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Interview

Un capteur pour mesurer la fraîcheur des aliments emballés

Posté le par Nicolas LOUIS dans Innovations sectorielles

Placé à l'intérieur des emballages alimentaires, un capteur en silicium émet une onde acoustique. Cette onde sonore est directement corrélée au stade de dégradation des aliments et permet d'en mesurer la fraîcheur.

Crédit photo : Projet Terafood

Dans le monde, le gaspillage alimentaire coûte plus de 630 milliards d’euros par an et est responsable de 30 % de la consommation d’eau sur terre et de 8 % des gaz à effet de serre. Chaque année, en Europe, plus de 90 milliards de kg de nourritures sont jetées. Pour lutter contre ce phénomène, une équipe de chercheurs développe un capteur capable de détecter l’état de fraîcheur des aliments. L’idée est de le placer à l’intérieur de chaque emballage au moment du conditionnement, puis de le scanner avant la commercialisation du produit pour savoir si l’aliment est consommable ou pas. Ce projet, baptisé Terafood et d’une durée de quatre ans, bénéficie du soutien du programme européen de coopération Interrégional France-Wallonie-Vlaanderen. Mathias Vanwolleghem, chercheur au CNRS à l’IEMN (Institut d’Électronique de microélectronique et de nanotechnologie) et coordinateur du projet, nous présente cette innovation.

Techniques de l’Ingénieur : Comment fonctionne votre technologie ?

Mathias Vanwolleghem, chercheur au CNRS : En se dégradant, les aliments rejettent des molécules organiques comme le sulfure d’hydrogène, l’ammoniac ou l’éthanol. Nous développons une technologie utilisant des ondes aux fréquences térahertz (THz) pour sonder la présence de ces composés volatils et leurs concentrations dans l’atmosphère à l’intérieur d’un emballage alimentaire. Ces ondes électromagnétiques présentent plusieurs intérêts. Elles sont capables de traverser, sans pertes, la plupart des matériaux d’emballage comme les cartons, les films plastiques, sauf le métal.

Un doctorant, Elias Akiki, réalise des mesures photoacoustiques dans le cadre du projet Terafood /Projet Terafood

Elles permettent ainsi d’analyser le contenu de l’emballage sans rompre son intégrité ni modifier la qualité de l’aliment car elles portent une faible énergie. Ensuite, ces ondes interagissent fortement avec les molécules organiques  à l’intérieur de l’emballage en perdant de la puissance. En mesurant la modification de la puissance spectrale dans la gamme térahertz, on peut prédire la composition de l’atmosphère de ces emballages et ainsi mesurer la fraîcheur des aliments. Cette approche, par spectroscopie THz et par absorption, nécessite de disposer d’un détecteur de rayonnement THz très précis et sensible.  Ces appareils existent mais se révèlent coûteux et peu pratiques. L’originalité de notre projet consiste à détecter indirectement, par transduction, la modification de la puissance THz.

Quel rôle joue le capteur ?

Sous l’effet des ondes THz, les molécules organiques s’agitent puis s’échauffent et vont provoquer une très légère vibration à l’intérieur des emballages et générer, par pression, une faible onde acoustique. Le capteur, composé de silicium, contient une membrane dont le rôle est d’offrir une résonance à ces ondes sonores, un peu comme le ferait une batterie. Ce processus d’émission d’un son suite à l’absorption d’un signal photonique s’appelle la photoacoustique.  Nous mesurons l’onde acoustique à l’aide d’un vibromètre laser fonctionnant grâce au principe de l’effet Doppler et qui consiste à mesurer le décalage de l’onde entre son émission et sa réception. Chacun peut faire l’expérience de cet effet Doppler en présence d’un véhicule pourvu d’une sirène : en s’approchant, le son émis semble plus aigu puis il devient plus grave en s’éloignant. Au final, l’onde acoustique émise par le capteur est directement corrélée à la concentration en molécules organiques et donc permet d’évaluer l’état de fraîcheur des aliments.

A quel stade de développement se trouve le projet ?

Nous testons prochainement une première génération de capteurs en les plaçant à l’intérieur d’une cellule de gaz dans laquelle nous introduirons une concentration bien connue de molécules organiques. Cette cellule permettra de simuler, dans des conditions de laboratoire, un emballage alimentaire sous différents stades de dégradation. A l’été 2020, nous pensons faire la première démonstration mondiale de l’efficacité de notre technologie. Le financement du projet Terafood se termine à l’été 2021, la poursuite de ce travail afin de le mener jusqu’à un stade de maturation industrielle nécessitera un nouveau financement. Nous sommes convaincus que l’industrie agro-alimentaire pourrait trouver, dans cette innovation, une alternative révolutionnaire pour l’analyse des aliments. Pour le moment, les industriels effectuent quelques prélèvements sur un lot puis réalisent des tests biochimiques pour évaluer l’état de fraîcheur de leurs produits. Un test négatif sur quelques échantillons les contraint à détruire le lot entier. Notre technologie permettra un test non destructif, en temps réel, et sur chaque emballage individuel en quelques millisecondes. Le seul investissement consistera à s’équiper d’une source d’ondes THz et d’un vibromètre. Un investissement certes important, entre 50 et 60 000 euros pour acquérir deux appareils performants, mais négligeable par rapport aux pertes économiques résultant des produits alimentaires jetés alors qu’ils sont encore consommables.

Propos recueillis par Nicolas Louis

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Posté le par Nicolas LOUIS


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