Logo ETI Quitter la lecture facile

Interview

Ingénierie augmentée : Setec comme un poisson dans l’eau

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Environnement

Les centres aquatiques figurent parmi les bâtiments publics les plus énergivores. Des solutions nouvelles peuvent toutefois permettre aux collectivités d’alléger à la fois la facture énergétique et l’empreinte carbone de ces installations sportives. C’est notamment le cas de la ventilation naturelle, qui, en renfort de dispositifs mécaniques plus conventionnels, s’avère synonyme d’économies substantielles. C’est en effet ce qu’est parvenu à démontrer, grâce au numérique, le groupe d’ingénierie Setec.

Une initiative Syntec-Ingénierie

Au travers d’une série de capsules vidéos intitulée « L’ingénierie augmentée au service du climat », la fédération professionnelle Syntec-Ingénierie – 400 entreprises adhérentes et 13 délégations régionales – a choisi de mettre en avant quatre initiatives portées par des entreprises du secteur, reposant sur l’utilisation du numérique pour simuler des scénarios, anticiper les impacts environnementaux, et concevoir des bâtiments à l’empreinte carbone réduite. Ceci, en donnant directement la parole à des ingénieur(e)s du secteur du bâtiment, afin d’illustrer le rôle de l’ingénierie pour accélérer la transition écologique et énergétique. Nous avons pu revenir en détail avec les adhérents de la fédération porteurs de ces projets, sur les tenants et aboutissants de leur travail. Pour le deuxième de ces quatre entretiens, rencontre avec Setec.

Directrice du département de physique du bâtiment chez Setec bâtiment, filiale du groupe Setec, Mehrnaz Reyhanian s’est attelée à un ambitieux travail de simulation thermique dynamique, visant à évaluer, dans le cadre de la rénovation d’un complexe aquatique, les bénéfices potentiels d’une nouvelle approche en matière de traitement de l’air : la ventilation hybride. Combinant système mécanique conventionnel et ventilation naturelle via des ouvrants automatisés, l’approche a été intégrée à une modélisation numérique 3D construite grâce un logiciel de simulation dynamique.

Pour évaluer au plus juste ses potentiels bénéfices, l’experte du groupe Setec a développé et intégré à l’outil ses propres scripts de calcul. Une démarche qui a abouti à démontrer les bénéfices significatifs de l’approche, qui a ainsi pu être adoptée en connaissance de cause par les porteurs du projet. Après avoir exposé les points clés de ce travail dans une vidéo publiée par Syntec-Ingénierie, Mehrnaz Reyhanian a accepté de revenir en détail pour Techniques de l’Ingénieur sur cette démarche « d’ingénierie augmentée ».

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter le groupe Setec et vos fonctions en son sein ?

Docteure en énergétique, Mehrnaz Reyhanian dirige depuis 2023 le département de physique du bâtiment chez Setec bâtiment
Docteure en énergétique, Mehrnaz Reyhanian dirige depuis 2023 le département de physique du bâtiment chez Setec bâtiment. DR

Mehrnaz Reyhanian : Filiale du groupe Setec, Setec bâtiment est un bureau d’études tous corps d’état et réalise des missions de maîtrise d’œuvre, d’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) à l’échelle du bâtiment. Je dirige pour ma part le département physique du bâtiment, qui s’occupe de toutes les questions environnementales liées au bâtiment, avec une approche scientifique, au travers d’études poussées.

Vous vous êtes justement vu confier un important travail d’étude dans le cadre d’un projet de rénovation d’un centre aquatique. En quoi ce projet consiste-t-il, plus précisément ? Et quelles sont ses particularités ?

On peut dire qu’il s’agit d’une rénovation lourde. Une partie du bâtiment est en effet rénovée en profondeur, alors qu’une autre est entièrement démolie et reconstruite. Le projet s’apparente donc quasiment à la construction d’un nouveau centre aquatique.

Outre les autres aspects techniques et architecturaux, notre client a, dès le départ, manifesté un fort intérêt pour les sujets liés à l’environnement et à l’énergie.

Sans véritablement viser la certification, nous avons donc mené une démarche de type HQE[1], main dans la main avec le cabinet d’architecture en charge du projet, Dietmar Feichtinger Architects.

Quels objectifs visiez-vous, au travers de l’étude que vous avez menée ?

L’objectif principal était de limiter au minimum les consommations énergétiques de l’installation, qui représentent en effet une problématique majeure pour ce type de bâtiment, notamment pour le chauffage de l’eau des bassins, et donc le confort des nageurs, mais aussi la température ambiante au niveau des gradins.

Nous nous sommes focalisés sur les solutions permettant de diminuer, ou a minima de limiter les consommations énergétiques, et plus particulièrement encore sur le potentiel d’une approche assez inédite en matière de confort, mais aussi de déshumidification de l’air intérieur : la ventilation naturelle.

Pour être tout à fait honnête, nous étions au départ assez sceptiques… Mais nos études nous ont montré que cette approche avait le potentiel de réduire substantiellement les consommations annuelles de ce centre aquatique. Nous avons donc misé sur cette solution, en concertation avec les différentes entreprises attributaires des lots techniques CVC[2], électricité, GTB[3], ou encore de la conception architecturale. L’un des grands enjeux était en effet de disposer d’un nombre d’ouvrants suffisant pour assurer cette ventilation naturelle, tout en s’assurant de pouvoir actionner ces ouvrants de manière automatique, en fonction de seuils prédéfinis, grâce au système GTB.

Nous parlons d’ailleurs plutôt de système de ventilation hybride : lorsque les conditions ne permettent plus de miser uniquement sur la ventilation naturelle, le système mécanique prend le relais, là aussi de manière entièrement automatique.

