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Daniel Battu : « Le domaine des communications par satellite s’ouvre à un univers fabuleux, très vaste et diversifié »

Posté le par La rédaction dans Informatique et Numérique

Consultant indépendant pour le domaine des réseaux et télécoms, Daniel Battu évoque les multiples innovations qui agitent le secteur des satellites atmosphériques. Ces plateformes en haute altitude, complémentaires des satellites traditionnels (LEO, MEO, GEO), suscitent un intérêt croissant pour leurs applications en télécoms, en surveillance et en gestion de crises. Auprès de Techniques de l’Ingénieur, Daniel Battu intervient en tant qu'auteur sur les communications spatiales.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel et nous expliquer comment vous en êtes venu à travailler dans le domaine des communications spatiales ?

J’ai commencé ma carrière dans les services postaux, où j’ai admiré la rigueur de la réglementation des PTT et le respect de la langue française, aussi bien dans l’expression juridique que dans la description des fonctionnements techniques. Puis, après avoir réussi des épreuves d’atelier, j’ai fait mouvement vers les services techniques des communications à longue distance. J’ai eu la chance de manipuler des matériels de conception assez ancienne, puis de travailler sur des prototypes répondant aux normes des techniques nouvelles. La pratique de l’anglais s’est effectuée progressivement. Après la réalisation de systèmes prototypes et de réseaux originaux, j’ai été conduit à former des ingénieurs de pays en voie de développement, des étudiants de l’Université Paris-Dauphine et de jeunes agents commerciaux sur l’ensemble de la thématique des réseaux et services associée à la normalisation de ceux-ci. Avec avoir rédigé 18 ouvrages de formation générale et couvert plus de 80 thèmes, dont ceux des modems, de l’ADSL, de la tarification et de la voiture connectée, le domaine spatial est le dernier thème pour lequel j’ai été sollicité au titre de consultant indépendant.

Comment définiriez-vous un satellite atmosphérique ? En quoi se différencie-t-il des satellites placés en orbite basse (LEO), moyenne (MEO) ou géostationnaire (GEO) ?

Alors que les satellites GEO, MEO et LEO évoluent au sein de l’exosphère et au-dessus, le satellite atmosphérique est exploitable au sein de l’atmosphère terrestre et dans la troposphère, c’est-à-dire à une altitude comprise entre 1,3 km et 40 km. Les satellites atmosphériques ne quittent pas la zone ou le parcours qui leur ont été assignés. Certains sont astreints à demeurer au sein d’un cube de 3 km de côté. Ces HAPS (ou Plateforme de Haute Altitude) sont en place pour une durée courte de l’ordre de 20 minutes à un mois, selon la catégorie et les usages. Ils peuvent remplir plusieurs missions pour des prestataires différents : télécommunications, surveillance incendie, contrôle de divers paramètres d’ambiance.

Les satellites géostationnaires (GEO) sont placés dans le plan équatorial terrestre à 36 000 km d’altitude et ils paraissent donc stables par rapport à un point fixe. Il suffit de trois GEO pour couvrir la presque totalité de la Terre (soit trois fois 42 % de la surface terrestre). Les signaux retransmis par ces satellites sont affectés d’un retard de transmission de 240 ms par sens de transmission. Les GEO, sont des satellites lourds et ils ont été construits à l’unité.

Les satellites d’orbite moyenne (MEO) sont placés à des altitudes comprises entre 8 000 et 24 000 km. Ils peuvent tourner autour de la Terre dans des plans non équatoriaux ou non polaires avec une période de révolution comprise entre 2 et 12 heures. Il faut les renouveler tous les 8 à 10 ans.

Les satellites en orbite basse ou très basse (LEO, VLEO) sont placés sur des orbites circulaires à des altitudes comprises entre 90 et 2 000 km. Pour couvrir efficacement toute la surface terrestre, il faut mettre en place des constellations de dix mille à quatorze mille satellites en plusieurs plans. Les signaux retransmis par ces satellites sont affectés d’un retard de transmission compris entre 6 à 20 ms. LEO et VLEO sont fabriqués en série (de 1 à 10 kg). Si la durée de vie d’un GEO peut atteindre 20 ou 30 ans, celle des LEO/VLEO motorisés peut atteindre 15 ans.

