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Interview

Stockage d’énergie par batteries : « On est au début d’une nouvelle ère »

Posté le par Benoît CRÉPIN dans Énergie

Créée en 2017, l’entreprise bretonne Omexom se consacre au développement, à la fabrication et à l’installation de systèmes de stockage d’énergie à batteries. Des systèmes indispensables – entre autres fonctions – au déploiement des énergies renouvelables.

Filiale de Vinci Énergies, Omexom a notamment construit le plus grand site français de stockage d’énergie par batteries, à Dunkerque, dans le département du Nord. Raccordé au réseau RTE en 90 kV, ce système implanté sur l’ancienne raffinerie nordiste du groupe TotalEnergies contribue notamment à la régulation de la fréquence du réseau électrique. L’entreprise a ainsi à son actif près de 50 systèmes de stockage déjà opérationnels, qui participent à l’équilibre entre la consommation et la production d’électricité en France métropolitaine et dans les territoires d’Outre-Mer. Omexom travaille également sur de nombreux autres projets : cinq sont en cours pour 2022, pour une puissance totale de 100 MW. Omexom maîtrise en outre tous les maillons essentiels de ses systèmes : batteries, gestion du courant, contrôle-commande, mais également intégration mécanique, puisqu’elle dispose de ses propres ateliers. Des points qu’aborde plus en détail le dirigeant de l’entreprise Thibault Fauquant dans l’interview qu’il nous a accordée.

Techniques de l’Ingénieur : Pouvez-vous, en quelques mots, vous présenter ainsi que l’entreprise que vous dirigez, Omexom ?

Thibault Fauquant. © Omexom

Thibault Fauquant : Je suis chef d’entreprise chez Omexom conversion & storage depuis un peu plus de cinq ans. Omexom fait partie des nombreuses entreprises de Vinci Énergies, et elle est spécialisée dans la conception de systèmes de stockage d’énergie. Nous sommes une cinquantaine de salariés, et l’entreprise est basée à Saint-Évarzec, près de Quimper (29). Omexom a vu le jour à mon arrivée en 2017, mais ses activités émergeaient d’une autre entreprise de Vinci Énergies. Les premières activités de stockage ont ainsi véritablement eu lieu il y a dix ans, en 2012.

Le rôle d’Omexom est avant tout celui d’intégrateur. En quoi consiste-t-il et quelles technologies de stockage mettez-vous en œuvre ?

Notre rôle d’intégrateur consiste à associer tous les équipements nécessaires pour obtenir, au final, une installation de stockage d’énergie. Nous nous consacrons uniquement aux grosses installations, nous ne travaillons pas autour des installations résidentielles. Dans nos systèmes, on retrouve ainsi une partie « batteries », qui commence par de petites batteries comparables chimiquement à celles de nos téléphones. Ces batteries sont assemblées en modules, eux-mêmes assemblés en racks. Ces racks sont assemblés à l’étranger, en Chine ou en Corée, chez les fabricants de batteries. L’Europe est toutefois en train de s’industrialiser. Notre rôle est donc de designer la partie batteries : déterminer le bon volume, le bon type de batteries, car il en existe un grand nombre.

Nous travaillons avec la technologie lithium-ion. Nous avons opté, depuis le départ, pour des batteries de type LNMC (Lithium-nickel-manganèse-cobalt), mais le marché est en train de tendre vers le LFP : lithium-fer-phosphate. C’est ce que l’on retrouve désormais dans les véhicules électriques, et notre marché stationnaire est porté par ce marché des voitures à batteries. En cinq ans, l’évolution des batteries a été assez incroyable.

Cette partie « batteries » constitue la brique centrale, mais la partie « gestion du courant » est également importante : une batterie fournit du courant continu, or l’utilisateur final a besoin de courant alternatif 50 Hz. Derrière une batterie, il faut donc placer un convertisseur. Nous appelons cela un PCS, pour power conversion system. Il s’agit d’un convertisseur AC-DC bidirectionnel, qui se distingue des onduleurs utilisés, par exemple, dans le photovoltaïque, qui eux ne fonctionnent que dans un sens. Avec nos systèmes, quand on décharge la batterie, on prend de l’énergie en courant continu que l’on convertit en alternatif pour l’injecter sur le réseau, alors que quand on charge la batterie, on part de l’énergie du réseau en alternatif. De plus, après avoir commencé avec des systèmes de batteries de 1 000 volts, nous utilisons depuis deux ans des batteries qui fournissent, une fois chargées, une tension de 1 500 volts. L’avantage crucial de cette technologie 1 500 volts est qu’elle permet de diminuer l’intensité nécessaire pour obtenir une même puissance. Moins d’ampères c’est donc des câbles moins gros, mais aussi des disjoncteurs et toute la chaîne de protection dimensionnés à la baisse. Tous les coûts sont ainsi réduits.

