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Une stratégie hydrogène en point d’interrogation

Posté le par Stéphane SIGNORET dans Énergie

La nouvelle stratégie hydrogène du Gouvernement relance l’espoir de voir la filière décoller. Mais pour l’instant, la question de la rentabilité économique de l’électrolyse n’est pas résolue, et les projets ont du mal à voir le jour.

L’annonce récente de la nouvelle stratégie nationale pour l’hydrogène a redonné un peu de visibilité au secteur. Mais à bien y regarder, certains volets de cette stratégie semblent encore incomplets pour arriver à faire émerger une réelle économie de l’hydrogène décarboné.

Certes, la stratégie révisée confirme le souhait de développer une filière domestique robuste en France, en continuant de soutenir les projets de production d’hydrogène par électrolyse à hauteur de 4 milliards d’euros sur 15 ans. L’orientation des usages vers l’industrie et les mobilités lourdes et intensives est clairement affichée.

Le Gouvernement estime que les soutiens apportés depuis 2020 ont eu de « premiers résultats encourageants », avec environ 150 projets soutenus. Mais en réalité, le déploiement est bien moins rapide que prévu, d’où l’abaissement de l’objectif de la puissance d’électrolyse visée en 2035, de 6,5 à 4,5 GW. Surtout, l’arrêt de plusieurs projets industriels laisse l’avenir de la filière incertain : la construction de l’usine d’électrolyseurs prévue à Vendôme par Elogen est suspendue ; la gigafactory de McPhy à Belfort ne serait plus finançable et l’entreprise est en vente. Côté mobilité, l’entreprise Hyvia (véhicules utilitaires) a été liquidée et Safra (bus hydrogène) est en redressement judiciaire.

Une aide majoritairement tournée vers la production

Dans ce contexte très délicat, la stratégie cherche à améliorer le cadre général : faciliter les autorisations pour les projets industriels ; adapter le cadre réglementaire, notamment en matière de sécurité ; assurer un comptage loyal de l’hydrogène ; développer des formations ; en termes de transport par canalisations et de stockage, donner la priorité à des réseaux locaux d’hydrogène au sein des grands bassins industriels (Fos-Marseille, Dunkerque, Havre-Estuaire de la Seine, Vallée de la chimie).

Des dispositifs annoncés dans la stratégie doivent rendre plus concrète la consommation de l’hydrogène décarboné dans la mobilité. Par exemple, le Gouvernement prévoit un dispositif de soutien au déploiement de véhicules utilitaires légers. Par ailleurs, la TIRUERT (taxe incitative relative à l’utilisation des énergies renouvelables dans le transport) doit mieux intégrer la composante hydrogène pour pousser au développement d’infrastructures de recharge ; mais elle est dépendante de la définition de l’hydrogène renouvelable et de l’hydrogène bas carbone à venir dans le droit européen et national.

Dans l’idée de faire un lien avec les consommateurs industriels, la stratégie confirme par exemple le soutien aux projets Masshylia et Green Horizon, via le PIIEC Hydrogène (projets importants d’intérêt européen commun). Le premier concerne une usine d’électrolyse portée par Engie au sein de la bioraffinerie de TotalEnergies à La Mède. Le second est aussi une usine d’hydrogène, à proximité d’un site de Yara, un fabricant d’ammoniac/engrais qui devrait être acheteur de la molécule. Mais à coups de centaines de millions d’euros de soutien public, dans les deux cas, c’est la production qui est principalement aidée.

Difficile équation économique

Ne serait-il pas plus judicieux de subventionner directement la demande d’hydrogène décarboné, afin d’assurer un débouché aux producteurs ? Pour l’instant, la nouvelle stratégie n’a pas pris cette direction. « Comme aux États-Unis avec l’Inflation Reduction Act, la France et l’Europe veulent soutenir la production d’hydrogène décarbonée, mais cela ne devrait pas compenser entièrement le différentiel de coût avec les procédés traditionnels, et encore moins l’écart avec les coûts de nos concurrents internationaux. Il n’est pas envisagé de soutenir le consommateur final qui, de son côté, n’est a priori pas disposé à payer plus cher son produit, comme les agriculteurs pour les engrais dont ils ont besoin » rappelle Sylvain Le Net, responsable politiques Énergies et changement climatique chez France Chimie. Cet exemple des engrais – fabriqués à partir d’ammoniac et donc à partir d’hydrogène – montre d’ailleurs la spécificité des process industriels à prendre en compte : « Chez les fabricants d’ammoniac, le vaporeformage du méthane permet d’obtenir de l’hydrogène, mais aussi de la chaleur qui sert dans les process. Monter une unité d’électrolyse oblige à trouver une nouvelle source de chaleur. Il faut donc prévoir ces projets de décarbonation en repensant l’ensemble de l’intégration énergétique de l’usine, et ceci dans le cadre d’une concurrence internationale exacerbée », précise Sylvain Le Net.

L’affaire est complexe, et la rentabilité des projets d’électrolyse reste le nerf de la guerre. Fin 2023, lors de la construction du projet de loi de finances, le rapport sur l’impact environnemental du budget de l’État avait justement pointé le coût d’abattement de la tonne de CO2 pour différentes options dans le secteur de la chimie : l’hydrogène était de loin la plus chère (un peu moins de 300 euros/tonne) quand d’autres affichaient moins de 100 euros/tonne (biomasse, combustibles solides de récupération, baisse des émissions de protoxyde d’azote, une partie de l’électrification) voire des coûts d’abattement négatifs pour l’efficacité énergétique.

Valoriser la flexibilité des électrolyseurs ?

Les regards se tournent donc vers deux autres leviers. On pourrait assurer la compétitivité de l’hydrogène produit par électrolyse en lui permettant d’accéder à une électricité moins chère. La nouvelle stratégie française pointe certaines solutions (contrats de fourniture de long terme, exonérations fiscales, compensation du coût indirect du carbone). Mais rien n’est encore fait… D’autant plus que les nouvelles propositions d’EDF sous forme de mise aux enchères des contrats de long terme ont mécontenté les industriels électro-intensifs, à l’instar de France Chimie, France Ciment, A3M et Aluminium France, ce qui n’oriente pas vers une électrolyse abordable.

L’autre opportunité serait de valoriser financièrement la flexibilité des électrolyseurs, soit pour consommer plus d’électricité en période de forte production électrique, soit pour stopper l’électrolyse lors d’une demande très forte sur le réseau. Le sujet est sérieusement envisagé dans la stratégie française. Mais là aussi, dans quelles conditions économiques ? La rémunération de l’effacement des électrolyseurs du réseau suffirait-elle à justifier un fonctionnement à taux de charge réduit ?

Tout est encore à construire pour la jeune filière de l’hydrogène décarboné, qui est pourtant une brique essentielle de la transition énergétique.

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Posté le par Stéphane SIGNORET


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