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La Silphie : un rayon de soleil opportun, face au marasme de l’agriculture française

Interview

La silphie : un rayon de soleil opportun, face au marasme de l’agriculture française

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Environnement

À l’heure où les contraintes qui pèsent sur les agriculteurs se font de plus en plus lourdes, comme en témoigne l’actualité, une plante, la silphie, apparaît comme une solution intéressante pour les aider à concilier impératifs écologiques et réalités économiques.

Des tiges d’un vert éclatant, surmontées de capitules semblables à de grandes marguerites, colorées d’un jaune vif à faire pâlir le soleil qui les fait pousser… Derrière ce portrait idyllique qui en fait une parfaite plante d’ornement, la silphie cache aussi une solution agroécologique séduisante pour les agriculteurs. Utilisable pour alimenter les installations de méthanisation, cette culture pérenne peut aussi être employée pour l’alimentation animale et possède en outre un caractère mellifère. Adaptée aux terrains humides tout en étant résistante à la sécheresse ou encore au froid, elle est facile à cultiver et ne demande, après implantation, quasiment aucun intrant. Autant de vertus que met en avant Amédée Perrein : fils d’agriculteur, il est aussi le co-fondateur de Silphie France, qui distribue dans l’hexagone la variété de silphie ABICA Perfo.

À rebours d’une certaine tendance à « l’agribashing » observée ces dernières années, l’homme voit dans cette plante déjà très populaire en Allemagne un moyen pour les agriculteurs français de démontrer leur attachement au respect de l’environnement, malgré des contraintes toujours plus fortes.

Techniques de l’Ingénieur : Quelles sont les origines de la silphie ? Comment est-elle arrivée jusqu’à nous ?

Amédée Perrein co-fondateur Silphie France
Fils d’agriculteur, Amédée Perrein a suivi un cursus scolaire axé sur l’agrofourniture et le commerce. Il est ensuite devenu co-gérant d’un négoce agricole (Hadn), avant de co-fonder Silphie France en 2020 aux côtés d’Arnaud Febvay.

Amédée Perrein : La silphie est originaire d’Amérique du Nord. Elle a d’abord été importée par les Russes sur le continent européen dans les années 1860, en tant que plante d’ornement. Ensuite, quand les premières installations de méthanisation sont arrivées outre-Rhin dans les années 1950, les Allemands ont eu l’idée d’étudier le potentiel méthanogène de la plante, qui s’est révélé très bon. C’est comme cela que sa culture à des fins énergétiques a démarré. Son développement s’est toutefois révélé compliqué. Au départ, on ne maîtrisait en effet pas bien le tri mécanique de la semence, ce qui conduisait à un faible taux de germination. L’ensemencement se révélait ainsi très onéreux : l’équivalent de 5 à 6 000 €/ha. Il y a donc eu beaucoup de travaux de recherche menés à ce sujet. Dans les années 2000, le process idéal a toutefois fini par être trouvé et a permis d’atteindre aujourd’hui un taux de germination de plus de 90 %, pour un coût d’implantation de 1 500 à 1 800 €/ha. Voilà comment tout a commencé en Allemagne il y a plus d’une quinzaine d’années maintenant.

Quant à son arrivée jusqu’à nous en France, elle est liée à la genèse de l’entreprise que j’ai co-fondée avec Arnaud Febvay, Silphie France. Tout a débuté par la demande que j’ai reçue de la part d’un agriculteur. Je suis en effet gérant d’un négoce agricole, dans lequel je vends engrais, semences, aliment pour bétail… Ce client avait pris connaissance de l’existence de la silphie par le biais de vidéos mises en ligne par des Allemands. Il souhaitait donc acheter de la semence pour implanter cette culture et l’utiliser pour alimenter son méthaniseur. Je me suis alors tout simplement rendu en Allemagne, où je suis parti à la découverte, pendant cinq jours, de la culture de cette plante que je ne connaissais pas. Cela m’a complètement séduit ! J’ai alors négocié avec des producteurs allemands qu’ils me laissent en développer la vente sur le marché français. Près de six ans plus tard, ils ont maintenant confié à Silphie France le business mondial, à l’exception de l’Allemagne et du Royaume-Uni.

