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Pesticides au Nicaragua : une procédure hors-norme

Posté le par Aliye Karasu dans Environnement

Un groupe d’avocats internationaux a saisi le tribunal de grande instance de Paris pour forcer l’exécution de la condamnation de trois multinationales agrochimiques impliquées dans un scandale lié à l’utilisation d’un pesticide dans les bananeraies au Nicaragua. Une procédure hors-norme mettant en jeu près d’un milliard de dollars de dommages et intérêts. L'affaire pourrait faire jurisprudence.

Le DBCP, un pesticide à la toxicité reconnue

Plus de 1 200 ouvriers agricoles de plantations de bananes nicaraguayens ont saisi la justice française, début novembre, afin de contraindre trois multinationales de l’agrochimie (Shell, Dow Chemical et Occidental Chemical) à leur verser une réparation pour les préjudices subis suite à leur exposition à un pesticide très toxique, le dibromo-chloropropane (DBCP) utilisé au Nicaragua pour tuer un vers microscopique (nématode) s’attaquant aux racines des bananiers.

Le but de ces 1234 anciens ouvriers de bananeraies n’est pas de voir le fond de l’affaire rejugé mais de faire appliquer une décision déjà rendue dans leur pays et de mettre ainsi fin au litige qui les oppose via la justice française (le code civil nicaraguayen est largement inspiré du code civil français). En effet, au terme d’un long procès confirmé en appel, puis devant la Cour suprême du Nicaragua, et sur la base de documents internes révélant leur connaissance de la grande toxicité des produits, les trois multinationales ont été reconnues responsables en 2006 et ont été condamnées à verser 805 millions de dollars d’indemnisation aux victimes nicaraguayennes. Cependant, cette décision n’a toujours pas été appliquée puisque les multinationales avaient alors soldé tous leurs actifs au Nicaragua, empêchant ainsi toute tentative de saisie.

Une histoire frauduleuse

Dès les années 1950 et avant même sa commercialisation, l’effet nocif de ce pesticide sur la santé des utilisateurs avait été souligné par des études réalisées chez l’animal, qui avaient mis en évidence des effets cancérigènes particulièrement sévères sur les fonctions reproductrices ainsi qu’une toxicité rénale. Pourtant, les géants mondiaux de l’agrochimie ne renoncent pas à la commercialisation du produit qui arrive sur le marché américain sous les marques Nemagon ou Fumazone à la fin des années 50.

Il aura fallu attendre la découverte fortuite, en 1977, de nombreux cas de stérilité chez des ouvriers agricoles pour que le risque soit reconnu. Dans la foulée, le DBCP a été interdit aux Etats-Unis. Cependant, les multinationales, soucieuses de limiter leurs pertes et de rentabiliser leurs stocks, continuent à écouler le produit au Nicaragua où le DBCP a continué à être massivement utilisé jusqu’en 1983 sans aucune mise en garde des ouvriers qui n’utilisaient alors aucune protection (ni gants, ni bottes, ni combinaisons).

Vers une jurisprudence retentissante ?

Pour obtenir réparation, les victimes du DBCP recourent aujourd’hui à la justice française, via une procédure dite d’exequatur. Cette procédure permet non seulement d’obtenir l’exécution en France d’une décision de justice rendue par un tribunal étranger, mais peut entraîner également une application dans l’Europe entière. Ainsi, les dommages et intérêts, qui avoisinent près d’un milliard de dollars aujourd’hui avec les intérêts de retard, pourraient être réclamés aux trois sociétés sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Selon les avocats, en cas d’issue favorable, l’affaire du DBCP pourrait faire jurisprudence dans d’autres affaires liées à la pollution et en particulier dans les plantations de bananes.

Aliye Karasu

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