orientations pour décarboner l’économie et assurer la souveraineté d’approvisionnement. Alors que le Gouvernement Lecornu semble prévoir leur publication prochaine, le débat est encore vif autour de la place que les énergies renouvelables électriques doivent prendre à l’avenir.
La publication par RTE de son bilan prévisionnel 2035 ne va pas probablement pas calmer la polémique. Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité a revu ses précédents travaux prospectifs de 2021 et 2023 et semble, en filigrane, évoquer une baisse des objectifs pour l’éolien et le solaire photovoltaïque.
Abondance d’électricité
De quel constat part RTE ? Très factuellement, il observe deux phénomènes depuis l’an dernier. Côté consommation, la demande d’électricité stagne autour de 450 TWh, soit 30 TWh de moins que la moyenne 2014-2019. Les politiques d’efficacité énergétique portent leurs fruits, et les consommateurs ont intégré des comportements de sobriété et de prudence face à la volatilité des prix, renforcés par un contexte politique, économique et réglementaire incertain.
Côté production, après l’annus horribilis de 2022, les parcs nucléaire et hydroélectrique ont retrouvé un niveau normal. En y ajoutant la croissance des parcs solaires et éoliens, la production est largement supérieure à la consommation en 2024 et 2025. Une situation de surcapacité qui devrait perdurer quelques années selon RTE, vu qu’une dizaine de GW photovoltaïque et 3,5 GW éolien vont être mis en service entre 2026 et 2030.
Le président du directoire de RTE, Xavier Piechaczyk, reconnaît ainsi « l’abondance » actuelle, avec ses avantages : la balance commerciale est en faveur de la France qui est redevenue exportatrice nette de plus de 80 TWh ; les prix de marché ont baissé, ce qui peut inciter à l’électrification notamment dans le transport et l’industrie. Des avantages qui ont leurs inconvénients : cette surcapacité électrique engendre des pertes de revenu pour les producteurs, et elle oblige parfois à écrêter les productions renouvelables.
Deux scénarios pour 2035
Face à une électrification des usages moins rapide qu’imaginée en 2023, RTE a revu à la baisse ses prévisions de consommation (voir le graphique à la fin de cet article). D’ici 2035, il imagine deux scénarios possibles. L’un, encore très optimiste, conduit à une demande de 580 TWh en 2035. Elle repose, d’ici 2030, sur une multiplication par quatre du nombre de véhicules électriques (+17 TWh), à l’installation de 2,9 GW d’électrolyse pour la fabrication d’hydrogène (+15 TWh), à l’électrification des process industriels (+13 TWh) et à l’implantation de 4,3 GW de datacenters (+10 TWh). Ces options conduisent à une « Décarbonation rapide »… c’est-à-dire à l’atteinte des objectifs de baisse des émissions prévue par le cadre européen du Fit-for-55.
L’autre scénario, dit de « Décarbonation lente », minimise chacun de ces leviers de consommation (respectivement +9, +5, +4 et +6 TWh) pour arriver à 505 TWh en 2035. Selon RTE, cette option renchérirait les coûts complets du système électrique à l’horizon 2030 de 6 à 7 €/MWh, à cause du surdimensionnement du parc.
Pour la production, RTE envisage quatre rythmes de développement de l’éolien et du solaire photovoltaïque. D’un parc actuel d’environ 55 GW, on passerait en 2035 à 77 GW (R1), à 95 GW (R2), à 118 GW (R3) ou à 150 GW (R4). Excluant a priori R1 (trop faible) et R4 (trop coûteux), RTE condamne en quelque sorte les deux filières renouvelables à se développer à un rythme plus lent que ces dernières années : entre 2,5 et 3,5 GW/an pour le solaire et entre 0,7 et 1,5 GW/an pour l’éolien terrestre.
Dans tous les cas, le gestionnaire du réseau de transport reconnaît qu’il va devoir adapter son pilotage de l’équilibre offre-demande. Des solutions de flexibilité de la demande et de stockage seront incontournables, ainsi que la modulation des centrales nucléaires et l’écrêtement des renouvelables dans le cas d’un maintien de la surcapacité.
Pourquoi limiter le rythme des renouvelables ?
Cette façon d’envisager l’éolien et le photovoltaïque comme des variables d’ajustement pose question, et va entretenir le débat parlementaire, alors que la droite de l’Hémicycle a déjà essayé de leur imposer un moratoire. Ne serait-il pas plus simple, comme le proposent certains, de gérer ces situations momentanées d’excédent en mettant des réacteurs nucléaires sous cocon, c’est-à-dire en arrêt temporaire ?
On notera que le Bilan prévisionnel 2035 de RTE est silencieux sur le nouveau nucléaire. De fait, 2035 est un horizon de temps trop proche pour l’inclure, puisqu’il est très peu probable que le premier EPR2 sorte de terre avant 2040. RTE dit tout juste que si l’électrification reste modérée, les projets éoliens en mer et nucléaires pourraient être remis en question. Il aurait pu ajouter qu’en cas de retard des constructions des EPR2, voire de leur abandon pour des raisons économiques ou politiques, le rythme R4 de développement des renouvelables serait bien plus souhaitable pour la sécurité d’approvisionnement.
D’ailleurs, même si les réacteurs nucléaires existants étaient prolongés jusqu’à 60 ans et si 14 nouveaux EPR2 voyaient le jour d’ici 2055, le spécialiste Cédrick Philibert montre que la puissance installée du parc atomique de production d’électricité serait divisée par deux d’ici 2048 (à peine plus de 30 GW). Avec cette perspective de « pénuries durables », ce serait selon lui « une grave faute d’imprévoyance » d’arrêter le rythme de déploiement des énergies renouvelables.
Les atermoiements français sur le solaire photovoltaïque et l’éolien sont d’autant moins compréhensibles que la dynamique mondiale est très largement en leur faveur. Coûts en baisse, facilité d’installation, meilleure efficacité énergétique, avantages géopolitiques : la révolution Electrotech, comme l’a nommée le think tank Ember, est en train de gagner la bataille. La France sera-t-elle du côté des perdants ?










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