Après le convertisseur que j’évoquais, on trouve un transformateur BT-HT(1). On sort du convertisseur en 600 ou 800 volts triphasé et on remonte en haute tension A (HTA), qui peut aller jusqu’à 33 kV. Selon les installations, nous sommes raccordés soit au gestionnaire de réseau Enedis, pour des installations jusqu’à 10 MW, soit, au-delà, au gestionnaire de réseau de transport RTE. Nous sommes dans ce cas raccordés en HTB (Haute Tension B), qui va de 50 kV à 400 kV. Outre toute cette partie puissance, nous mettons également en place tout un système de contrôle-commande. Pour gérer la charge et la décharge des batteries, il faut en effet un pilote dans l’avion : il y a de la chimie derrière et des risques à prévenir comme l’emballement thermique. Tout cela est très complexe à gérer. Notre expertise va donc au-delà de la conception électrotechnique des systèmes. Ce pilotage passe notamment par la mise en place d’accès à distance, depuis notre siège de Quimper, ce qui implique un haut niveau de cybersécurité. Contrairement à des installations éoliennes ou photovoltaïques, dont une grande partie reste passive, pour nos systèmes de stockage, tout est pilotable ou au moins monitorable. Cela génère une quantité astronomique de données, qu’il faut ensuite traiter. Notre expertise allie donc la partie électrotechnique et ces aspects de contrôle-commande liés à l’informatique industrielle, mais également une troisième brique : nous avons au sein de nos équipes à Quimper un tiers de salariés qui se consacrent à l’intégration mécanique. Nous avons 3 500 m² d’ateliers où nous réalisons nos propres équipements, avec notre propre bureau d’étude. Cela nous permet de tester tous nos équipements avant leur installation sur site.

Omexom intègre notamment ses systèmes de stockage par batteries dans des conteneurs. © Omexom

Sous quelle(s) forme(s) les systèmes que vous concevez sont-ils assemblés ?

Nous proposons soit des conteneurs, soit, maintenant de plus en plus, des solutions outdoor. Nous achetions beaucoup de racks de batteries, que nous installions dans des conteneurs et que nous câblions nous-mêmes, mais nous achetons désormais de plus en plus d’armoires extérieures de 400 kVA, qui se parallélisent. Elles sont étanches et placées sur des skids(2) intégrant batteries, convertisseurs et transformateurs. Nous réalisons tout cela sur place et disposons d’un banc d’essai qui nous permet de les tester.

Quels sont les applications possibles et les principaux intérêts de ces systèmes de stockage ?

Il y a de multiples applications possibles, qui diffèrent selon les régions du monde. Pour la France, nous avons énormément travaillé dans des territoires insulaires, dont la production repose souvent pour une part importante sur le photovoltaïque ou l’éolien. Des études ont en effet montré qu’au-delà de 30 % d’énergies renouvelables, le stockage devient indispensable pour assurer la flexibilité de ces petits réseaux. Nous proposons des offres clé en main, qui incluent des prévisions météo, permettant d’anticiper la production et de gérer le stockage nécessaire. Il s’agit ainsi d’applications d’intégration des énergies renouvelables. Nous faisons du lissage en journée, et nous nous arrangeons pour que les batteries soient pleines en fin de journée.

En métropole, les applications sont un peu différentes. Il existe en effet ce que l’on appelle des services système : tous les services qui permettent d’assurer l’équilibre du réseau. À tout moment, on doit avoir un équilibre entre production et consommation. Les batteries sont petit à petit en train de venir remplacer des services systèmes déjà existants, sur la réserve primaire(3) ou secondaire(4). Nos systèmes permettent de réaliser du soutien fréquence, ou FCR(5), c’est-à-dire d’aider à maintenir la fréquence du réseau à 50 Hz. Ils intègrent en effet un oscilloperturbographe, qui surveille le 50 Hz, et déclenche soit la charge des batteries en cas d’élévation de fréquence, soit une injection dans le réseau si le 50 Hz s’écroule. Sur les îles, nous avons aussi une autre application possible, qui est celle de l’arbitrage : en Corse par exemple, en cas de surproduction solaire, EDF peut stocker de l’énergie dans des batteries à un coût très bas. Cela permet d’éviter le démarrage de groupes diesel au moment de la baisse de production, en fin de journée, qui eux, engendreraient un prix très élevé du kWh. Ce type d’application, l’arbitrage, est aussi possible en Angleterre ou encore en Allemagne.

Quelle est la durée de vie des batteries ?

Sur les systèmes que j’ai décrits, la durée de vie des batteries est de vingt ans. Une batterie perd environ 2 % de ses capacités par an, et 40 % avant d’arriver en fin de vie, sur la base d’un cycle de charge par jour.

La réutilisation de batteries issues de voitures électriques est-elle envisageable ?

Les batteries de voitures ont une tension de 400 à 600 volts. Elles ne sont donc pas adaptées à nos systèmes de 1 500 volts. L’économie que l’on réaliserait en récupérant les batteries ne compenserait pas le surcoût engendré par un système de stockage basé sur ces batteries de plus faible voltage, qui impliquerait de multiplier les transformateurs, les convertisseurs… Nous n’aurions, en plus, aucune garantie sur la durée de vie. Après, il ne faut pas enterrer l’idée de réutiliser les batteries de seconde vie. Cela peut en effet être envisagé pour de petits systèmes, à l’échelle d’une commune par exemple, dans le résidentiel ou le tertiaire, mais ça n’est pas notre marché.