Les dernières expérimentations effectuées ont démontré que l’atmosphère terrestre est un milieu inhospitalier et mal connu, malgré sa proximité. De plus, il a été observé une suite de phénomènes inexpliqués, dont certains affectent le comportement des satellites LEO et MEO en service, les GEO paraissant moins concernés. Si la maîtrise de ces phénomènes semble assurée pour les satellites LEO et MEO, rien ne garantit que des difficultés environnementales plus importantes ne se manifesteront pas dans la gestion et le fonctionnement des satellites atmosphériques.

Quels sont aujourd’hui les principaux usages de ces satellites ? Dans quels secteurs sont-ils le plus utilisés ?

Les GEO, depuis le début de leur exploitation en 1958, ont servi au transport des communications à longue distance terrestre et maritime et à la diffusion des programmes de télévision.

Les MEO sont utilisés pour les services de navigation et de distribution de la référence du temps UTC (Temps universel coordonné).

Les LEO/VLEO, plus récents, sont réservés aux communications à faible latence et à haut débit, dont celles de la téléphonie mobile 5G et 6G et pour les services utilisant l’Internet des Objets et l’intelligence artificielle, principalement.

Parmi les applications offertes par la 5G satellitaire, il faut citer les liaisons avec la voiture connectée et à l’Internet des Objets (D2D, Direct to Dial, ou service direct sur le terminal de l’usager). En effet, cette application est censée répondre aux besoins des robots et des véhicules dont la conduite « autonome » repose sur l’emploi de logiciels. Or, il est possible, en 5G d’offrir un grand nombre de transmissions en parallèle sur des fréquences très voisines, ce qui permet de transmettre plus d’informations en simultanéité (en principe 3 300 à un débit plus élevé et sur une bande de fréquences plus large qu’en 4G). Mais la connexion 5G de type D2D à haut débit pour l’application de la voiture connectée doit être effective en permanence, même si le nombre d’utilisateurs du service D2D est important dans la même cellule de réception (50 km de largeur). Car il ne s’agit pas de messagerie de textes ou de transmission d’images ou de vidéos à bas débit, mais d’aide à la conduite de véhicules sur route ou de commandes adressées à des robots situés dans des usines, sur route ou dans les airs. Ce n’est pas l’économie des liaisons offertes aux usagers, mais la fiabilité et la qualité de celles-ci qui guideront les choix des utilisateurs. Or, il ne suffit pas d’augmenter le nombre de satellites d’une constellation pour améliorer la qualité opérationnelle des liaisons. A priori, un service satellitaire D2D par LEO/VLEO est plus adapté économiquement au trafic vocal et à la messagerie à bas débit dans des zones géographiques peu peuplées.

Le trafic à haut débit et à faible latence de type 5 et 6G, s’il est important, semble plus relever de la palette offerte par les satellites atmosphériques. Cet argumentaire qui se place dans une période stable n’est évidemment pas en phase avec les déclarations des promoteurs pressés de s’allouer des positions spatiales remarquables et des fréquences associées à des tarifs difficiles à justifier. Pour les pays déjà pourvus d’un réseau assez densifié, comme la France, la technologie 5G ne nécessite pas d’envoyer de nouveaux satellites dans l’espace (confirmé par l’ART).

Néanmoins, il est très vraisemblable que satellites atmosphériques et LEO, MEO, GEO collaboreront par l’établissement de liens optiques à très haut débit afin de constituer un maillage de secours, complémentaire au réseau terrestre (Non Terrestrial Network).

Quels avantages offrent les satellites atmosphériques par rapport aux autres types de satellites ? Et à l’inverse, quelles sont leurs limites ou contraintes ?

Le premier avantage des satellites atmosphériques concerne le cadre d’une exploitation souveraine (pas de redevances à payer en devises étrangères, contrôle des services offerts au public, réduction des risques d’interférences ou d’écoutes des messages transmis).

Le second avantage réside dans la vérité des prix par rapport aux dépenses engagées.

Le troisième avantage est lié à l’adaptation des investissements aux besoins nationaux. Le satellite atmosphérique est très facile à mettre en œuvre rapidement et de façon indépendante. Il permet de faire face à des situations de catastrophes. Il peut être utilisé simultanément à des tâches différentes.

