Pour discuter ou s’éclaircir les idées, quel ingénieur n’a pas, un jour ou l’autre, représenté rapidement un système en traçant des rectangles et des lignes pour en visualiser les composants et les relations entre lesdits composants ? Cette approche populaire et intuitive remonte à la nuit des temps et la littérature ne semble pas avoir retenu le nom de son inventeur. Lorsqu’elle est utilisée pour modéliser les relations logiques existant entre les états de bon fonctionnement des composants (appelés « blocs ») d’un système et l’état de bon fonctionnement du système lui-même, elle prend le nom de bloc-diagramme de fiabilité (BDF) ou de diagramme de fiabilité tout court.
Les BDF font partie de la panoplie des méthodes couramment mise en œuvre dans le domaine de la sûreté de fonctionnement (arbres de défaillances, arbres d’événements, graphes de Markov, réseaux de Petri, etc.). Tout comme les arbres de défaillances (ADD), les BDF font partie des approches statiques et booléennes car elles modélisent des structures logiques indépendantes du temps. De ce fait, elles s’intéressent à des composants/systèmes à deux états (par exemple : marche et panne, bon fonctionnement/défaillant). ADD et BDF partagent les mêmes mathématiques sous-jacentes mais, alors que l’ADD décrit la défaillance d’un système, le BDF, lui, décrit son bon fonctionnement. Ainsi, un BDF peut toujours être traduit en ADD et réciproquement : les deux approches sont dites duales.
Du point de vue qualitatif, les BDF sont à la base du concept fondamental de coupe minimale : ensemble de blocs en panne nécessaires et suffisants pour entraîner la panne du système.
Du point de vue quantitatif, les BDF permettent, essentiellement, de calculer la probabilité de bon fonctionnement du système en fonction des probabilités de bon fonctionnement des blocs lorsque celles-ci sont constantes. Cependant, lorsque les blocs évoluent indépendamment les uns des autres au cours du temps, il est possible de calculer la probabilité de bon fonctionnement du système à un instant t (c’est-à-dire sa disponibilité à cet instant t) en fonction des probabilités de bon fonctionnement des blocs à cet instant t (c’est-à-dire des disponibilités des blocs). Il en est de même pour la fréquence de défaillance du système à un instant t.
Paradoxalement, au vu du nom de l’approche, le calcul de la fiabilité du système (probabilité de bon fonctionnement sur une durée [0, t]) n’est pas possible en général à partir des fiabilités de ses blocs. Cependant, dans des cas particuliers, de bonnes approximations peuvent être obtenues.
Pendant longtemps, l’utilisation des BDF comme celle des ADD a été limitée par l’explosion combinatoire du nombre de coupes minimales et la durée des calculs évoluant exponentiellement avec le nombre de blocs/événements répétés plusieurs fois dans le même BDF/ADD. Ces limitations ont sauté depuis la mise en œuvre des diagrammes de décision binaires (DDB) qui permettent de traiter très rapidement des BDF ou des ADD relatifs à des systèmes industriels de grande taille (c’est-à-dire de plusieurs centaines de composants). En outre, les DDB ont ouvert la voie aux calculs de probabilités conditionnelles et de facteurs d’importance, à la propagation des incertitudes sur les données par simulation de Monte Carlo et au traitement des systèmes dits « non cohérents » difficiles à traiter avec les méthodes antérieures.
D’autre part, les BDF peuvent être utilisés pour combiner des processus de Markov (processus de Markov pilotés par BDF) ou des réseaux de Petri stochastiques (réseaux de Petri pilotés par BDF). Dans ce cas, le comportement des blocs est modélisé par processus de Markov (respectivement réseaux de Petri) individuels et indépendants les uns des autres et la logique de combinaison est fournie par le BDF.
Lorsque les blocs ne sont pas indépendants, les BDF peuvent être étendus aux BDF dynamiques (BDFD), mais le traitement analytique doit alors être abandonné au profit de la simulation de Monte Carlo. Les réseaux de Petri pilotés par BDF peuvent être utilisés à cet effet.
Cet article se propose de décrire la symbolique graphique des BDF, d’explorer les divers aspects évoqués ci-dessus et de donner des exemples pédagogiques d’utilisation.