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Traitements de l’eau en bouteille : scandale sanitaire ou tempête dans un verre d’eau ?

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Entreprises et marchés

Des révélations médiatiques survenues au début de cette année ont permis de mettre au jour des pratiques illicites de traitement mises en œuvre par une bonne partie des producteurs français d’eau de source et d’eau minérale en bouteilles. L’occasion pour nous de faire un point sur les traitements autorisés – ou non – pour purifier les eaux dites « conditionnées ». Un secteur prospère, cependant confronté à une dégradation de la ressource qu’il exploite sous l’effet d’une pression anthropique grandissante.

L’affaire aura fait grand bruit. Le 30 janvier dernier, nos confrères du Monde et de la cellule investigation de Radio France révélaient l’existence, au sein de la filière des eaux de source et minérales française, de « pratiques trompeuses » mises en place de longue date et à grande échelle. « Pendant des années, des eaux vendues comme “de source” ou “minérales naturelles” ont subi des techniques de purification interdites », résumait en effet Stéphane Foucart dans les colonnes du Monde. Des traitements mis en œuvre pour une trentaine de pour cent – au moins – des quelque 146 « dénominations commerciales » distribuées sur le marché français, comme l’estime l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport remis au gouvernement en juillet 2022, et aujourd’hui rendu public. Un document dont les auteurs concèdent même ne pas avoir de doute sur le fait que cette part d’environ 30 % soit sous-estimée, et que la mise en œuvre de tels traitements soit en réalité de mise chez « l’ensemble des minéraliers », puisque « délibérément dissimulée »

Le point de départ de l’affaire est ainsi constitué par une dénonciation, un signalement effectué en 2020 par le salarié d’une usine du groupe Alma, n° 1 français en volume grâce, notamment, à sa célèbre marque Cristaline. « Sur la base [de ce] signalement […], le Service national des enquêtes (SNE) de la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF) a mené des investigations qui ont permis de révéler un certain nombre d’écarts à la réglementation, tout particulièrement en matière de traitement », indique ainsi le rapport de l’IGAS.

Des investigations dans la foulée desquelles un autre grand nom du secteur – Nestlé Waters, qui détient notamment les marques Hépar, Contrex, Perrier, ou encore Vittel – s’est lui-même manifesté auprès du cabinet de la ministre déléguée en charge de l’industrie d’alors, Agnès Pannier-Runacher, pour – discrètement[1] – confesser à son tour la mise en œuvre « de pratiques de traitement non conformes », comme le note l’IGAS. Un « rendez-vous secret », tel que le décrit Radio France, qui s’est tenu à Bercy fin août 2021. Ceci, « dans une sorte d’étrange et totalement informelle procédure de plaider-coupable », comme le notent, à nouveau, nos confrères de Radio France… « Après ces révélations, […] les ministères compétents (Économie et Santé) […] ont décidé de saisir l’Inspection générale des affaires sociales » retracent les auteurs du rapport publié par le service administratif français.

Entre dévoiement et franche illégalité, des industriels pêchant en eaux troubles

Outre un travail documentaire et l’envoi de questionnaires à l’ensemble des exploitants de sites de conditionnement d’eau en bouteilles, l’IGAS a ainsi coordonné une campagne d’inspection « de grande envergure », menée par les Agences régionales de santé (ARS) au printemps 2022 auprès d’une quarantaine de marques d’eau en bouteille. « Les travaux réalisés par la mission ne constituent pas un contrôle, mais relèvent davantage d’une étude détaillée des processus d’autorisation, de traitement et de contrôle des EC [eaux conditionnées] », souligne le rapport de l’IGAS.

Ces investigations ont ainsi permis au service administratif d’aboutir à cette part d’au moins 30 % d’eaux minérales et d’eaux de source faisant l’objet de traitements « non conformes à la réglementation ». Et l’IGAS de révéler que « les écarts principalement signalés concernent la pratique de la microfiltration ».

Visant à retenir les particules en suspension dans l’eau, la technique n’est pourtant pas tout à fait proscrite en soi, comme le note l’IGAS elle-même dans son rapport : « Depuis 2001 […], le recours à des filtres dont le seuil de coupure est supérieur à 0,8 µm est toléré par la Direction générale de la santé (DGS) ». Problème, tolérée dans des cas exceptionnels, la mise en œuvre de ce procédé de filtration membranaire s’est toutefois révélée généralisée, et même « dévoyée » selon l’IGAS. En cause, un manque de clarté de la réglementation, mais aussi –  et surtout – une recrudescence des situations de non-conformité des eaux conditionnées vis-à-vis des différents critères de qualité auxquels elles se doivent de répondre, définis notamment dans l’arrêté du 14 mars 2007 modifié. « Les ressources aquifères exploitées par Nestlé [Waters] sont régulièrement contaminées microbiologiquement, notamment par des bactéries de type Escherichia coli. Des traces de polluants chimiques, comme des métabolites de pesticides, ont également été découvertes dans l’eau de Perrier. Les traitements non conformes mis en place n’ont donc pas eu seulement pour but de prévenir d’éventuelles contaminations de l’eau, mais bien de la “nettoyer” des contaminants », expliquent ainsi la cellule investigation de Radio France, sous la plume de la journaliste Marie Dupin.

