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Interview

Surveiller la qualité des eaux à l’aide de mollusques connectés

Posté le par Nicolas LOUIS dans Environnement

La station marine d’Arcachon a développé une technologie de valvométrie qui permet d'évaluer la qualité des eaux en mesurant le comportement et le bien-être de bivalves. Une start-up est sur le point d'être créée pour commercialiser le procédé. Rencontre avec son futur CEO, Jean-Charles Massabuau.

Depuis 2006, la station marine d’Arcachon, un laboratoire de recherche du CNRS et de l’Université de Bordeaux, a développé une technologie innovante de valvométrie permettant d’enregistrer le comportement de bivalves (huîtres, moules, pétoncles, coquilles Saint-Jacques…). Ce procédé permet de surveiller de manière indirecte la qualité de l’eau, car lorsque celle-ci est polluée, le bien-être de ces animaux se trouve automatiquement affecté. Directeur de recherche émérite au CNRS, Jean-Charles Massabuau est à l’initiative de cette technique de biomonitoring qu’il a fait évoluer. Afin de la diffuser largement à travers le monde, il est sur le point de créer une start-up. Entretien avec le futur CEO de molluSCAN-eye®.

Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionne votre technologie ?

Jean-Charles Massabuau, directeur de recherche émérite au CNRS et futur CEO de molluSCAN-eye®. Crédit : molluSCAN-eye®

Jean-Charles Massabuau : Nous avons développé une technologie de valvométrie Haute Fréquence Non Invasive (HFNI) qui consiste à coller deux micros-électroaimants sur chacune des valves des bivalves.

Ces électrodes sont ensuite reliées à un boîtier étanche, contenant une carte électronique, et situé dans une cage dans laquelle sont protégés les animaux.

Ce boîtier est ensuite relié à l’aide d’un « cordon ombilical » (un câble électronique, NDLR) à un second boîtier situé à la surface de l’eau et connecté à internet. Tous les jours, il transmet les mesures recueillies à une station de traitement des données. Étant donné que nous sommes en cours de dépôt de brevet, je ne peux pas vous donner plus de détails sur notre technologie.

Un groupe de palourdes asiatiques sur lesquelles sont collées les électrodes. Crédit : molluSCAN-eye®

Que mesurent ces électrodes ?

Elles permettent de mesurer une dizaine de paramètres physiologiques afin d’évaluer le bien-être des bivalves, parmi lesquels la distance entre les deux valves pour connaître leur degré d’écartement, mais aussi la distance parcourue pour évaluer leur niveau d’agitation. Nous mesurons également très précisément la croissance en épaisseur des animaux en posant les capteurs uniquement sur de jeunes mollusques. Chez les huîtres par exemple, la coquille est sécrétée par l’intérieur de la valve et cette croissance, qui se produit à chaque marée, provoque une augmentation de la distance entre les deux électrodes. Nous mesurons aussi les pontes qui se caractérisent, chez la femelle huître, par une série de contractions des valves qui durent en moyenne une demi-heure et sont un signe fort de bonne santé.

Une huître connectée sous l’eau. Crédit : molluSCAN-eye®

Comment sont analysées les données ?

Elles sont traitées à l’aide d’algorithmes d’intelligence artificielle. Nous utilisons toujours un groupe de 16 animaux pour avoir un panel suffisamment représentatif. Par exemple, si un mollusque se ferme brusquement, on peut considérer qu’il a un problème « personnel », mais si 50 % du groupe se comporte de la même manière, cela signifie qu’il y a un paramètre extérieur, dans l’eau, qui est venu le perturber. Au niveau de la croissance, nous réalisons l’équivalent du suivi d’une courbe de poids chez un enfant. Si la courbe est régulière, tout va bien, mais si un arrêt de croissance est observé pendant un moment sur plusieurs animaux, c’est un signe fort qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans l’eau. Nous analysons également les tendances et grâce à la conservation des données, nous sommes capables de remonter à l’origine d’une dérive. Dans le cas par exemple d’une utilisation de notre procédé à la sortie d’une usine, on peut alors avertir l’industriel pour voir s’il a changé son process à une date donnée. Puis, procéder à des analyses chimiques pour déterminer le polluant en cause.

La cage dans laquelle sont protégés les bivalves connectés. Crédit : molluSCAN-eye®

Pouvez-vous nous donner des exemples d’applications ?

Notre technologie peut par exemple être utilisée pour surveiller la qualité des eaux en sortie de stations d’épuration, à proximité de stations pétrolières en mer, ou d’usines de raffinement de pétrole situées près des côtes. Elle présente aussi un intérêt pour surveiller les eaux des ports, surtout ceux construits à l’ancienne, où il y a peu de renouvellement des eaux. Régulièrement, des opérations de dragage sont effectuées avec le risque que la vase déplacée contienne des polluants. Autre exemple, nous sommes actuellement en contact avec une entreprise qui souhaite implanter des champs d’éoliennes en mer. Notre procédé permettrait de connaître l’effet de la pollution sonore des pales sur les bivalves, qui font partie de la base de la chaîne alimentaire.

Quels sont les atouts de votre technologie ?

Elle se révèle très pertinente pour observer les pollutions silencieuses, celles qu’on ne voit pas. En Europe, il existe environ 100 000 produits chimiques commercialisés, mais seulement 500 peuvent être dosés de manière pratique et sont suffisamment caractérisés pour en déterminer les risques. 10 000 sont plus ou moins bien caractérisés, et 20 000 insuffisamment caractérisés. Il reste donc environ 70 000 produits chimiques qui ne sont pas détectés et dont on ne connaît pas les effets. Et encore, je ne parle pas des effets cocktails, c’est-à-dire des interactions entre plusieurs produits chimiques. L’avantage de notre technique de biomonitoring est qu’elle est capable de détecter les substances toxiques signifiantes à court et moyen termes pour l’animal. Elle recueille également des informations sur la qualité de l’eau 24h sur 24 et 7 jours sur 7. Elle est insensible aux variations de la turbidité de l’eau, de la salinité et au fouling (accumulation de micro-organismes, NDLR). Elle est aussi très précise avec une mesure de la distance entre les deux électrodes de l’ordre de 2 à 3 micromètres, voire moins. Elle peut être déployée en mer, sans maintenance, pendant plus de trois ans et demi. Enfin, cette technique est non invasive avec des électrodes qui pèsent moins de 1 gramme.

Quelles sont les perspectives de votre procédé ?

Nous sommes en incubation à la SATT (Société d’accélération du transfert de technologies) Aquitaine avec l’objectif de créer une start-up au cours du deuxième semestre 2022. Nous pensons que c’est en commercialisant notre technologie que nous pourrons la diffuser largement et qu’elle aura le plus d’impact pour améliorer la surveillance de la qualité des eaux. Notre technologie est déjà très mature, car nous l’avons déployée dès 2009 au Spitzberg en Norvège, à 1 300 km du pôle nord, et nous travaillons avec Total depuis 2012. Nous pensons que les techniques de biomonitoring ont de l’avenir, car elles sont plébiscitées par l’Europe qui pousse à la recherche de produits toxiques à partir de leurs effets sur les animaux. Aujourd’hui, la question dans un premier temps n’est plus de savoir ce que contient l’eau, mais est-ce qu’elle contient des substances toxiques ? Ce n’est qu’ensuite qu’on veut lancer les analyses chimiques ciblées. Et face à cette interrogation, les animaux sont les mieux placés pour y répondre.

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Posté le par Nicolas LOUIS


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