Vous avez récemment fait naître, à Dunkerque, le plus grand site français de stockage d’énergie par batteries. Dans quel type d’application ce site s’inscrit-il ? Quelles sont ses caractéristiques ?

Le projet de Dunkerque assure de la FCR, il fait partie de la réserve primaire. Il est aussi lauréat de l’Appel d’offre long terme (AOLT) lancé par RTE. C’est le mécanisme de capacité, ou Mécapa, qui permet au réseau d’avoir une vision de long terme sur les investissements dans les unités de production. Le projet fait 61 MW / 61 MWh. Il est connecté dans la raffinerie de Dunkerque en 90 kV au réseau de transport RTE. Nous avons installé 27 conteneurs de batteries, autant de convertisseurs, 29 transformateurs de puissance, 2 tableaux HTA, 2 transformateurs HTA-HTB. Le projet a été réalisé en deux tranches : une première en 2020, de 25 MW et une seconde en 2021 de 36 MW.

Composé de 27 conteneurs et réalisé en deux tranches, le projet implanté sur l’ancienne raffinerie de Dunkerque atteint une capacité de 61 MW / 61 MWh. © Omexom

Quel est le lien entre ce projet et la raffinerie de Dunkerque ?

Pour le dire simplement, il n’y en a aucun… En fait, l’avantage du site, qui ne réalise aujourd’hui plus de raffinage, est qu’il dispose, de par ses activités passées, d’un point de raccordement énorme au réseau RTE. Point de raccordement qui n’était plus utilisé. Or, pour installer un système, que ce soit du solaire, de l’éolien ou du stockage, trouver un point de raccordement est crucial. Plus encore que le foncier et le prix de vente de l’électricité. Ce projet de stockage a également permis de redonner de l’activité à ce site mis à l’arrêt.

Quels sont les autres projets sur lesquels vous travaillez ?

Nous avons cinq projets en cours pour 2022, pour une puissance totale de 100 MW, aussi bien en France que dans les territoires ultramarins. Nous travaillons par exemple sur un projet implanté dans une autre raffinerie, celle de Grandpuits, que TotalEnergies a également décidé d’arrêter, comme celle de Dunkerque. Il s’agit d’un projet de 43 MW / 43 MWh, qui sera notre plus gros, celui de Dunkerque ayant été réalisé en deux tranches. Nous avons aussi un projet combinant photovoltaïque et stockage à Gièvres, dans le Loir-et-Cher, ainsi qu’un autre projet en Corse. Nous avons également un projet à la Réunion, combinant éolien et stockage. Nous devrions également gagner cette année nos premiers projets à l’export : nous visons l’Italie et la Belgique.

Parallèlement au développement de ces projets, poursuivez-vous également des travaux de recherche et développement ?

Absolument ! La R&D est intrinsèquement liée à nos activités. Tout évolue très vite : les batteries, le contrôle-commande… Il y a de grosses problématiques de consommation auxiliaire, de rendement, de performances. L’idée est donc d’optimiser tout cela par le pilotage. Les batteries ont aussi besoin de se trouver dans des environnements très contrôlés en température, hygrométrie… Nous travaillons donc également sur les conditions d’exploitation, de maintenance, sur le dimensionnement des systèmes de climatisation. Il nous faut également maîtriser les risques incendies et environnementaux.

En milieu rural, certaines zones éloignées du réseau subissent parfois des chutes de tension. Les systèmes de stockage que nous développons pourraient également répondre à ces problématiques et éviteraient ainsi des travaux très coûteux de renforcement réseau. On est au début d’une nouvelle ère, il s’agit d’une véritable révolution, d’autant plus depuis le début de la guerre en Ukraine. Les questions d’énergie se révèlent centrales. On ne pourra se passer des EnR et on ne pourra pas développer ces énergies renouvelables sans stockage. C’est ce qui permet de les rendre pilotables. Nous avons multiplié par dix notre chiffre d’affaires en cinq ans et nous prévoyons encore 30 à 40 % de croissance cette année. Les demandes affluent !

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(1) Basse tension – Haute tension

(2) Châssis mobile sur lequel peuvent être fixés divers éléments industriels

(3) La réserve primaire intervient en 15 à 30 secondes et doit pouvoir répondre à la perte simultanée des deux plus gros groupes de production, soit une puissance de 3 000 MW au niveau européen. Le système français y contribue à hauteur d’environ 540 MW.

(4) La réserve secondaire est activée automatiquement en 400 secondes. Elle représente en France entre 500 MW et 1 180 MW. Tous les producteurs opérant des groupes de production de plus de 120 MW en France ont l’obligation d’y participer.

(5) Frequency Containment Reserves ou réserves de stabilisation de la fréquence

Pour aller plus loin

Posté le par Benoît CRÉPIN

Les derniers commentaires

  • Il serait intéressant d’avoir un comparatif sur les différents type de batteries disponible : batteries Na-S , batteries à flux ( https://kemiwatt.com/ ) .
    Pourquoi utilisé le Lithium pour un usage stationnaire (où le poids n’est pas important ?)


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