Une situation qui a ainsi poussé le groupe minéralier à commettre – comme il l’a lui-même révélé aux membres de la mission de l’IGAS et à l’ARS Grand Est à l’occasion d’un contrôle mené sur l’un de ses sites d’embouteillage – des écarts « plus graves » encore, comme les qualifie l’IGAS.

Outre la mise en place de dispositifs de microfiltration, agissant, qui plus est, sous le seuil de 0,8 µm toléré à titre exceptionnel par la DGS, les quatre usines du groupe ont en effet mis en œuvre d’autres procédés de traitement « dont l’interdiction est absolue » et qui ne laisse ainsi place à aucune interprétation comme le souligne l’IGAS. En l’occurrence : l’adsorption sur charbon actif, et le traitement par ultraviolets. Des techniques certes autorisées pour la purification de l’eau du robinet et des eaux « rendues potables par traitements », mais interdites pour la désinfection des eaux minérales, qui se doivent en effet, par définition (lire en encadré ci-dessous), d’être microbiologiquement saines et tenues à l’abri de tout risque de pollution d’origine anthropique. « Tout traitement de désinfection par quelque moyen que ce soit et […] l’adjonction d’éléments bactériostatiques ou tout autre traitement de nature à modifier le microbisme de l’eau minérale naturelle sont interdits », précise ainsi la directive européenne 2009/54/CE relative à l’exploitation et à la mise dans le commerce des eaux minérales naturelles.

Ce qui ne signifie toutefois pas qu’aucun autre traitement que la microfiltration ne puisse être réalisé sur les eaux minérales…

Certains traitements autorisés

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En France, la consommation annuelle d’eau embouteillée s’élevait, en 2018, à 135 litres par habitant, soit une consommation de 9 milliards de litres pour l’ensemble de la population française[2]
Le texte dispose en effet qu’à condition qu’il soit notifié aux autorités compétentes et qu’il fasse l’objet d’un contrôle spécifique, le traitement de l’eau minérale par filtration ou décantation, éventuellement précédée d’une oxygénation, est possible. Ceci, dans le but uniquement de séparer « des éléments instables », tels que des composés de fer et de soufre. Un traitement par air enrichi en ozone est également autorisé pour séparer les composés du fer, du manganèse, du soufre ainsi que de l’arsenic. Dans un cas comme dans l’autre, ces traitements se doivent de ne pas modifier « la composition de l’eau quant aux constituants essentiels qui lui confèrent ses propriétés », comme le précise la directive.

De tels procédés sont ainsi mis en œuvre, par exemple, sur certains sites de captage du groupe Alma, comme l’explique par le menu, dans un article publié au sein des Annales de la Société Géologique du Nord, le directeur qualité et environnement des sources Alma, Thierry Vinay. Et le responsable de préciser que « tous ces traitements sont dûment autorisés par arrêté préfectoral et régulièrement contrôlé par les laboratoires des sites, et suivis par l’Agence régionale de Santé ».

Une mise en lumière de la dégradation de la ressource

Une situation de conformité toutefois loin d’être de mise sur l’ensemble des sites exploités par les minéraliers français, comme l’ont donc mis en lumière les révélations médiatiques de janvier dernier. Pire, dans le cas de Nestlé Waters, certains dispositifs de traitement interdits ont été délibérément cachés, comme le note le rapport de l’IGAS : « Les points de prélèvement utilisés pour qualifier la qualité de la ressource brute (à l’émergence) ont été délibérément positionnés après ces traitements non autorisés ». Des pratiques clairement illégales, face auxquelles le groupe a ainsi annoncé le déploiement d’un « plan de retour à la normale », autrement dit un plan de retrait des dispositifs de traitement non conformes, comme le précise l’IGAS. Prévue pour durer plusieurs mois, l’opération ne garantit en outre pas la possibilité de « juguler la dégradation de la qualité de la ressource », comme le notait l’IGAS dans son rapport remis au gouvernement en juillet 2022. À juste titre au vu de l’actualité récente : Nestlé Waters a annoncé le 24 avril dernier, à Franceinfo et au Monde, avoir procédé à la destruction préventive de pas moins de deux millions de bouteilles de sa marque Perrier, en raison de la présence de bactéries d’origine fécale dans l’un de ses forages de Vergèze, dans le Gard. « Dans un arrêté du 19 avril obtenu par l’AFP, […] le préfet du Gard a mis en demeure l’entreprise de “suspendre sans délai” l’exploitation de l’un de ses sept captages de Vergèze, ce dernier ayant présenté “un épisode de contamination à partir du 10 mars 2024 et sur plusieurs jours par des germes témoins d’une contamination d’origine fécale (coliformes, Escherichia coli), mais aussi par des germes de l’espèce Pseudomonas aeruginosa” », note Stéphane Foucart dans les colonnes du Monde.