Les contraintes actuellement sont nombreuses, car il s’agit d’une technologie nouvelle qui n’a qu’une quarantaine d’années d’existence dans un milieu mal connu et aux caractéristiques variables selon les lieux d’implantation (pas assez de connaissances sur une grande variété de thèmes, dont la microgravité et pas d’historicité des phénomènes observés). La fiabilité et la rentabilité économique des satellites atmosphériques demeurent encore à être démontrées.

Est-ce un domaine encore en phase de recherche, ou voit-on déjà des applications concrètes émerger dans l’industrie ?

Tornades de projets – Tout le domaine spatial connaît une période d’innovations bouillonnantes qui ont un retentissement sur les plans technique et économique. L’annonce des études sur les satellites atmosphériques a eu un effet sensible sur l’accélération des mises en œuvre des LEO/VLEO. Le secteur des GEO, qui était estimé un peu désuet, fait néanmoins l’objet de nouveaux développements. Les investisseurs sont à la recherche de combinaisons de nouvelles technologies afin de placer leurs offres et de rentabiliser leurs innovations. De plus, l’intelligence artificielle a ouvert un nouveau marché aux paramètres encore inconnus. De nouveaux pays, dont le Nigéria, l’Egypte et la Malaisie souhaitent entrer dans la compétition spatiale.

Quatre classes majeures – On voit se dessiner quatre classes de satellites atmosphériques qui seraient à peu près au même niveau d’acceptation dans la mission de télécommunications si les tensions politiques n’avaient pas bousculé récemment les échanges de la mondialisation. Pour la maîtrise mondiale de ces développements se situent ici deux définitions essentielles : une filière de carburant non polluant (hydrogène) et la définition de batteries à forte capacité (pile à combustible à hydrogène). Comme toute réussite industrielle a un impact sur d’autres fabrications, il est préférable d’utiliser partout et pour un grand nombre d’usages la même source d’énergie. Ces quatre classes de satellites atmosphériques, en expérimentation depuis plus de quarante ans par plusieurs centaines d’industriels dans le monde, avec un grand nombre de variantes, sont les suivants :

  • le ballon atmosphérique, fixe et stable ; il est de plus peu onéreux ;
  • le dirigeable télécommandé, fixe et stable également, mais un peu plus grand ;
  • l’avion léger sans pilote, qui tourne autour d’un point fixe en permanence ;
  • le eVTOL ou avion électrique à décollage court pour la basse altitude (de 8 m à 1 300 m) et à faible distance (entre 20 minutes et 150 km) pour des charges comprises entre 150 kg à 1,5 tonne. Les drones, bien que plus légers, font également partie de cette catégorie.

Les deux premières propositions intéressent beaucoup les forestiers d’Amérique du Nord qui, bien avant les exploitants de télécoms, ont ouvert les premières études.

Les eVTOL – Actuellement, les eVTOL semblent prendre la tête du challenge, le Japon, Taïwan et les États-Unis annonçant des acceptations réglementaires de vol pour 2026 et des ouvertures d’usines pour des fabrications en grande série.

Walmart et Wing ont étendu leur service de livraisons à domicile par drone dans cinq États du sud-est des États-Unis. Des hôpitaux et des millions de clients éloignés de moins de 10 km peuvent ainsi recevoir leurs commandes depuis une centaine de magasins.

Les garde-côtes américains ont commandé des eVTOL qui sont des hydravions de faible taille pour la surveillance des petits cours d’eau. L’Asie vise les formules de taxis avec ou sans chauffeur de 2 à 6 places. La Chine se spécialise dans le transport lourd à distance moyenne (150 km). Ce qui n’empêche pas au Suisse Bertrand Piccard de se préparer, pour 2028 et avec le concours d’Airbus, à un tour du monde à trois personnes à bord d’un avion à pile à hydrogène, à 300 m au-dessus de la ligne de l’équateur.

Les drones – Sans évoquer ici les diverses applications militaires, le secteur des drones, qui constitue une application particulière de l’eVTOL, se développe et se diversifie rapidement. Il existe des drones de toutes dimensions, depuis 15 grammes jusqu’à environ 60 kg.

Les industries – Toute cette effervescence de projets multiples n’est pas sans créer des inquiétudes auprès des autres investisseurs. Or, avec huit grandes constellations déjà programmées et des demandes d’enregistrement déposées pour plus d’un million et demi de satellites au début de 2025, l’effort consenti dans le domaine du perfectionnement des lanceurs pourrait sans doute être amorti, si le marché des services se développe suffisamment. Cependant, le doute commence à s’installer, car le marché mondial n’est pas extensible à l’infini. Et toute décision ou tout échec dans un domaine modifie les chances des autres challengers.

