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La filière sucre commencera-t-elle sa décarbonation par une cure de minceur ?

Posté le par Stéphane SIGNORET dans Environnement

Parmi les neuf plans de transition sectoriels de l’Ademe, celui sur le sucre concerne une industrie agricole, concentrée et saisonnière. Ses leviers techniques de décarbonation sont connus, mais leur déploiement peut se faire de manière diversifiée.

Courant dans notre consommation – y compris caché dans les aliments transformés et dans l’alcool –, le sucre est un ingrédient dont la France est le premier producteur européen. Avec 20 sites de production, l’industrie sucrière nationale est très concentrée dans le Nord de la France métropolitaine, en plus des sucreries en Guadeloupe, Martinique et sur l’île de la Réunion. La spécificité de cette filière industrielle est de fonctionner de manière saisonnière, sur la base d’une forte interdépendance avec les matières premières agricoles locales : canne à sucre dans les départements et régions d’Outre-mer (Drom) et betterave dans l’Hexagone.

La production du pays s’élève à 4,5 millions de tonnes, dont 95 % de sucre de betterave. Les principaux débouchés sont l’industrie agroalimentaire (60 %), la production d’alcool et d’éthanol carburant (20 %), l’industrie chimique et pharmaceutique (10 %) et le sucre de bouche (10 %). Environ 35 à 40 % du sucre français est exporté, majoritairement en Europe.

Les sucreries des Drom sont largement décarbonées car elles brûlent la bagasse – résidu de la fibre de canne à sucre – en cogénération pour leurs besoins énergétiques. En métropole, l’affaire est tout autre car l’usage d’énergies fossiles est majoritaire, générant des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 2 MtCO2eq en 2020, soit 3 % des émissions industrielles.

Trois principaux postes à décarboner

Pour identifier des pistes de décarbonation des 20 sucreries de la métropole, le plan de transition sectoriel (PTS) de l’Ademe s’est concentré sur les trois postes responsables des émissions de GES dans les procédés de fabrication. Il s’agit des chaufferies en cogénération pour la fourniture d’eau chaude et de vapeur, fonctionnant principalement au gaz méthane fossile, responsables de 77 % des émissions ; de la déshydratation des pulpes de betterave pour l’alimentation animale, effectuée surtout dans des fours à charbon, pour 16 % ; et des fours à chaux, alimentés en coke ou anthracite, responsables du reste (7 %).

L’Ademe, comme le prévoient les principes méthodologiques des PTS, a élaboré plusieurs scénarios. Tous envisagent une amélioration plus ou moins forte de l’efficacité énergétique (optimisation thermique, recompression mécanique de vapeur, pompe à chaleur haute température) et une substitution plus ou moins grande des solutions décarbonées aux énergies fossiles (voir tableau en bas de l’article).

Le scénario « Autonomie énergétique par la pulpe » améliore l’efficacité énergétique de 25 % et consomme deux fois plus d’électricité qu’actuellement. Surtout, il recourt majoritairement à la pulpe de betterave pour alimenter les cogénérations, à des sécheurs-vapeur pour la déshydratation et au gaz réseau pour les fours à chaux.

Comme son nom l’indique, le scénario « Efficacité énergétique intégrale » est celui qui pousse le plus fortement l’efficacité, ainsi que l’électrification (consommation multipliée par quatre). La cogénération repose principalement sur du gaz réseau, ainsi que sur du biogaz produit par méthanisation directe des eaux de lavage, des herbes et des radicelles des betteraves. La déshydratation, fortement réduite par rapport au premier scénario, se fait moitié-moitié avec de la biomasse et des sécheurs-vapeur.

Le scénario « Méthanisation externalisée » ne permet qu’une amélioration de 15 % de l’efficacité énergétique, et il électrifie beaucoup moins que le scénario « Autonomie ». Il privilégie le gaz réseau et le biogaz produit par d’autres acteurs utilisant la pulpe (via des contrats de gré à gré de type Biogaz Purchase Agreement) pour la cogénération, et la biomasse pour la déshydratation.

Dans les deux derniers scénarios, les fours à chaux continuent de fonctionner avec du coke et de l’anthracite, ce qui engendre l’essentiel des émissions restantes de GES, en plus de celles issues de la combustion du gaz réseau.

Prendre en compte les usages du sucre et de la pulpe

Malgré ses émissions résiduelles de CO2, le secteur sucrier se décarbone à plus de 90 % dans tous les cas en 2050 dans ce PTS. Certes grâce aux solutions technologiques évoquées, mais aussi parce que le niveau de consommation et les usages du sucre et de ses coproduits évoluent. Dans « Autonomie » et « Efficacité », la consommation intérieure de sucre baisse de 20 % grâce à des politiques publiques de santé, mais la production des sucriers reste identique, protégée par une politique de souveraineté européenne. Il en résulte une capacité accrue d’exportation de sucre, qui permet notamment de compenser l’arrêt de la production de betterave dans le sud de l’Europe à cause du réchauffement climatique.

À l’inverse, le scénario « Méthanisation externalisée » se fait dans le cadre d’un commerce international amplifié, permettant l’importation de sucre de canne étrangère à bas coût sur le continent européen qui remplace les exports de sucre français dans les pays européens déficitaires. Malgré un faible changement des modes alimentaires, ce scénario conduit donc à une baisse de production de sucre en France.

Dans un scénario global où le véhicule électrique se développerait, les usages du sucre sous forme d’alcool pourraient se réorienter vers la chimie pour produire des oléfines biosourcées ou de l’isobutène à partir de sucres cristallisés.

La pulpe, selon ses usages énergétiques, sera plus ou moins disponible comme ressource alimentaire pour l’élevage. Les contraintes territoriales agricoles, très variables selon les régions, ainsi que l’évolution nationale du cheptel qui serait à la baisse dans le cas d’une moindre consommation de viande, imposeraient dans certains cas aux éleveurs de trouver d’autres ressources alimentaires pour leurs bêtes.

Enfin, l’électrification imaginée par l’Ademe suppose dans certains cas que les sucreries puissent être raccordées au réseau de RTE alors qu’elles sont dans des zones très rurales. Cette « dépendance » accrue au réseau fait que le traitement des betteraves pendant l’hiver, quand l’électricité est généralement la plus chère, sera plus sensible à des risques de délestage.

Avec ce PTS sur l’industrie sucrière, on voit que penser la décarbonation nécessite de prendre en compte plusieurs paramètres, et pas seulement technologiques.

Scénarios PTS sucre
Source : ADEME
Pour aller plus loin

Posté le par Stéphane SIGNORET


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