Elle n’est pas endémique en France… N’y a-t-il donc pas un risque qu’elle se révèle invasive dans l’Hexagone ?

La silphie, alliée des abeilles et de leur production de miel.
Grâce à sa floraison étalée de mi-juillet à fin septembre, la silphie se révèle l’alliée des abeilles et de leur production de miel.

Le genre Silphium compte au moins 23 espèces dans le monde. Or, une grande majorité de ces espèces sont envahissantes ! L’espèce que nous commercialisons, Silphium perfoliatum – et plus précisément la variété Abica Perfo – est quant à elle garantie non-invasive : elle ne développe pas de stolons ou de rhizomes profonds. Cette variété est issue d’un croisement de pieds venus de Russie, de Roumanie, et de deux autres variétés allemandes.

Quel est le cycle de culture de cette plante ?

La silphie est une culture pérenne : une fois semée, elle peut perdurer des années, quinze ans au moins, et sans doute plus. Après les semis, réalisés au mois de mai, la première année la plante ne forme qu’une simple rosette, semblable à un chou. Au premier hiver, toute la partie végétative de la silphie meurt, pour repousser au printemps. Elle va ensuite, chaque année, pouvoir atteindre le stade de montaison[1], et pousser jusqu’à 2,5-3 mètres de hauteur, avec une floraison étalée de début juillet à fin septembre. Ces deux mois de floraison, en plein été, intéressent notamment le monde apicole. À cette période où les fleurs et les arbres produisant du pollen et du nectar se font rares, la plante constitue en effet un parfait relais pour les abeilles et la production de miel. D’autant plus qu’elle est très mellifère.

Quels usages peut-on en faire ?

La silphie et la méthanisation
Pour un usage en méthanisation, la plante est récoltée à l’aide d’une ensileuse, puis stockée en silos.

Le premier usage de la silphie est la méthanisation. La récolte de la plante est alors réalisée fin août – début septembre, avec une ensileuse, comme pour du maïs. La plante broyée est alors stockée en silos et permet ensuite d’alimenter, tout au long de l’année, une installation de méthanisation.

L’autre utilisation possible de la plante est l’alimentation animale. Dans ce cas de figure, les éleveurs vont la récolter deux à trois fois dans l’année, sans attendre qu’elle soit en fleurs, à l’aide d’une faucheuse traditionnelle. Ils la coupent dès qu’elle atteint une hauteur d’un mètre, puis la laissent sécher quelques jours en andains, avant de la presser en bottes puis de l’enrubanner, comme cela se fait pour le foin. On peut aussi utiliser une ensileuse équipée d’un pick-up pour ramasser les andains, et amener ensuite cette matière dans un silo, renfermé par une bâche.

Sur le plan nutritionnel, la plante est très riche en protéines, un peu plus qu’une luzerne, par exemple. Or, il s’agit-là d’un enjeu majeur que celui de l’autonomie protéique des élevages français… ! Le marché a commencé à s’ouvrir depuis 2022, et les éleveurs sont aujourd’hui séduits par les résultats de cette culture. 80 % de nos ventes de semences s’orientent donc désormais vers l’implantation pour de l’alimentation animale.

Enfin, comme je l’évoquais, le troisième usage de la silphie consiste à l’implanter sur de petites surfaces pour l’apiculture.

Dans quelles conditions, sur quels types de terrains la silphie peut-elle être ensemencée ?

La silphie – que je qualifie volontiers de plante « couteau-suisse » – peut tout d’abord être implantée sur de grandes parcelles. Certains de nos clients ont par exemple ensemencé des parcelles de plus de cinquante hectares, essentiellement pour de la méthanisation. Les éleveurs, quant à eux, peuvent implanter la silphie sur de plus petites surfaces, notamment les zones de non-traitement (ZNT). Cela leur permet ainsi de montrer une image positive à leurs concitoyens, à l’opposé des accusations de pollution qui leur collent encore trop souvent à la peau ! La silphie est selon moi un bon moyen de rallier défenseurs de l’environnement, agriculteurs, méthaniseurs, apiculteurs et citoyens. Quand on met à disposition du monde agricole des solutions écologiques et rentables, ses acteurs sont naturellement partants pour les adopter !