Un signe de la pression anthropique de plus en plus lourde qui pèse sur les aquifères exploités par les minéraliers. « Qu’ils soient chroniques ou accidentels, les risques liés à l’agriculture intensive […], l’industrie ou l’urbanisation (ruissellement d’hydrocarbure sur les voiries, fuite des citernes à fioul et du réseau d’assainissement…) sont un enjeu pour la pérennité des agréments eau minérale naturelle et de leurs usages », note ainsi dans un article paru sur le site The Conversation le docteur en géographie économique associé au laboratoire de recherche EVS (Université Lumière Lyon 2) Guillaume Pfund.

Des dangers face auxquels deux outils réglementaires de protection[3] ont été mis en place comme l’explique l’expert, qui les qualifie toutefois de « vieillissants » et qui note qu’ils sont en outre « peu respectés et mobilisés »« Dans Les Échos, Nestlé Waters explique avoir dû se résigner à cesser l’exploitation de deux émergences, dans les Vosges, alimentant la marque Hépar. Et un quart des puits exploités par la société à Vergèze seront désormais dévolus à la production d’eau aromatisée, qui sera commercialisée sans le label “Eau minérale naturelle” », souligne ainsi dans son article du 31 janvier dernier, le journaliste du Monde Stéphane Foucart.

Or, « les usages économiques liés à l’eau minérale naturelle[4] (EMN) sont étroitement dépendants du maintien de cette appellation », note le chercheur lyonnais Guillaume Pfund, avant, finalement, de le rappeler : « L’enjeu sur le recours à ces traitements [non autorisés], pourtant sans risques pour la consommation humaine, est avant tout un enjeu juridique lié à l’appellation d’eau minérale naturelle. […] La perte de l’appellation EMN entraînerait de lourdes conséquences économiques pour les exploitants ».

Au-delà de cet aspect, sans véritablement constituer un scandale sanitaire stricto sensu, de par la tromperie envers le consommateur qu’elle constitue, mais aussi une certaine forme de connivence entre minéraliers et pouvoirs publics qu’elle révèle[5], l’affaire ne s’apparente pas pour autant – loin de là – à une simple tempête dans un verre d’eau.

« Minérale », « de source », « rendue potable par traitements »… Des différences qui ne coulent pas de source

Considérées comme des denrées alimentaires, les eaux dites « conditionnées » – en bouteilles et autres bonbonnes – se déclinent en trois grandes catégories : l’eau minérale naturelle, l’eau de source et l’eau rendue potable par traitements. « Ces eaux se distinguent par leur nature, les exigences de qualité qu’elles doivent respecter et les traitements dont elles peuvent faire l’objet », résume le ministère de la Santé.

Les deux premières de ces trois catégories – celles des eaux minérales naturelles et des eaux sources – partagent un point commun : elles sont obligatoirement d’origine souterraine, microbiologiquement saines, et doivent être tenues à l’abri de tout risque de pollution. « Ces eaux ne peuvent faire l’objet que de quelques traitements autorisés par la réglementation (séparation des constituants naturellement présents tels que le fer ou le soufre, notamment), la désinfection de l’eau étant interdite », précise le ministère.

Par rapport aux eaux de source, les eaux minérales naturelles se distinguent par leur teneur en minéraux et oligoéléments, ainsi que la stabilité dans le temps de leurs caractéristiques. « En outre, certaines eaux minérales naturelles peuvent faire état d’effets favorables à la santé reconnus par l’Académie nationale de médecine », note le ministère de la Santé.

Les eaux de source, quant à elles, s’apparentent sur le plan de leur qualité physicochimique et radiologique, à une simple eau du robinet, les traitements en moins, comme évoqué plus haut.

Enfin, comme l’explique, toujours, le ministère de la Santé : « Les eaux rendues potables par traitements sont des eaux d’origine souterraine ou superficielle qui peuvent faire l’objet des mêmes traitements que l’eau du robinet, y compris la désinfection. Elles répondent aux mêmes exigences de qualité microbiologique que les eaux minérales naturelles et les eaux de source, et aux mêmes exigences de qualité physicochimique et radiologique que l’eau du robinet ». Limpide !


[1] Le groupe n’a rendu publique l’information que le 28 janvier dernier dans le journal Les Échos, deux jours avant la parution des enquêtes du Monde et de Radio France.

[2] Source

[3] Notamment le « périmètre sanitaire d’émergence » (PSE).

[4] Embouteillage, mais aussi thermalisme.

[5] Comme le notent nos confrères de Déchets Infos dans un post publié sur X le 30 janvier.

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


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