Ces satellites sont-ils soumis à une réglementation spécifique ? Existe-t-il un cadre juridique ou technique qui en encadre l’usage ?

L’histoire des transports rappelle que les pouvoirs publics se sont toujours montrés favorables au progrès technique. La réglementation s’est instaurée progressivement dans ce sens, en essayant de limiter le nombre d’accidents, et en corrigeant au besoin le profil des voies d’accès. Avec les drones et les satellites, la question doit être envisagée cette fois dans les trois dimensions et des solutions uniques et des protections définies au niveau international. À noter que même un cadre réglementaire rigoureux n’est pas le gage de l’absence d’occurrence d’incidents ou d’accidents graves.

Comme pour l’automobile et l’aviation, des règles unifiées seront adoptées progressivement en fonction de l’importance du trafic et des dommages possibles. Un certain nombre de décisions nationales et internationales ont déjà été prises dans ce sens.

Si, comme à leur habitude, les médias grossissent à plaisir certains aspects de cette augmentation de l’activité spatiale, ils semblent ignorer qu’un grand nombre d’études et d’essais sont en cours sur ces points sensibles (en particulier, ceux des débris et des nuisances occasionnées aux observatoires) et que des compromis techniques sont en cours de négociation. Il faut aussi mentionner à ce propos que certains pays ignorent totalement le rôle essentiel de la normalisation ou n’ont pas les moyens de l’observer. D’autre part, il est important que les structures normatives et réglementaires elles-mêmes soient associées étroitement au dispositif législatif national et que l’industrie sache utiliser ces rouages dans son propre intérêt et pour le bénéfice des citoyens utilisateurs ou de leurs voisins. Une bonne connaissance des normes représente l’assurance de recevoir des lingots d’or en retour ! Malheureusement, nous sommes contraints parfois de vivre à proximité de personnes (ou de pays) qui ignorent les règles de bon voisinage et, par suite, les incidents provoquent des accidents.

La question de la saturation de l’espace est de plus en plus discutée. Les satellites atmosphériques posent-ils les mêmes types de problèmes ?

Avant d’évoquer le point de la saturation de l’espace, il faudrait mieux connaître ce dernier sur le plan scientifique afin d’en évaluer la capacité, les dangers et les ressources qu’il représente. En réalité, il est impératif d’abord que nous exploitions les nouvelles technologies et les capacités qui en résultent pour élargir notre compréhension du système solaire et de l’univers. Cette exploration scientifique est financée actuellement par l’État français et l’Union européenne, ainsi que, indirectement, par les industriels qui commercialisent les services souhaités par les marchés de la communication, de l’écologie, de la sécurité, de la santé, du transport, etc.

Les satellites atmosphériques ne devraient pas connaître de problème de saturation, puisqu’ils sont soumis à une autorisation de niveau national. Toutefois, toute création d’activité nécessite un encadrement juridique et réglementaire adapté.

Dans tout domaine technique, rien n’est acquis de façon définitive et des améliorations aux services offerts sont périodiquement apportées. Combien de fois n’a-t-on pas modifié le Code de la route et les obligations relatives aux équipements obligatoires des véhicules ?

Quels conseils donneriez-vous à de jeunes ingénieurs qui souhaiteraient se spécialiser dans le domaine des communications spatiales ?

Le domaine des communications spatiales est devenu aujourd’hui un domaine fabuleux, très vaste et diversifié, et en même temps très mouvant dans le temps. Le spatial interfère dans beaucoup de domaines des connaissances : espace, mécanique, électronique, antennes, communications, énergie et même plus.

L’édifice des trois niveaux de systèmes de normalisation national, européen et international (avec l’ISO, la CEI et l’UIT) doit être considéré par les jeunes ingénieurs comme la boussole indispensable à toute étude technique et le domaine spatial n’échappe pas à cette règle.

Jusqu’ici, je n’ai pas trouvé moi-même de système d’intelligence artificielle qui puisse permettre d’être au courant rapidement de toutes les nouvelles ou décisions relatives au domaine spatial. Il faut donc organiser soi-même son propre système de veille technique.

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