Les agriculteurs peuvent aussi utiliser la silphie dans des zones de terre très humides, y compris sur des parcelles soumises aux inondations en hiver, sur lesquelles il est très difficile d’implanter d’autres cultures, qui meurent étouffées sous l’eau.

À l’inverse, la plante résiste aussi très bien à la sécheresse, notamment grâce à son système racinaire très bien développé et à une structure particulière, qui forme de petits réservoirs à la base de ses feuilles. Ces petites poches d’eau de quelques centilitres se remplissent à la faveur de la rosée matinale et des précipitations, et peuvent aussi servir d’abreuvoirs à la biodiversité : abeilles, papillons, petits oiseaux… La plante nécessite certes 400 mm de précipitations pour atteindre un très bon rendement – équivalent à un maïs – mais ceci sur une période où les sécheresses sont plus rares ou en tout cas moins intenses : du 1er mars au 1er août.

Pour les parcelles en bordure de forêt, la silphie présente aussi l’avantage de résister aux dégâts de gibiers. Elle n’est en effet pas très appétente pour des animaux tels que les cerfs ou les sangliers.

Enfin, la plante est aussi indiquée dans les zones de captage d’eau. Nous avons d’ailleurs mis en place plusieurs essais ces dernières années en lien avec les Agences de l’eau de différentes régions. La plante permet notamment de capter des nitrates, et se passe très bien de produits phytosanitaires. Certaines de ces Agences de l’eau commencent ainsi à co-financer avec les régions ou départements des implantations. C’est par exemple le cas en Loire-Atlantique, où l’ensemencement de 23 hectares a été entièrement financé par la collectivité pour préserver une zone de captage.

Certaines agglomérations nous contactent également pour implanter la culture sur des terres en friche, éventuellement en association avec la mise en place de ruchers collectifs.

Si elle est donc adaptée à de nombreux types de sols, il faut toutefois simplement éviter les terres acides, où son développement est plus lent.

Quelle est aujourd’hui l’ampleur de son déploiement en France ?

La culture de la silphie
Plus de 7 000 hectares de silphie sont aujourd’hui cultivés en France. Une surface que Silphie France espère tripler dans les deux ans à venir.

La culture de la silphie en France a émergé dans le Grand Est. Je suis en effet Vosgien et les premières ventes de semence se sont naturellement faites dans la région. Petit à petit, la médiatisation a permis de faire connaître la silphie et ses vertus. Nous avons aussi organisé un « silphie Tour » après la création de Silphie France en 2020. Cette initiative a notamment eu des impacts positifs importants dans l’ouest et le nord de la France, qui concentrent en effet un grand nombre d’élevages et d’installations de méthanisation. Les implantations se sont petit à petit multipliées dans toute la France, pour atteindre aujourd’hui une surface de plus de 7 000 hectares, répartis dans environ 70 départements. Seul le sud-est ne présente pas un potentiel suffisant – les modes de culture et les surfaces y sont assez différents. Une belle dynamique est également en train de se mettre en place dans le sud-ouest depuis 2022, à la faveur notamment de la disparition de certains vignobles. Nous espérons ainsi tripler cette surface de 7 000 hectares de silphie dans les deux ans à venir, et développons en outre sa culture à l’étranger, dans huit autres pays. On sent un vrai engouement pour la plante, y compris de la part des Chambres d’agriculture, ou d’institutions telles qu’INRAE, qui ont en effet pris le dossier en main depuis deux ans maintenant. La culture a aussi obtenu une reconnaissance dans le cadre de la PAC, ce qui a été pour moi un long combat.

Si elle n’est bien entendu pas vouée à remplacer quelque autre culture que ce soit, la silphie peut se révéler un complément intéressant pour n’importe quelle exploitation française ; chaque ferme peut lui trouver une utilité ! Il s’agit d’une « niche » qui peut aider les agriculteurs à faire face aux nombreuses problématiques qui s’imposent désormais à eux.


[1] « Premier stade de développement des tiges florifères d’une plante », source CNRTL.

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Posté le par Benoît CRÉPIN


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