L’industrialisation de procédés de captage du carbone est un pilier émergent des stratégies bas-carbone, surtout dans les secteurs responsables de fortes émissions incompressibles. Eiffage et la start-up Revcoo expérimentent une voie ambitieuse pour traiter les émissions résiduelles.
Depuis 2024, le groupe de construction Eiffage, en partenariat avec la start-up lyonnaise Revcoo, teste sur son site de production de chaux à Haut-Lieu (Nord) un procédé cryogénique de capture du CO₂ mis au point par cette jeune entreprise. Ce démonstrateur vise à congeler le gaz carbonique des fumées industrielles à -196 °C à l’aide d’un jet d’azote liquide, pour le liquéfier ensuite et le stocker, sans recours à l’eau ni à des solvants chimiques classiques. Le pilote actuel capture l’équivalent de 1 000 tonnes de CO₂ par an.
La technologie développée par Revcoo porte le nom CarbonCloud. Elle se distingue par sa simplicité d’intégration. L’installation est greffée en post-combustion, sans modifier le cœur de procédé industriel, et repose sur des composants standard (compresseurs, sécheurs, échangeurs) pour limiter les coûts et les risques techniques. Le procédé combine deux procédés brevetés, avec respectivement un jet cryogénique pour convertir le CO₂ en phase liquide et un système interne de récupération thermique issu des fumées pour alimenter le cycle.
Actuellement, le pilote ne traite qu’environ 2 % des émissions totales du site de chaux, dont la production journalière atteint environ 300 tonnes de chaux. Eiffage a pour objectif de réduire de 46 % ses émissions directes d’ici 2030. Sur ce site spécifique, Revcoo ambitionne d’augmenter progressivement la capacité du système pour atteindre, à terme, 80 000 à 100 000 tonnes de CO₂ capturées par an – l’équivalent de l’ensemble des émissions du site.
Le procédé est particulièrement adapté aux fumées industrielles qui présentent une concentration de CO₂ entre 10 % et 70 %. Cette plage le rend pertinent pour les cimenteries, les incinérateurs, les verreries, les installations de biomasse ou encore les sites de production d’engrais. En Europe, Revcoo a identifié près d’un millier de sites industriels présentant ces caractéristiques. En outre, certains clients potentiels, comme des cimenteries d’Allemagne, d’Italie ou d’Espagne, se sont déjà montrés intéressés pour tester cette technologie en condition réelle.
Sur le plan financier, Revcoo a bénéficié d’un soutien initial de 6 millions d’euros et d’un appui dans le cadre du plan France 2030. La start-up prévoit une levée de fonds de 20 millions d’euros d’ici fin 2025 pour accélérer son développement, renforcer ses effectifs (passer de 12 à 40 employés d’ici 2027) et lancer la production de machines modulaires capables de capturer 100 000 tonnes de CO₂ par an. Selon les estimations, l’investissement nécessaire pour un site industriel se situerait entre 50 et 100 millions d’euros, avec une rentabilité attendue sur 5 à 6 ans.
Cette technologie cryogénique s’inscrit dans une catégorie de techniques de capture post-combustion par séparation physique, qui peuvent présenter des avantages significatifs par rapport aux procédés chimiques classiques (solutions aqueuses d’amines). Selon des études académiques, la capture cryogénique pourrait permettre une efficacité plus élevée, une pénalité énergétique moindre et une réduction de l’usage de solvants ou d’eau. Cependant, malgré ces promesses, la commercialisation de ces méthodes reste aux stades de démonstrateurs ou prototypes dans de nombreux cas, en raison de défis relatifs à la gestion thermique, à la formation de givre/dépôts de CO₂ solide, au dimensionnement et au coût global des installations.
Un aspect critique concerne l’usage ou le stockage final du CO₂. Le gaz capturé peut être utilisé dans la fabrication de carburants de synthèse, de produits chimiques, ou bien injecté dans des structures géologiques de stockage souterrain (CCS). Mais ces filières restent encore peu développées en France, et l’incertitude réglementaire ou économique sur leur déploiement freine l’adoption massive. Revcoo et d’autres acteurs appellent à un cadre stable et clair pour encourager le développement de marchés de valorisation ou de séquestration à long terme. Par ailleurs, certains critiques considèrent le captage du carbone comme un palliatif permettant aux industries de conserver des procédés polluants plutôt que de les transformer en profondeur – une crainte que Revcoo et les industriels partenaires reconnaissent eux-mêmes, en insistant sur le rôle complémentaire du captage dans une stratégie globale de décarbonation.
Le cas d’Eiffage et Revcoo constitue un exemple industriel inédit en France de tentative de captage cryogénique à l’échelle d’un site réel. Il illustre les opportunités technologiques pour les secteurs difficiles à décarboner, mais aussi les verrous encore à lever, tels que les performances énergétiques, les coûts d’investissement, la disponibilité des infrastructures de stockage ou de valorisation du CO₂, et l’acceptabilité réglementaire. Si les prochaines phases de montée en capacité réussissent, ce démonstrateur pourra servir de modèle pour d’autres industries européennes confrontées au dilemme de réduire leurs émissions résiduelles par des procédés compatibles avec leurs contraintes industrielles.









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