Comment avez-vous procédé, très concrètement, pour mener cette étude ?

J’ai commencé par modéliser le bâtiment en 3D sur le logiciel DesignBuilder, destiné à la simulation dynamique. Il intègre notamment EnergyPlus, un moteur de calcul très puissant et très complet qui permet de réaliser des simulations thermiques dynamiques.

Ce travail de modélisation s’est révélé particulièrement complexe. Pour prendre en compte l’évaporation et les échanges thermiques air-eau, mon équipe et moi-même avons donc eu l’idée d’intégrer, sous forme de lignes de code, des outils de calcul qui ne sont pas disponibles nativement au sein du logiciel.

Le bâtiment abrite les bassins intérieurs, mais aussi une partie tertiaire, un restaurant, ainsi que des logements de fonction
Le bâtiment abrite les bassins intérieurs, mais aussi une partie tertiaire, un restaurant, ainsi que des logements de fonction. © Dietmar Feichtinger Architects

Le complexe aquatique comptera trois bassins intérieurs, mais aussi un bassin extérieur communicant. Nous avons donc également dû prendre en compte le phénomène d’évaporation à l’air libre, ainsi que l’influence de la température extérieure… Nous avons pour cela mis en œuvre les scripts que j’évoquais, mais aussi des corrections post-traitement, afin d’aboutir à un résultat global en ce qui concerne les consommations énergétiques annuelles de l’installation.

Outre les bassins, le bâtiment intègre par ailleurs une partie tertiaire, un restaurant, ainsi que des logements de fonction. Nous avons donc naturellement intégré ces autres usages à notre étude. Ce bâtiment est ainsi, en cela, un exemple rare, un vrai cas d’école en matière de mixité d’usages !

Quels résultats avez-vous obtenus, et quels constats avez-vous pu dresser à l’issue de ce travail de simulation ?

Cette modélisation nous a permis de visualiser les températures qui seront concrètement ressenties par les futurs usagers des lieux, ainsi que les mouvements d’air. Nous avons d’ailleurs demandé à l’une des entreprises intervenant sur le chantier de réaliser une simulation CFD[4], afin de pouvoir étudier précisément les mouvements d’air, notamment au niveau des ouvrants. L’objectif était de s’assurer, encore une fois, du confort des futurs usagers.

Cela a donc représenté un gros travail d’étude… loin d’être vain cependant : cette phase de modélisation préalable nous a permis de conclure à une diminution de 10 % environ de la consommation énergétique annuelle du bâtiment. Cela peut paraître peu, de prime abord, mais c’est en fait considérable, et se ressentira fortement sur la facture énergétique de l’installation. Je suis donc heureuse que cette idée de ventilation hybride que j’ai soumise ait été vue comme une solution souhaitable et acceptable par toute l’équipe du projet. Et ce, alors même que le recours à la ventilation naturelle dans ce type de bâtiment est encore, pour l’heure, quelque chose de peu courant. La simulation thermique dynamique que nous avons réalisée y est pour beaucoup, je pense.

Où en est aujourd’hui le chantier ?

Le chantier est aujourd’hui en cours, et se déroule a priori comme prévu : tout ce que nous avions établi à l’issue de nos études de conception est en tout cas en train d’être progressivement mis en œuvre sur le chantier, avec des vérifications systématiques. Tout le monde a hâte d’aller nager dans ces futurs bassins que nous n’avons pour l’instant pu voir que sur écran et sur papier ! (Rires) D’autant qu’aux côtés des titulaires des différents lots techniques, les architectes sont parvenus à donner au bâtiment de vraies qualités esthétiques, ce qui est loin d’être évident lorsque l’on consent d’aussi gros efforts sur le plan de l’efficacité énergétique.

Quelle expérience avez-vous acquise au travers de ce travail ? Pourra-t-elle être mise à profit sur d’autres projets à l’avenir ?

Ce projet nous a notamment permis de développer notre expertise en matière d’intégration de scripts dans le logiciel de modélisation, ce que nous sommes d’ailleurs parmi les premiers à faire. Aujourd’hui encore, peu de bureaux d’études se lancent dans l’écriture de leurs propres lignes de code. Les résultats très positifs que nous avons obtenus et l’efficacité de l’approche que nous avons pu constater – elle permet d’aller bien au-delà des seules fonctions de base du logiciel – nous ont ainsi conduits à nous former encore davantage à la programmation. Nous mettons désormais en œuvre cette approche sur quasiment tous nos autres projets. Ce travail a vraiment fait avancer notre expertise. Coder nous ouvre des perspectives inédites, et nous permet de répondre aux envies des architectes et aux demandes des assistants à maîtrise d’ouvrage sans être freinés par un outil numérique aux possibilités intrinsèquement limitées.

Ce travail que nous avons mené démontre aussi, plus largement, que le numérique n’est finalement qu’un outil au service de l’intelligence humaine de l’ingénieur. L’outil ne fait pas tout : pour éviter les catastrophes, il faut avant tout avoir une utilisation raisonnée du numérique – en se demandant sans cesse pourquoi l’on utilise l’outil – et toujours porter un regard critique sur les résultats.


[1] Haute qualité environnementale.

[2] Chauffage, ventilation, climatisation.

[3] Gestion technique du bâtiment.

[4] Computationnal fluids dynamics, ou mécanique des fluides numériques (MFN) en français.

 

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN


Réagissez à cet article

Commentaire sans connexion

Pour déposer un commentaire en mode invité (sans créer de compte ou sans vous connecter), c’est ici.

Captcha

Connectez-vous

Vous avez déjà un compte ? Connectez-vous et retrouvez plus tard tous vos commentaires dans votre espace personnel.

INSCRIVEZ-VOUS
AUX NEWSLETTERS GRATUITES !